Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 6 décembre 2023 n° 23/02579

06/12/2023

Renvoi

9ème Ch Sécurité Sociale

 

ARRÊT N°

 

N° RG 23/02579 - N° Portalis DBVL-V-B7H-TW5G

 

M. [N] [H]

 

C/

 

[5]

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Copie certifiée conforme délivrée

 

le:

 

à:

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

COUR D'APPEL DE RENNES

 

ARRÊT DU 06 DECEMBRE 2023

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

 

Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre

 

Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère

 

Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère

 

GREFFIER :

 

Mme [W] [S] lors des débats et lors du prononcé

 

DÉBATS :

 

A l'audience publique du 11 Octobre 2023

 

ARRÊT :

 

Contradictoire, prononcé publiquement le 06 Décembre 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats

 

DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:

 

Date de la décision attaquée : 27 Novembre 2020

 

Décision attaquée : Jugement

 

Juridiction : Pole social du TJ de [Localité 3]

 

Références : 19/01402

 

****

 

APPELANT :

 

Monsieur [N] [H]

 

[Adresse 1]

 

[Localité 2]

 

représenté par Me Lara BAKHOS, avocat au barreau de RENNES substitué par Me Constance MORAUD, avocat au barreau de RENNES

 

INTIMÉE :

 

[5]

 

[Adresse 4]

 

Pôle juridique et contentieux

 

[Localité 3]

 

représentée par Mme [G] [D], en vertu d'un pouvoir spécial

 

EXPOSÉ DU LITIGE

 

A la suite d'un contrôle des ressources de son ménage, M. [N] [H] s'est vu notifier le 6 août 2015 par la [5] (la caisse) un indu d'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) pour la période du 1er octobre 2013 au 30 juin 2015, d'un montant total de 8 060,80 euros.

 

Le 18 août 2015, il a contesté cet indu devant la commission de recours amiable puis, en l'absence de décision dans les délais impartis, il a porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Loire-Atlantique le 16 novembre 2015.

 

Lors de sa séance du 1er décembre 2015, la commission a confirmé le bien-fondé et le montant de l'indu notifié.

 

Par ordonnance du 27 novembre 2020, le président de ce tribunal, devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes, a rejeté la demande de M. [H] aux fins de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 815-24 et L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, faute d'avoir été soutenue oralement à l'audience.

 

Par jugement du 27 novembre 2020, ce tribunal devenu le pôle social du tribunal judiciaire de Nantes a :

 

- débouté M. [H] de ses demandes ;

 

- condamné M. [H] à rembourser à la caisse la somme de 8 060,80 euros au titre de l'indu d'ASI versée du 1er octobre 2013 au 30 juin 2015 ;

 

- condamné M. [H] aux dépens ;

 

- débouté les parties de toutes autres demandes plus amples ou contraires.

 

Par déclaration faite par communication électronique au greffe le 18 décembre 2020, M. [H] a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié par lettre du 3 décembre 2020.

 

Le 25 avril 2023, il a déposé un mémoire soulevant une question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L. 815-24 et L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, dans leur version issue de la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008, article 73, en vigueur jusqu'au 31 mars 2020, en ce qu'ils instituent une solidarité financière entre concubins.

 

M. [H] pose ainsi la question suivante :

 

' Les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 815-24 et L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale portent-elles atteintes aux principes protégés par la Constitution, à savoir :

 

- au principe d'égalité devant la loi,

 

- au principe de dignité de la personne humaine,

 

- au droit de mener une vie familiale normale pour l'invalide,

 

- au droit de propriété,

 

- au principe de rupture d'égalité devant les charges publiques ''

 

Par ses écritures parvenues au greffe le 3 octobre 2023, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante à l'audience, la caisse indique s'en rapporter sur la demande de transmission de cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation aux fins de renvoi au Conseil constitutionnel.

 

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 3 mai 2023, qui a fait connaître son avis le 26 juin 2023. Le ministère public entend voir déclarer la question prioritaire de constitutionnalité soulevée recevable et conclut à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, celle-ci présentant un caractère sérieux.

 

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette

 

question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

Devant une juridiction relevant de la Cour de cassation, lorsque le ministère public n'est pas partie à l'instance, l'affaire lui est communiquée dès que le moyen est soulevé afin qu'il puisse faire connaître son avis.

 

En l'espèce, M. [H] prétend que les dispositions du dernier alinéa de l'article L.815-24 et l'article L.815-24-1 du code de la sécurité sociale portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que, en l'absence d'obligation de solidarité financière entre concubins, ces dispositions portent atteinte au principe d'égalité devant la loi, au principe de dignité de la personne humaine, au droit de mener une vie familiale normale pour l'invalide, au droit de propriété, au principe de rupture d'égalité devant les charges publiques.

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution

 

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 25 avril 2023 dans un écrit distinct des conclusions de M. [H], et motivé. Il est donc recevable.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

 

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies:

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

En l'espèce, la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative aux conditions d'application des articles L.815-24 dernier alinéa et l'article L.815-24-1 du code de la sécurité sociale en ce que, en raison d'une situation de concubinage non-déclarée, il a été notifié à M. [H] un indu d'allocation supplémentaire d'invalidité.

 

Cette disposition n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

En outre, elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que ces dispositions instituent une solidarité financière entre concubins puisqu'elles imposent de prendre en compte les revenus du concubin pour l'attribution au bénéficiaire d'un revenu minimum de subsistance. Or, si la personne invalide réside avec toute autre personne n'ayant pas le statut de concubin mais vivant habituellement avec elle afin de lui porter assistance dans les actes quotidiens de la vie courante, elle n'est pas soumise aux mêmes exigences de déclaration de revenus et elle pourra continuer à percevoir son allocation calculée sur ses seuls revenus. Cette différence de traitement dans une situation similaire est de nature à porter atteinte au principe d'égalité devant la loi.

 

Ces dispositions légales placent en outre la personne invalide dans une situation de dépendance financière à l'égard du concubin ou de la concubine qui pourtant au regard des obligations légales applicables entre des personnes non mariées et non pacsées, n'est tenu à aucune obligation de solidarité financière. Au surplus, cette incidence financière est susceptible de peser sur les choix de vie de la personne invalide qui pourrait ne pas vouloir s'installer en concubinage pour cette raison et sur les charges de son concubin qui devra assumer financièrement son compagnon ou sa compagne en lieu et place de la solidarité nationale.

 

Pour l'ensemble de ces considérations, cette question prioritaire de constitutionnalité présente un caractère sérieux.

 

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante, telle qu'elle sera reprise dans le dispositif de la présente décision.

 

PAR CES MOTIFS:

 

Statuant publiquement par arrêt mis à disposition au greffe, rendu contradictoirement et insusceptible de recours indépendamment de l'arrêt sur le fond,

 

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante:

 

' Les dispositions du dernier alinéa de l'article L. 815-24 et L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale portent-elles atteintes aux principes protégés par la Constitution, à savoir :

 

- au principe d'égalité devant la loi,

 

- au principe de dignité de la personne humaine,

 

- au droit de mener une vie familiale normale pour l'invalide,

 

- au droit de propriété,

 

- au principe de rupture d'égalité devant les charges publiques ''

 

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire ;

 

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision.

 

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT