Conseil d'Etat

Décision du 20 décembre 2023 n° 488692

20/12/2023

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, à l'appui de sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 décembre 2020 pris pour l'application au titre de l'année 2020 des dispositions prévues à l'article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, par lequel les ministres de l'économie, des finances et de la relance ainsi que de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ont fixé à 791 992 euros le montant de la contribution sur la fiscalité directe locale due par cette communauté de communes, a produit un mémoire, enregistré le 22 mars 2023 au greffe du tribunal administratif de Paris, par lequel elle soulève la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 dans leur version en vigueur du 30 décembre 2019 au 31 décembre 2020.

Par une ordonnance n° 2104692 du 2 octobre 2023, enregistrée le même jour au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la présidente de la 2ème section du tribunal administratif de Paris, avant qu'il soit statué sur la demande de la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, a décidé, en application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat cette question prioritaire de constitutionnalité.

Par la question prioritaire de constitutionnalité transmise, la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales, le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles prévoient que le prélèvement effectué en 2018 en application de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2019 est reconduit chaque année.

Par un mémoire, enregistré le 20 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer indique qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité, celle-ci étant sans objet.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;

- la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 ;

- la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Muriel Deroc, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Thomas Pez-Lavergne, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes du II de l'article 250 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dans sa version initiale : " A compter de 2019, le prélèvement opéré en 2018 en application du troisième alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction antérieure à la présente loi, est reconduit chaque année. / En cas de différence, pour un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre, entre le périmètre constaté au 1er janvier de chaque année et celui existant au 1er janvier de l'année précédente, le prélèvement est recalculé de la manière suivante : / 1° En calculant, la part du prélèvement de l'année précédente afférente à chaque commune membre d'un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre au 1er janvier de l'année précédente, par répartition du montant du prélèvement au prorata de la population de la commune dans la population de l'établissement ; / 2° Puis en additionnant les parts, calculées conformément au 1° du présent II, de chacune des communes que cet établissement regroupe au 1er janvier de l'année en cours ". Le IX de l'article 250 de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 a ajouté à ces dispositions un quatrième alinéa assimilant, pour leur application, à des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre les " communes nouvelles rassemblant toutes les communes membres d'un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et qui n'appartiennent pas à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ". La version résultant de cette modification a été en vigueur entre le 30 décembre 2019 et le 31 décembre 2020.

3. Dans sa rédaction antérieure à la loi de finances pour 2019, le troisième alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales avait prévu une minoration de la dotation d'intercommunalité à compter de 2014, répartie chaque année entre les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre en tenant compte de leurs recettes réelles de fonctionnement constatées au 1er janvier de l'année de répartition dans les derniers comptes de gestion disponibles. Lorsque cette minoration excédait le montant de la dotation d'intercommunalité susceptible de revenir à un établissement, celui-ci était assujetti, pour le solde restant, à un prélèvement de l'État sur les compensations d'exonération dues ou, à défaut, sur le produit de la fiscalité locale.

4. A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle soulève à l'encontre des dispositions du II de l'article 250 de la loi de finances pour 2019, dans leur version issue du IX de l'article 250 de la loi de finances pour 2020, la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire soutient qu'elles méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales, le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques, en ce qu'elles prévoient que le prélèvement, tel qu'opéré en 2018 en application du 3ème alinéa de l'article L. 5211-28 du code général des collectivités territoriales, est ultérieurement reconduit chaque année.

5. En premier lieu, ces dispositions sont applicables au litige par lequel la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire demande l'annulation de l'arrêté du 29 décembre 2020 du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales fixant le montant prélevé, au titre de l'année 2020, sur le produit de la fiscalité locale en ce qui la concerne.

6. En deuxième lieu, ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

7. En troisième lieu, par une décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du premier alinéa du II de l'article 250 de la loi du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dans sa rédaction initiale, au motif que s'il était loisible au législateur de prévoir, dans le cadre de la réforme de la dotation d'intercommunalité, le maintien à titre transitoire du prélèvement auquel certains établissements publics de coopération intercommunale étaient jusqu'alors soumis, afin de garantir qu'ils continueraient à participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques, il ne pouvait, compte tenu de l'objet de ce prélèvement et sans autre possibilité d'ajustement que celle expressément prévue en cas de changement de périmètre d'un établissement, laisser subsister de façon pérenne une différence de traitement reposant uniquement sur la circonstance que l'établissement a été ou non soumis au prélèvement en 2018 sans porter une atteinte caractérisée à l'égalité devant les charges publiques. Si les dispositions contestées par la présente question prioritaire de constitutionnalité sont substantiellement identiques à celles déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la modification introduite par la loi de finances pour 2020 se bornant à étendre, dans certaines conditions, le prélèvement en cause aux communes nouvelles, sans modifier le principe d'un prélèvement sans possibilité, hors cas de changement de périmètre d'un établissement, d'ajustement dans le temps, il ressort de la décision du 15 octobre 2020 que cette déclaration d'inconstitutionnalité et les effets que le Conseil constitutionnel a décidé de lui attacher ne portent que sur la version initiale de l'article 250 de la loi de finances pour 2019 et ne s'étendent pas à sa version immédiatement postérieure. La question n'a donc, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, pas perdu son objet. Il découle en outre des motifs de la décision du 15 octobre 2020 que la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, en soutenant notamment que les dispositions en cause, dans leur version issue de la loi de finances pour 2020, méconnaissent le principe d'égalité devant les charges publiques, soulève une question qui présente un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution du II de l'article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dans sa rédaction issue de la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au tribunal administratif de Paris.

Délibéré à l'issue de la séance du 27 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, M. Thomas Andrieu, présidents de chambre ; M. Frédéric Gueudar Delahaye, M. Philippe Ranquet, M. Hervé Cassagnabère, M. Jonathan Bosredon, Mme Françoise Tomé, conseillers d'Etat et Mme Muriel Deroc, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 20 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Muriel Deroc

La secrétaire :

Signé : Mme Elsa Sarrazin

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