Tribunal administratif de Lille

Ordonnance du 11 janvier 2024 n° 2305149

11/01/2024

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par des mémoires, enregistrés les 12 juillet 2023 et 4 octobre 2023, la société par actions simplifiée Aquanord Ichtus, représentée par Me Ayache, demande au tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation de la décision en date du 11 avril 2023 par laquelle le collège territorial de second examen des demandes de rescrits de Lille s'est prononcé sur sa demande de prise de position relative à son éligibilité aux taux réduits d'accise sur les énergies prévus à l'article L. 312-65 du code des impositions sur les biens et services :

1°) de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 312-64, L. 312-65 et L. 312-71 du code des impositions sur les biens et services, dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021, en tant qu'elles restreignent l'application des taux réduits d'accise sur les énergies aux seules entreprises industrielles au sens des sections B, C, D et E de la nomenclature des activités françaises ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que ces dispositions, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Par un mémoire, enregistré le 12 septembre 2023, le directeur régional des finances publiques des Hauts-de-France et du département du Nord soutient que les conditions posées par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies dès lors que la question posée ne revêt aucun caractère de nouveauté et qu'elle est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code des impositions sur les biens et services ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

2. En vertu des dispositions combinées des articles L. 312-64, L. 312-65 et L. 312-71 du code des impositions sur les biens et services, créés par l'ordonnance n° 2021-1843 du 22 décembre 2021 et en vigueur à compter du 1er janvier 2022, bénéficient de taux réduits pour la taxation à l'accise sur les énergies prévue par les articles L. 300-1 et suivants de ce code, à raison de leur consommation d'électricité, les entreprises dites industrielles électro-intensives, soit les entreprises dont la consommation correspond à un niveau minimal d'électro-intensité et dont les activités principales relèvent des catégories suivantes : " industries extractives ", " industrie manufacturière ", " production et distribution d'électricité, de gaz, de vapeur ou d'air conditionné " et " production et distribution d'eau, assainissement, gestion des déchets et dépollution ", ces activités étant celles qui sont classées sous les sections correspondantes de la nomenclature statistique des activités économiques mentionnée à l'article L. 312-47 du même code.

3. La société Aquanord Ichtus, qui exerce une activité d'élevage aquacole sur terre, est une entreprise électro-intensive, au regard de l'importance de sa consommation d'électricité, mais dont l'activité se rattache à une autre catégorie que celles mentionnées au point précédent. Elle soutient qu'en réservant le bénéfice des taux réduits d'accise sur les énergies aux seules entreprises électro-intensives exerçant une activité relevant de ces catégories, les dispositions combinées des articles L. 312-64, L. 312-65 et L. 312-71 du code des impositions sur les biens et services, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 22 décembre 2021, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et les charges publiques, garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

4. Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Il ne fait pas obstacle à ce que, pour des motifs d'intérêt général, le législateur prévoie, par l'octroi d'avantages fiscaux, des mesures d'incitation au développement d'activités économiques en appliquant des critères objectifs et rationnels au regard des buts recherchés.

5. Il résulte des dispositions des articles L. 312-64, L. 312-65 et L. 312-71 du code des impositions sur les biens et services que l'avantage fiscal correspondant au bénéfice des taux réduits d'accise sur les énergies qu'elles prévoient, a été institué pour limiter les charges et, par suite, favoriser et soutenir la compétitivité des entreprises électro-intensives qui exercent une activité de production et, en particulier, celles dont l'activité concourt directement à la fabrication ou à la transformation de biens corporels mobiliers et pour laquelle le rôle des installations techniques, matériels et outillages mis en œuvre est prépondérant. Si la société Aquanord Ichtus, qui élève des bars et des daurades dans des bassins d'élevage en eau de mer situés sur terre, soutient que ces entreprises bénéficient d'un avantage injustifié par rapport aux autres entreprises électro-intensives, celles-ci, telles que la société requérante, se trouvent dans une situation différente au regard de la nature même de leur activité, qui ne présente pas un caractère industriel au sens de ces dispositions. Le législateur s'est ainsi fondé, pour limiter le bénéfice de l'avantage fiscal en litige, sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi. Par suite, les dispositions des articles L. 312-64, L. 312-65 et L. 312-71 du code des impositions sur les biens et services, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 22 décembre 2021, ne portent pas atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et les charges publiques.

6. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Aquanord Ichtus est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, dès lors, de transmettre cette question au Conseil d'État.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Aquanord Ichtus.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée Aquanord Ichtus et au directeur régional des finances publiques des Hauts-de-France et du département du Nord.

Fait à Lille, le 11 janvier 2024.

Le président,

Signé

O. LEMAIRE

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

D