Tribunal administratif d'Orléans

Jugement du 22 décembre 2023 n° 2200407

22/12/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 8 février 2022, et des pièces complémentaires enregistrées le 1er juillet 2022 et le 26 août 2022, Mme D B, représentée par Me Guyon, demande au tribunal :

1°) d'annuler l'arrêté du 13 décembre 2021 par lequel le président du conseil départemental du Cher l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération ;

2°) d'enjoindre au département du Cher sous astreinte de 400 euros par jour de retard à compter de la notification du jugement à intervenir, à titre principal, de la rétablir dans ses fonctions, de procéder à sa réintégration et de procéder au versement de sa rémunération, y compris de manière rétroactive, dans tous ses éléments et accessoires, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de procéder au versement de sa rémunération, y compris de manière rétroactive ;

3°) de mettre à la charge du département du Cher la somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la compétence matérielle, territoriale et temporelle de l'auteur de l'arrêté attaqué n'est pas établie ;

- l'arrêté attaqué méconnaît le respect des conséquences juridiques de l'arrêt de travail ; elle dispose d'un arrêt de travail depuis le 30 août 2021 et l'obligation vaccinale ne se pose pas tant qu'elle n'est pas jugée apte à la reprise de l'exercice professionnel ; n'étant pas au contact du public, la décision de suspension de l'agent en arrêt maladie va au-delà de ce qui est nécessaire et au-delà de l'objectif légitime poursuivi par la loi ;

- il méconnaît le champ d'application de l'obligation vaccinale ;

- il méconnaît les dispositions combinées des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA) car elle ne vise aucunement les dispositions législatives et réglementaires dont il est fait application ni ne contient l'exposé des éléments de fait qui ont conduit au prononcé de la suspension de fonction et de l'interruption du versement de la rémunération ; il n'est pas fait référence à la date, à l'heure et au contenu du constat dressé par l'autorité de nomination et aucun élément ne ressort quant aux éléments d'information délivrés par cette autorité s'agissant des conséquences de l'exécution de la décision, ni se serait vu proposer d'utiliser des jours de congés, ou ni qu'elle aurait épuisé ses droits ;

- il méconnaît l'article 82 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 car, alors qu'elle présente le caractère d'une sanction, elle méconnaît le principe du respect des droits de la défense, et les dispositions combinées des articles L. 122-1 et L. 122-2 du CRPA ;

- il est illégal, dès lors qu'il constitue une sanction disciplinaire déguisée ;

- il méconnaît l'article 81 de la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- il constitue une mesure de police administrative qui n'est pas justifiée ;

- il est disproportionné car n'a pas été prise en compte la possibilité d'une solution moins radicale et au regard des conséquences négatives provoquées par la vaccination obligatoire ;

- il n'est pas nécessaire ;

- il méconnaît l'article 30 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 à supposer qu'elle soit regardée comme une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service ;

- l'autorité de nomination ne justifie pas avoir saisi le conseil de discipline ;

- alors que le régime de suspension ordinaire est limité à 4 mois, sauf infraction pénale, l'arrêté attaqué n'est pas délimité au plan temporel ;

- il porte atteinte au principe de continuité du service public hospitalier ;

- il méconnaît le principe d'égalité ;

- il constitue une discrimination ;

- il méconnaît l'article 5 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

- il méconnaît l'article 2 de la convention européenne des droits de l'Homme ;

- il méconnaît le droit de mener une vie privée et familiale normale, le droit à l'épanouissement personnel et le droit à la santé ;

- il méconnaît le principe de respect de l'intégrité physique et du corps humain ;

- il méconnaît le principe de précaution consacré par l'article 5 de la Charte de l'environnement ;

- il méconnaît le droit au respect du secret médical ;

- il méconnaît la liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2022, le département du Cher, représenté par le président du conseil départemental, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire, demande au tribunal de réduire la somme réclamée par la requérante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à de plus justes proportions.

Il soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

Vu la décision attaquée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

- la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention d'Oviedo du 4 avril 1997 ;

- le règlement 2021/953 du 14 juin 2021 ;

- la directive 2001/20/CE du 4 avril 2001 ;

- le code civil ;

- le code de la santé publique ;

- le code de l'environnement ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 16 janvier 1986 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente-rapporteure,

- et les conclusions de M. Joos, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D B a été recrutée par le conseil départemental du Cher en 2012 pour exercer les fonctions de puéricultrice en vertu d'un contrat à durée déterminée. Ce contrat a ensuite été renouvelé sans discontinuité jusqu'au 1er février 2019, date à laquelle elle a été titularisée dans ces fonctions. Le 30 août 2021, elle a été placée en congé de maladie ordinaire prolongé jusqu'au 1er mars 2022. Le 30 novembre 2021, Mme B a été rendue destinataire d'un courrier l'invitant à fournir le document permettant de justifier son schéma vaccinal complet avant le 6 décembre 2021. En l'absence de fourniture de ce justificatif dans le délai prescrit, le président du conseil départemental du Cher, par un arrêté du 13 décembre 2021, l'a suspendue de ses fonctions et a interrompu sa rémunération jusqu'à ce qu'elle produise un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Mme B demande l'annulation de cet arrêté ainsi qu'à titre principal, sa réintégration ou, à titre subsidiaire, un réexamen de sa situation et, en tout état de cause, le versement de sa rémunération.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : () 2° Les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique, lorsqu'ils ne relèvent pas du 1° du présent I ; () ". Aux termes de l'article 13 de cette loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12. Avant la fin de validité de ce certificat, les personnes concernées présentent le justificatif prévu au premier alinéa du présent 1°. / Un décret détermine les conditions d'acceptation de justificatifs de vaccination, établis par des organismes étrangers, attestant de la satisfaction aux critères requis pour le certificat mentionné au même premier alinéa ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics. () III. - Le certificat médical de contre-indication mentionné au 2° du I du présent article peut être contrôlé par le médecin conseil de l'organisme d'assurance maladie auquel est rattachée la personne concernée. Ce contrôle prend en compte les antécédents médicaux de la personne et l'évolution de sa situation médicale et du motif de contre-indication, au regard des recommandations formulées par les autorités sanitaires. / IV. - Les employeurs et les agences régionales de santé peuvent conserver les résultats des vérifications de satisfaction à l'obligation vaccinale contre la covid-19 opérées en application du deuxième alinéa du II, jusqu'à la fin de l'obligation vaccinale. / Les employeurs et les agences régionales de santé s'assurent de la conservation sécurisée de ces documents et, à la fin de l'obligation vaccinale, de la bonne destruction de ces derniers. / V. - Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - A. - A compter du lendemain de la publication de la présente loi et jusqu'au 14 septembre 2021 inclus, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ou le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent B, à compter du 15 septembre 2021 et jusqu'au 15 octobre 2021 inclus, sont autorisées à exercer leur activité les personnes mentionnées au I de l'article 12 qui, dans le cadre d'un schéma vaccinal comprenant plusieurs doses, justifient de l'administration d'au moins une des doses requises par le décret mentionné au II du même article 12, sous réserve de présenter le résultat, pour sa durée de validité, de l'examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 prévu par le même décret. () III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / La dernière phrase du deuxième alinéa du présent III est d'ordre public. Lorsque le contrat à durée déterminée d'un agent public non titulaire est suspendu en application du premier alinéa du présent III, le contrat prend fin au terme prévu si ce dernier intervient au cours de la période de suspension ".

En ce qui concerne les moyens relatifs à la constitutionnalité de la loi du 5 août 2021

3. Aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité ". Aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1. ".

4. Si Mme B soutient que la décision contestée méconnaît les articles 1er, 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le droit à la santé énoncé à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l'article 5 de la charte de l'environnement ainsi que les principes constitutionnels de la liberté d'entreprendre et de la continuité du service public, elle conteste en réalité le principe même de l'obligation vaccinale posé par la loi du 5 août 2021. Ainsi, ces moyens tirés de l'inconstitutionnalité de la loi du 5 août 2021 n'ont pas été présentés dans un mémoire distinct et ne peuvent dès lors qu'être écartés comme irrecevables.

En ce qui concerne les moyens relatifs à la conventionnalité de la loi du 5 août 2021

5. En premier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

6. Le droit à l'intégrité physique fait partie du droit au respect de la vie privée au sens des stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, telles que la Cour européenne des droits de l'homme les interprète. Une vaccination obligatoire constitue une ingérence dans ce droit, qui peut être admise si elle remplit les conditions du paragraphe 2 de l'article 8 et, notamment, si elle est justifiée par des considérations de santé publique et proportionnée à l'objectif poursuivi. Il doit ainsi exister un rapport suffisamment favorable entre, d'une part, la contrainte et le risque présentés par la vaccination pour chaque personne vaccinée et, d'autre part, le bénéfice qui en est attendu tant pour cet individu que pour la collectivité dans son entier, y compris ceux de ses membres qui ne peuvent être vaccinés en raison d'une contre-indication médicale, compte tenu à la fois de la gravité de la maladie, de son caractère plus ou moins contagieux, de l'efficacité du vaccin et des risques ou effets indésirables qu'il peut présenter.

7. L'article 12 de la loi du 5 août 2021 a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 en retenant, notamment, un critère géographique pour y inclure les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, principalement les établissements de santé et des établissements sociaux et médico-sociaux, ainsi qu'un critère professionnel pour y inclure les professionnels de santé afin, à la fois, de protéger les personnes accueillies par ces établissements qui présentent une vulnérabilité particulière au virus de la covid-19 et d'éviter la propagation du virus par les professionnels de la santé dans l'exercice de leur activité qui, par nature, peut les conduire à soigner des personnes vulnérables ou ayant de telles personnes dans leur entourage. Mme B ne remet pas en cause le très large consensus scientifique selon lequel la vaccination contre la covid-19 prémunit contre les formes graves de contamination. Quand bien même celle-ci ne diminuerait que modérément le risque de transmission du virus, elle présente des effets indésirables limités au regard de son efficacité. Il s'ensuit que l'obligation vaccinale pesant sur le personnel exerçant dans un établissement de santé, qui ne saurait être regardée comme incohérente et disproportionnée au regard de l'objectif de santé publique poursuivi, ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le droit à l'épanouissement personnel et le droit à la santé et le principe de respect de l'intégrité physique et du corps humain.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi. "

9. D'une part, les vaccins contre la covid-19 administrés en France ont fait l'objet d'une autorisation conditionnelle de mise sur le marché de l'Agence européenne du médicament, qui procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées et certifiées. Contrairement à ce qui est soutenu, les vaccins ne sauraient dès lors être regardés comme en phase expérimentale. D'autre part, si la requérante fait valoir que la limitation des possibilités de contre-indications individuelles, qui résulte des dispositions contestées, porterait une atteinte potentielle à ce droit, compte tenu des risques révélés par les données de pharmacovigilance, de tels éléments ne sont pas de nature à caractériser un danger de cette nature. Est, par suite, inopérant le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 2 de la convention précitée.

10. En troisième lieu, si Mme B soutient que l'obligation vaccinale porte une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre, garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le législateur a opéré une conciliation équilibrée entre d'une part, le droit pour chacun d'obtenir un emploi et les libertés d'entreprendre et du commerce et de l'industrie, et d'autre part, l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Par suite, le moyen doit être écarté.

11. En quatrième lieu, au regard de ce qui a été dit au point 7, les dispositions de la loi du 5 août 2021 ne créent aucune discrimination prohibée par les articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du protocole n° 12 annexé à cette convention, ni davantage par le règlement n° 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021. Par suite, ces moyens doivent être écartés.

12. En dernier lieu, Mme B ne saurait utilement invoquer la méconnaissance de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui consacre le droit à la liberté et à la sureté, et n'est pas applicable au présent litige. Par suite, le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de la contrariété de la loi du 5 août 2021 à d'autres normes de même nature

13. Si Mme B invoque la contrariété de la décision en litige aux articles 16-1 et 16-3 du code civil, à l'article L. 110-1 du code de l'environnement et à l'article L. 1111-4 du code de la santé publique, il ressort de ses écritures qu'elle conteste, en réalité, l'obligation vaccinale dans son principe, prévue par les dispositions de la loi du 5 août 2021. Ainsi, Mme B ne peut invoquer la contrariété de cette loi aux articles précités qui n'ont pas un rang inférieur au leur dans la hiérarchie des normes, dès lors qu'il n'appartient pas au juge administratif de contrôler la cohésion des dispositions législatives entre elles ni de se prononcer sur l'opportunité de leur contenu.

En ce qui concerne les autres moyens de la requête

14. En premier lieu, la décision attaquée a été signée par M. A C, directeur général des services départementaux du Cher, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par décision du président du Conseil départemental du Cher du 30 septembre 2021, régulièrement publiée. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée ne peut qu'être écarté.

15. En deuxième lieu, l'article 12 de la loi du 5 août 2021 précité, a défini le champ de l'obligation de vaccination contre la covid-19 notamment en retenant alternativement un critère géographique pour y inclure toutes les personnes exerçant leur activité dans un certain nombre d'établissements, et un critère professionnel pour y inclure tous les professionnels de santé. Ce dernier critère conduit à soumettre à l'obligation vaccinale tous les professionnels mentionnés dans la quatrième partie du code de la santé publique quel que soit le lieu d'exercice de leur activité, y compris lorsqu'il ne s'agit pas d'un établissement de santé visé au 1° du I de l'article 12. Or, la profession d'infirmier ou d'infirmière est régie par les articles L. 4311-1 et suivants du code de la santé publique, relevant du titre 1er du livre III de la quatrième partie du code. Il s'ensuit que, même lorsqu'ils exercent leur profession non pas dans un établissement de santé mais au sein d'un service d'une collectivité territoriale, ils entrent dans le champ de l'obligation vaccinale.

16. En l'espèce, Mme B exerce ses fonctions d'infirmière territoriale puéricultrice au sein du département du Cher et doit " assurer la protection et le maintien de la santé de l'enfant dans son environnement ". Ainsi, dès lors que Mme B entre dans le champ des dispositions du 2° I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 précédemment citées, elle est soumise à l'obligation de vaccination contre la covid-19. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du champ d'application de l'obligation vaccinale doit être écarté.

17. En troisième lieu, Mme B soutient que la décision du 13 décembre 2021 par laquelle le président du conseil départemental du Cher l'a suspendue de ses fonctions sans traitement, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination, qui constitue une sanction, est irrégulière car elle n'a pas bénéficié des garanties de la procédure disciplinaire ni de la procédure contradictoire en méconnaissance du principe constitutionnel des droits de la défense. Elle invoque la méconnaissance des articles 81 et 82 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Cependant, la requérante est fonctionnaire territoriale au sein du département du Cher et la loi du 9 janvier 1986 ne lui est donc pas opposable. Elle doit être regardée comme invoquant la méconnaissance de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale. En tout état de cause, en application du B de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, à compter du 15 septembre 2021, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du code de la santé publique ne peuvent plus exercer leur activité : " si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 ". Par suite, lorsque l'autorité administrative suspend le contrat de travail d'un agent public qui ne satisfait pas à cette obligation et interrompt, en conséquence, le versement de son traitement, elle ne prononce pas une sanction à raison d'un éventuel manquement ou agissement fautif commis par cet agent mais se borne à constater que l'agent ne remplit plus les conditions légales pour exercer son activité. Dès lors, le moyen ainsi soulevé par Mme B, tiré de la méconnaissance de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale de ce que la mesure est une sanction disciplinaire déguisée est inopérant et doit être écarté.

18. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : () 2° Infligent une sanction () ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". Au regard de ce qui a été dit précédemment, dès lors que la décision de suspension n'est pas une sanction, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté.

19. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ". Aux termes de l'article L. 121-2 de ce même code : " Les dispositions de l'article L. 121-1, en tant qu'elles concernent les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ne sont pas applicables aux relations entre l'administration et ses agents ".

20. Il résulte de ces dispositions que la procédure contradictoire préalable prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration n'est pas applicable aux agents publics. Par suite, ce moyen, inopérant, doit être écarté.

21. En sixième lieu, en prononçant la mesure contestée sur le fondement de la loi du 5 août 2021, qui n'est pas une sanction disciplinaire, le président du conseil départemental du Cher, n'a pas fait application de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983. Il suit de là que Mme B ne peut invoquer la méconnaissance des dispositions de cet article. Le moyen doit, par suite, être écarté comme inopérant.

22. En septième lieu, la décision contestée, qui est une mesure de suspension d'un agent public ne satisfaisant pas aux obligations légales prévues par la loi du 5 août 2021, n'a pas le caractère d'une mesure de police administrative. Le moyen tiré de ce que la décision attaquée serait une mesure de police administrative qui est inopérant, doit être écarté.

23. En huitième lieu, il ressort des dispositions précitées de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 qu'il appartient à l'agent public, soumis à l'obligation vaccinale, de présenter à son employeur les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. Contrairement à ce que soutient Mme B, il n'incombait donc pas à l'administration de procéder à la réalisation de formalités, telle que la production d'un rapport, avant de prendre sa décision de suspension de fonctions. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que Mme B a notamment reçu un courrier le 30 novembre 2021 l'informant qu'elle devait justifier son schéma vaccinal complet avant le 6 décembre 2021 sous peine d'être suspendue de ses fonctions. La requérante n'a pas présenté le document demandé au conseil départemental du Cher. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la décision litigieuse serait entachée d'un vice de procédure doit être écarté.

24. En neuvième lieu, si Mme B soutient que l'intervention de la décision en litige, révèle nécessairement un échange d'informations protégées par le secret médical, les dispositions de l'article 13 de la loi du 5 août 2021 laquelle impose une obligation vaccinale pour certains personnels, dont Mme B, attribuent aux employeurs le pouvoir de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité. Ainsi, le département du Cher, employeur de la requérante, pouvait contrôler le respect par celle-ci de son obligation vaccinale, sans méconnaître le secret médical. Le moyen doit donc être écarté.

25. En dernier lieu, aux termes de l'article 57 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 : " Le fonctionnaire en activité a droit : / () / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie () ". Il résulte de ces dispositions, ainsi que de celles de la loi du 5 août 2021 précitées, que si le président du Conseil départemental peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question.

26. Il ressort des pièces du dossier que le président du conseil départemental du Cher a suspendu Mme B de ses fonctions d'infirmière puéricultrice à compter du 13 décembre 2021 et interrompu le versement des traitements de celle-ci à compter de cette même date pour ne pas avoir justifié satisfaire à l'obligation vaccinale contre la covid-19. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme B était placée en arrêt maladie de façon ininterrompue depuis le 30 août 2021 et jusqu'au 30 septembre 2022. Dans ces conditions, la décision de suspension sans traitement prise à son encontre par le président du conseil départemental du Cher le 13 décembre 2021 ne pouvait être d'effet immédiat et devait voir son entrée en vigueur différée au terme de son congé de maladie. Dès lors, Mme B est fondée à soutenir que cette décision est entachée d'une erreur de droit en tant qu'elle prend effet à compter du 13 décembre 2021.

27. Il résulte de ce qui précède que l'arrêté du 13 décembre 2021 prononçant la suspension de Mme B est annulé en tant que cet arrêté prend effet à compter du 13 décembre 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

28. Eu égard au moyen d'annulation retenu, il y a lieu d'enjoindre au conseil départemental du Cher de procéder, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement, à la régularisation de la situation de Mme B en la rétablissant dans ses droits à rémunération et reconstitution de carrière depuis le 13 décembre 2021. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais de justice :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département du Cher sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros à verser à Mme B au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la requérante, qui n'est pas la partie perdante dans cette instance, la somme que le département du Cher demande au titre de ces dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : L'arrêté du 13 décembre 2021 prononçant la suspension de Mme B est annulé en tant que cet arrêté prend effet à compter du 13 décembre 2021.

Article 2 : Il est enjoint au département du Cher de procéder à la régularisation de la situation de Mme B en la rétablissant dans ses droits à rémunération et reconstitution de carrière depuis le 13 décembre 2021, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Il est mis à la charge du département du Cher une somme de 1 000 euros à verser à Mme B au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête et les conclusions du département du Cher présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme D B et au département du Cher.

Délibéré après l'audience du 5 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Lefebvre-Soppelsa, présidente,

Mme Best-De Gand, première conseillère,

Mme Keiflin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 décembre 2023.

La présidente-rapporteure,

Anne LEFEBVRE-SOPPELSA

L'assesseure la plus ancienne,

Armelle BEST-DE GANDLa greffière,

Nadine PENNETIER-MOINET

La République mande et ordonne au préfet du Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.