Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 4 janvier 2024 n° 2309333

04/01/2024

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement les 30 décembre 2023 et 4 janvier 2024, M. D E, retenu au centre de rétention de Geispolsheim (67118), représenté par Me Thalinger, demande au tribunal :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler l'arrêté du 28 décembre 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Côte-d'Or de réexaminer sa situation, sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir et, entretemps, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au bénéfice de son conseil en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, et, en cas de rejet de la demande d'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

Sur l'ensemble des décisions attaquées :

- elles sont entachées d'incompétence ;

- elles sont insuffisamment motivées ;

- elle ne lui ont pas été notifiées dans une langue qu'il comprend ;

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

- elle est entachée d'un défaut d'examen de sa situation ;

- elle est entachée d'une erreur de droit ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale ;

Sur la décision refusant un délai de départ volontaire :

- elle est illégale dès lors qu'il ne présente pas de risque de fuite et que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

- elle méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français :

- elle est illégale en conséquence de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît les dispositions de l'article 8 paragraphe 2 de la directive 2016/343 en ce qu'elle l'empêche d'assister à l'audience pénale à laquelle il est convoqué le 29 août 2024 devant le tribunal correctionnel de Dijon ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation quant à sa durée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2024, le préfet de la Côte-d'Or, représenté par Me Cano, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. E ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Perabo Bonnet en application des dispositions de l'article L. 614-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Perabo Bonnet, magistrate désignée ;

- les observations de Me Thalinger, avocat de M. E, qui soulève à l'audience une " question prioritaire de constitutionnalité " relative à la conformité des dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles de l'article 30 de la directive 2004/38 de l'Union européenne, au motif que, dès lors que les dispositions du 3° de l'article 30 de la directive 2004/38 disposent que, sauf cas d'urgence, le délai imparti pour quitter le territoire de l'Etat membre ne peut être inférieur à un mois, le refus d'octroyer un délai de départ méconnaît ces dispositions ;

- les observations de M. E, assisté de Mme B, interprète en langue portugaise, qui indique qu'il souhaite être présent pour son audience du 29 août 2024.

Le préfet de la Côte-d'Or, régulièrement convoqué, n'était ni présent ni représenté.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

1. En raison de l'urgence, il y a lieu d'admettre M. E au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, sur le fondement de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. [] ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; [] ". Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". ".

3. D'une part, qu'il résulte de ces dispositions que les conclusions de M. E tendant à ce que le Conseil Constitutionnel soit saisi, au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité, de la question de la non-conformité des dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles de l'article 30 de la directive 2004/38 de l'Union européenne, qui n'ont pas été présentées dans un mémoire distinct, sont irrecevables et doivent, dès lors, être rejetées.

4. D'autre part, un grief tiré du défaut de compatibilité d'une disposition législative aux engagements internationaux de la France ne saurait être regardé comme un grief de constitutionnalité. Il s'ensuit que les conclusions de l'intéressé tendant à ce que le Conseil Constitutionnel soit saisi, au titre d'une question prioritaire de constitutionnalité de la question de la non-conformité des dispositions de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à celles de l'article 30 de la directive 2004/38 de l'Union européenne sont irrecevables et doivent, dès lors, être rejetées.

Sur les moyens communs aux décisions attaquées :

5. En premier lieu, par un arrêté du 4 décembre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture du 5 décembre suivant, le préfet de la Côte-d'Or a donné délégation à M. C A, sous-préfet, secrétaire général de la préfecture de la Côte-d'Or, à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département, à l'exception d'actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de leur signataire manque en fait et doit être écarté.

6. En deuxième lieu, il ressort des termes mêmes des décisions attaquées qu'elles mentionnent l'ensemble des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

7. En troisième lieu, les conditions de notification d'une décision sont sans incidence sur sa légalité.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :

8. En premier lieu, il ne ressort ni des termes de la décision attaquée ni des pièces du dossier que préfet de la Côte-d'Or n'aurait pas procédé à l'examen de la situation particulière de l'intéressé avant de de prendre à son encontre la décision attaquée. Par suite, le moyen tiré d'un défaut d'examen de sa situation doit être écarté.

9. En deuxième lieu, en vertu des dispositions de l'article R. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, combinées avec celles, auxquelles elles renvoient, de l'article R. 614-1 du même code, la présentation, l'instruction et le jugement des recours mentionnés à l'article L. 251-7 précité obéissent aux règles définies au chapitre VI du titre VII du livre VII du code de justice administrative. Aux termes de l'article R. 613-6 du même code : " L'étranger auquel est notifiée une interdiction de retour sur le territoire français est informé du caractère exécutoire de cette décision et de ce que la durée pendant laquelle il lui est interdit de revenir sur le territoire commence à courir à la date à laquelle il satisfait à son obligation de quitter le territoire français. () ".

10. Il ressort des pièces du dossier que M. E, ressortissant portugais, a fait l'objet d'une interdiction de circulation sur le territoire français qui lui a été notifiée le 21 décembre 2018 et qui a été exécutée d'office le 2 janvier 2020. Contrairement à ce qui est soutenu, la durée pendant laquelle il lui était interdit de revenir sur le territoire a commencé à courir à compter du départ effectif de l'intéressé du territoire français. Alors que ce dernier indique, sans autre précision ni élément probant, être rentré en France en 2022, il n'établit pas avoir respecté l'interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée de trois ans prononcée à son encontre en 2018. En tout état de cause, à supposer même qu'il soit entré en France postérieurement au 3 janvier 2022, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la décision attaquée d'une erreur de droit. Par suite, le moyen soulevé en ce sens ne peut qu'être écarté.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : () 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société (). L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à leur situation, notamment la durée du séjour des intéressés en France, leur âge, leur état de santé, leur situation familiale et économique, leur intégration sociale et culturelle en France, et l'intensité des liens avec leur pays d'origine ".

12. Il ressort des pièces du dossier, et n'est pas contesté, que M. E a été condamné par le tribunal correctionnel de Dijon le 24 octobre 2018 à une peine de vingt-quatre mois d'emprisonnement pour des faits de vol, tentative de vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt et vol dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt et qu'il est défavorablement connu des services de police pour plusieurs autres occurrences de faits de vol par effraction dans un local d'habitation ou un lieu d'entrepôt, de maintien irrégulier sur le territoire français après placement en rétention ou assignation à résidence d'un étranger ayant fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français, de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, menace de mort réitérée, violence suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours par une personne étant ou ayant été conjoint ou concubin, harcèlement d'une personne étant ou ayant été conjoint ou concubin avec dégradation des conditions de vie entraînant une altération de la santé, dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui et transport sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D. Enfin, l'intéressé a été mis en cause le 26 décembre 2023 et placé en garde à vue pour des faits de menaces de mort matérialisée par écrit, image ou autre objet, port sans motif légitime d'arme blanche ou incapacitante de catégorie D et dégradation ou détérioration du bien d'autrui aggravée par deux circonstances. Si M. E se prévaut de son mariage avec une ressortissante française, il ressort des pièces du dossier que le mariage s'est tenu le 27 juillet 2022 au Portugal. Dans ces conditions, alors même que M. E exerce une activité professionnelle, compte tenu du caractère grave et répété des infractions commises par l'intéressé, la décision l'obligeant à quitter le territoire français sans délai n'a pas méconnu les dispositions de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Pour les mêmes motifs la décision attaquée n'est pas entachée d'erreur d'appréciation sur la situation personnelle de l'intéressé.

Sur la légalité de la décision refusant un délai de départ volontaire :

13. Aux termes de l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les étrangers dont la situation est régie par le présent livre disposent, pour satisfaire à l'obligation qui leur a été faite de quitter le territoire français, d'un délai de départ volontaire d'un mois à compter de la notification de la décision. L'autorité administrative ne peut réduire le délai prévu au premier alinéa qu'en cas d'urgence et ne peut l'allonger qu'à titre exceptionnel ".

14. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12 du présent jugement, les moyens tirés de ce qu'il ne présente pas de risque de fuite, que son comportement ne constitue pas une menace à l'ordre public, de la méconnaissance des dispositions précitées et de l'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

15. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui n'est assorti d'aucune précision, ne peut qu'être écarté.

Sur la légalité de la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français :

16. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant interdiction de circulation sur le territoire français devrait être annulée, par voie de conséquence de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français, ne peut qu'être écarté.

17. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

18. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 12 du présent jugement, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.

19. En troisième lieu, si le requérant soutient que la mesure d'interdiction de circulation sur le territoire français l'empêche d'assister à l'audience pénale à laquelle il est convoqué le 29 août 2024 devant le tribunal correctionnel de Dijon, il n'établit ni n'allègue qu'il ne pourrait s'y faire représenter. Dès lors, le moyen soulevé en ce sens doit être écarté.

20. En dernier lieu, le moyen tiré de ce que la décision attaquée est entachée d'erreur d'appréciation quant à sa durée, qui n'est assorti d'aucune précision, ne peut qu'être écarté

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. E n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 28 décembre 2023. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

Article 1 : M. E est admis, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. D E, à Me Thalinger et au préfet de la Côte-d'Or. Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Prononcé en audience publique le 4 janvier 2024.

La magistrate désignée,

L. Perabo BonnetLa greffière,

G. Trinité

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

G. Trinité

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Code publication

C