Conseil d'Etat

Décision du 12 décembre 2023 n° 488319

12/12/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme E I, Mme J H, Mme A G, M. F D et Mme C B, à l'appui de leur demande présentée devant le tribunal administratif de Strasbourg tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la délibération n° V-2023-277 du 20 mars 2023 du conseil municipal de Strasbourg, ont produit un mémoire par lequel ils soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 2303444 du 13 septembre 2023, enregistrée le 15 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la cinquième chambre du tribunal administratif de Strasbourg a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée, relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du I de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise et dans un mémoire enregistré le 25 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat par lequel ils demandent en outre au Conseil d'Etat de mettre à la charge de la commune de Strasbourg une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, Mme I et autres soutiennent que ces dispositions sont applicables au litige, n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution et méconnaissent :

- le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par les articles 1er et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;

- le principe d'égalité devant la loi résultant de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la différence de traitement établie entre usagers ne pouvant être regardée comme justifiée par un objectif légitime en rapport avec l'objet de la loi, ni par l'intérêt général ;

- l'obligation pour le législateur d'exercer sa compétence et l'exigence de clarté de la loi résultant de l'article 34 de la Constitution ainsi que l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par deux mémoires enregistrés les 12 octobre et 23 novembre 2023, la commune de Strasbourg conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Elle soutient que la question n'est pas sérieuse.

Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2023, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut à ce que le Conseil d'Etat ne renvoie pas la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. Il soutient que la question posée n'est ni nouvelle, ni sérieuse.

La question prioritaire de constitutionnalité a été communiquée à la Première ministre et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, qui n'ont pas produit d'observations.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de Mme I et autres, et à la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, Rameix, avocat de la commune de Strasbourg.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Il ressort des pièces du dossier que le conseil municipal de Strasbourg a adopté le 20 mars 2023, sur le fondement des dispositions du I de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, une délibération qui modifie la tarification applicable au stationnement sur voirie et en ouvrages. Cette délibération prévoit notamment un tarif de stationnement pour les résidents progressif en fonction de leur revenu fiscal de référence. Mme I et quatre autres conseillers municipaux ont demandé au tribunal administratif de Strasbourg l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération. Par un mémoire distinct, ces mêmes requérants ont saisi le tribunal administratif, qui a transmis cette question au Conseil d'Etat, de la question de la conformité à la Constitution des dispositions du I de l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales issues de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

3. L'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales habilite le conseil municipal, ou l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ou du syndicat mixte compétent pour l'organisation de la mobilité, à instituer par délibération une redevance de stationnement, qui comprend tant un barème tarifaire de paiement immédiat de la redevance qu'un tarif du forfait de post-stationnement, applicable lorsque la redevance correspondant à la totalité de la période de stationnement n'est pas réglée dès le début du stationnement ou est insuffisamment réglée. Aux termes des deux derniers alinéas du I de cet article, tels que modifiés par la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités : " Le barème tarifaire de paiement immédiat est établi en vue de favoriser la fluidité de la circulation, la rotation du stationnement des véhicules sur voirie et l'utilisation des moyens de transport collectif ou respectueux de l'environnement, en prenant en compte un objectif d'équité sociale. () / Le barème tarifaire peut être modulé en fonction de la durée du stationnement, de la surface occupée par le véhicule ou de son impact sur la pollution atmosphérique. () Il peut être réduit en fonction du niveau du revenu des usagers, de leur statut ou du nombre de personnes vivant au sein de leur foyer, en vue de favoriser l'égalité d'accès à la mobilité des personnes en situation de vulnérabilité économique ou sociale ".

4. En premier lieu, selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". Pour assurer le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, le législateur doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. D'une part, il était loisible au législateur de fixer à la loi un nouvel objectif d'équité sociale et de chercher à favoriser l'accès à la mobilité des plus vulnérables, et en conséquence de prévoir que les personnes qui stationnent leur véhicule sur la voie publique pourraient se voir appliquer un tarif établi en fonction du niveau de leurs revenus. S'il en résulte une différence de traitement, celle-ci est justifiée par une différence objective de situation en rapport direct avec l'objet de la loi.

6. D'autre part, en permettant que les tarifs soient réduits en fonction du revenu des usagers, de leur statut, ce qui doit être entendu comme renvoyant au bénéfice de certaines allocations ou aides, et du nombre de personnes composant leur foyer, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l'objet de la loi, dont il ne résulte aucune rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

7. Il résulte de ce qui précède que le grief tiré de l'atteinte portée au principe d'égalité devant la loi et au principe de l'égalité devant les charges publiques ne présente pas, en tout état de cause, un caractère sérieux.

8. En deuxième lieu, la redevance susceptible d'être instituée pour le stationnement des véhicules sur la voirie n'a pas la nature d'une imposition dont seul le législateur serait compétent, en vertu de l'article 34 de la Constitution, pour déterminer l'assiette, le taux et les modalités de recouvrement. Il en résulte que le législateur, en confiant aux autorités compétentes le soin de fixer, dans le cadre qu'il a posé à l'article L. 2333-87 du code général des collectivités territoriales, les tarifs de la redevance de stationnement sur domaine public, n'a pas méconnu sa compétence dans des conditions de nature à affecter le principe d'égalité.

9. Enfin, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution.

10. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

11. La présente décision se borne à statuer sur le renvoi d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel. En conséquence, les conclusions présentées au titre des frais de procédure ne peuvent être portées que devant le juge saisi du litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée. Par suite, les conclusions présentées par Mme I et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme I et autres.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme I et autres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme E I, première dénommée pour l'ensemble des requérants, à la commune de Strasbourg et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 29 novembre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Sophie-Caroline de Margerie, Mme Fabienne Lambolez, conseillères d'Etat ; M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Stéphane Hoynck, conseillers d'Etat ; Mme Sara-Lou Gerber, maître des requêtes et Mme Sylvie Pellissier, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 12 décembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Sylvie Pellissier

Le secrétaire :

Signé : M. Bernard Longieras

Code publication

C