Conseil d'Etat

Décision du 21 décembre 2023 n° 488601

21/12/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM), M. B G, M. H A, M. E C et Mme F D demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2023-822 du 25 août 2023 modifiant le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l'article 232 du code général des impôts ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ;

- la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 ;

- le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Le I de l'article 232 du code général des impôts prévoit, dans sa rédaction issue de l'article 73 de la loi du 30 décembre 2022 de finances pour 2023, que la taxe annuelle sur les logements vacants est applicable, outre dans les communes appartenant à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants qu'il mentionne dans un 1°, " () / 2° Dans les communes ne respectant pas les conditions prévues au 1° du présent I où il existe un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements entraînant des difficultés sérieuses d'accès au logement sur l'ensemble du parc résidentiel existant, qui se caractérisent notamment par le niveau élevé des loyers, le niveau élevé des prix d'acquisition des logements anciens ou la proportion élevée de logements affectés à l'habitation autres que ceux affectés à l'habitation principale par rapport au nombre total de logements ". Il renvoie à un décret le soin de fixer la liste des communes où la taxe est instituée. Aux termes du premier alinéa du I de l'article 1407 ter du même code, dans sa rédaction issue du même article 73 : " Dans les communes classées dans les zones géographiques mentionnées au I de l'article 232, le conseil municipal peut, par une délibération (), majorer d'un pourcentage compris entre 5 % et 60 % la part lui revenant de la cotisation de taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale due au titre des logements meublés ".

2. Pour l'application de ces dispositions, le décret du 25 août 2023 contesté a modifié l'annexe au décret du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants, notamment pour établir la liste des communes autres que celles appartenant à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants dans lesquelles sont applicables la taxe annuelle sur les logements vacants et, sur délibération du conseil municipal, la majoration de la taxe d'habitation sur les logements meublés non affectés à l'habitation principale. La Fédération des associations de résidents des stations de montagne (FARSM) et quatre propriétaires de résidences secondaires situées dans des stations de montagne demandent l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret. Eu égard aux moyens soulevés, cette requête doit être regardée comme tendant uniquement à l'annulation du 2° de l'annexe au décret du 25 août 2023 en tant qu'il inclut des communes situées dans des zones de montagne.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé, y compris pour la première fois en cassation, à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat ou la Cour de cassation () ". Il résulte des dispositions de cet article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Eu égard à la teneur de leur argumentation, la FARSM et autres doivent être regardés comme demandant au Conseil d'Etat, à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions combinées du 2° du I de l'article 232 du code général des impôts et du I de l'article 1407 ter du même code, dans leur version issue de la loi de finances pour 2023.

5. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. En se bornant à faire état de deux exemples des effets des dispositions issues de la loi de finances pour 2023, qui conduiraient à des augmentations de taxes d'habitation de 432 et 760 euros, et de considérations générales relatives à l'importance, en conséquence de ces dispositions, de la part relative, dans le produit des taxes locales perçu par les communes touristiques, des impositions acquittées par les propriétaires de résidences secondaires, à la contribution de ces propriétaires à la vie de ces communes et aux conditions dans lesquelles certains d'entre eux ont financé l'acquisition de leur bien, les requérants n'apportent aucun élément de nature à établir qu'en adoptant les dispositions du 2° du I de l'article 232 du code général des impôts et du I de l'article 1407 ter du code général des impôts, le législateur ne se serait pas fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'est fixé ou aurait fait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives, en méconnaissance des principes garantis par les articles 6 et 13 de Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

7. Les dispositions contestées n'ayant par ailleurs ni pour objet ni pour effet de conduire à une privation du droit de propriété ou à une restriction de son exercice, elles ne sauraient non plus porter atteinte aux droits garantis par les article 17 et 2 de cette Déclaration.

8. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens de la requête :

9. En premier lieu, aux termes de l'article 22 de la Constitution : " Les actes du Premier ministre sont contresignés, le cas échéant, par les ministres chargés de leur exécution ". S'agissant d'un acte règlementaire, les ministres chargés de son exécution sont ceux qui ont compétence pour signer ou contresigner les mesures que comporte nécessairement l'exécution de cet acte. Les requérants n'établissant ni même n'alléguant que le décret attaqué appellerait des mesures réglementaires ou individuelles d'exécution de la part du ministre de l'intérieur et des outre-mer, le moyen tiré de l'irrégularité de ce décret pour ne pas être contresigné par ce ministre ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, les requérants font valoir que ce décret serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation au motif que figurent dans sa liste annexée des communes dotées d'un faible nombre d'habitants, en rupture avec l'objectif initial de la mesure qui concernait uniquement des communes situées dans d'importantes zones d'urbanisation ne présentant pas une situation comparable en termes d'accès au logement. Toutefois, alors que l'extension du dispositif en cause aux communes n'appartenant pas à une zone d'urbanisation continue de plus de cinquante mille habitants résulte directement des dispositions législatives citées au point 1, les requérants ne dirigent aucune critique utile contre la liste des communes figurant au 2° de l'annexe de ce décret au regard des critères précis mentionnés au 2° du I de l'article 232 du code général des impôts. Le moyen ne peut par suite qu'être écarté. Il en est de même du moyen tiré de l'absence de traitement différencié, au sein d'une même commune, des zones à tension immobilière forte et des zones où cette tension est faible, voire nulle, dès lors que c'est la loi elle-même qui prévoit d'apprécier l'existence d'un déséquilibre marqué entre l'offre et la demande de logements uniquement à l'échelle des communes.

11. Il résulte de ce tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret qu'ils attaquent.

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres.

Article 2 : La requête de la Fédération des associations de résidents des stations de montagne et autres est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la Fédération des associations de résidents des stations de montagne, premier requérant dénommé, et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré à l'issue de la séance du 6 décembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Philippe Ranquet, M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Pierre Boussaroque, conseillers d'Etat et Mme Alianore Descours, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteure.

Rendu le 21 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Alianore Descours

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Code publication

C