Conseil d'Etat

Décision du 20 décembre 2023 n° 488696

20/12/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 10 décembre 2021 pris pour l'application au titre de l'année 2021 des dispositions prévues à l'article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, par lequel les ministres de l'économie, des finances et de la relance ainsi que de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont fixé à 791 992 euros le montant de la contribution sur la fiscalité directe locale due par cette communauté de communes, a produit un mémoire, enregistré le 7 avril 2023 au greffe du tribunal administratif de Paris, par lequel elle soulève la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 dans leur version en vigueur depuis le 31 décembre 2020.

Par une ordonnance n° 2204240 du 2 octobre 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales, le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques.

Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, celle tenant au caractère sérieux ou nouveau de la question posée.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 ;

- la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

Sur les dispositions contestées :

2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de l'article 138 de la loi du 29 décembre 2016 de finances pour 2017 : " (...). A compter de 2017, le montant de la dotation d'intercommunalité des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de métropole et des départements d'outre-mer, à l'exception de ceux du Département de Mayotte, est minoré de 310,5 millions d'euros. Cette minoration est répartie entre les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, dans les conditions prévues aux troisième à avant-dernier alinéas ". Ces alinéas prévoyaient que cette minoration était répartie entre les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en tenant compte des recettes réelles de fonctionnement de leur budget principal, telles que constatées au 1er janvier 2015, s'agissant de la minoration au titre de l'année 2018. Lorsque cette minoration excédait le montant de la dotation d'intercommunalité susceptible de revenir à un établissement, celui-ci était assujetti, pour le solde restant, à un prélèvement de l'Etat sur les compensations d'exonération dues ou, à défaut, sur le produit de la fiscalité locale.

3. A l'occasion de la réforme de la dotation d'intercommunalité organisée par l'article 250 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, le législateur a maintenu, au II de cet article, pour les seuls établissements publics de coopération intercommunale qui y avaient été assujettis en 2018, le prélèvement précité, en fixant son montant pour les années suivantes à celui appliqué cette même année 2018. Par sa décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré le premier alinéa du II de cet article, dans sa rédaction initiale, instituant le principe de cette reconduction, contraire à la Constitution, au motif que s'il était loisible au législateur de prévoir, dans le cadre de la réforme de la dotation d'intercommunalité, le maintien à titre transitoire du prélèvement auquel certains établissements publics de coopération intercommunale étaient jusqu'alors soumis, afin de garantir qu'ils continueraient à participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques, il ne pouvait, compte tenu de l'objet de ce prélèvement et sans autre possibilité d'ajustement que celle expressément prévue en cas de changement de périmètre d'un établissement, laisser subsister de façon pérenne une différence de traitement reposant uniquement sur la circonstance que l'établissement a été ou non soumis au prélèvement en 2018 sans porter une atteinte caractérisée à l'égalité devant les charges publiques.

4. Le V de l'article 81 de la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021 a modifié le II de l'article 250 susmentionné en y insérant, après son premier alinéa, deux alinéas aux termes desquels : " A compter du prélèvement effectué au titre de l'année 2021, le montant de ce prélèvement est minoré pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le montant des recettes réelles de fonctionnement du budget principal du pénultième exercice par habitant a diminué par rapport à l'année 2015 de plus de 5 % de ces mêmes recettes. / Pour chaque établissement qui remplit la condition mentionnée au deuxième alinéa du présent II, il est calculé l'écart entre les recettes réelles de fonctionnement de son budget principal du pénultième exercice par habitant et les recettes réelles de fonctionnement de son budget principal de l'exercice 2015 par habitant diminuées du pourcentage prévu au même deuxième alinéa. Au titre d'un exercice donné, le prélèvement de chacun de ces établissements est minoré à hauteur de cet écart multiplié par le nombre d'habitants de l'établissement ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

5. A l'appui de sa question prioritaire de constitutionnalité, la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire soutient que les dispositions du II de l'article 250 de la loi de finances pour 2019 tel qu'ainsi modifié méconnaissent, au même titre que leur version initiale, d'une part, les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques, en ce que, en dépit des ajustements précités issus de la loi de finances pour 2021, la reconduction en 2021 du prélèvement opéré en 2018 ne tiendrait toujours pas compte de l'évolution des capacités contributives des établissements redevables et, d'autre part, les principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales, en ce que le prélèvement qu'elle supporte en application de ces dispositions réduirait significativement sa capacité d'autofinancement.

6. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Le principe d'égalité devant les charges publiques ne fait pas obstacle à ce que des situations différentes fassent l'objet d'un traitement différent, sous réserve que le législateur se fonde sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. D'une part, en prévoyant une répartition de la minoration du montant de la dotation d'intercommunalité entre établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre au prorata des recettes réelles de fonctionnement de leur budget principal et la mise à la charge de ces établissements, le cas échéant, du prélèvement mentionné au point 2, le législateur a entendu assurer, ainsi que le Conseil constitutionnel l'a relevé dans sa décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, que tous les établissements publics de coopération intercommunale participent, à hauteur de leur richesse relative, à l'effort de redressement des finances publiques.

8. D'autre part, le législateur a reconduit, à l'identique, chaque année à compter de 2019, le prélèvement opéré en 2018 afin de garantir la participation à ce redressement des établissements qui en étaient redevables à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, tout en prévoyant, à compter de l'année 2021, qu'une baisse des recettes réelles de fonctionnement par habitant du budget principal du pénultième exercice d'un établissement de plus de 5% par rapport à celles prises en compte au jour de la répartition initiale de la minoration induit un ajustement à la baisse de sa participation à l'effort budgétaire de redressement des comptes publics. Ce faisant, par les dispositions contestées telles qu'ainsi complétées, le législateur a entendu s'assurer que la participation de chaque établissement à l'effort sollicité des établissements publics de coopération intercommunale dans leur ensemble n'excède pas, au titre d'un exercice donné, l'effort qui peut lui être demandé compte tenu de sa richesse relative telle que constatée lors du pénultième exercice. Dès lors, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels au regard de l'objectif d'intérêt général rappelé au point 7, auquel répond le dispositif de participation ainsi institué, qui n'entraîne pas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Il n'a, par suite, méconnu ni le principe d'égalité devant la loi, ni le principe d'égalité devant les charges publiques, lesquels n'imposaient pas, contrairement à ce que soutient l'établissement requérant, que le mécanisme d'ajustement en cause tienne compte, en sus des critères de ressources et de population ainsi retenus, des charges incombant aux établissements concernés pour l'exercice des compétences qu'ils exercent.

9. En second lieu, les établissements publics de coopération intercommunale ne constituent pas des collectivités territoriales au sens de l'article 72 de la Constitution. Dès lors, la communauté de communes requérante ne peut utilement soutenir que les dispositions contestées porteraient atteinte aux principes de libre administration et d'autonomie financière des collectivités territoriales.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au tribunal administratif de Paris.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 20 décembre 2023

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

Open data

Code publication

C