Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1072 QPC du 1er décembre 2023

01/12/2023

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 6 octobre 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1284 du 4 octobre 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Adel M. par Me Marion Sicard, avocate au barreau de Nice. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023-1072 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 103 et 108 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 57-1426 du 31 décembre 1957 instituant un code de procédure pénale.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de procédure pénale ;

– la loi n° 57–1426 du 31 décembre 1957 instituant un code de procédure pénale ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le 25 octobre 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 21 novembre 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article 103 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 31 décembre 1957 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« Les témoins prêtent serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Le juge leur demande leurs nom, prénoms, âge, état, profession, demeure, s’ils sont parents ou alliés des parties et à quel degré ou s’ils sont à leur service. Il est fait mention de la demande et de la réponse ».

2. L’article 108 du même code, dans la même rédaction, prévoit :

« Les enfants au-dessous de l’âge de 16 ans sont entendus sans prestation de serment ». 

3. Le requérant reproche à ces dispositions de soumettre à l’obligation de prêter serment les personnes entendues comme témoin par le juge d’instruction, à la seule exception des mineurs de moins de seize ans. D’une part, il en résulterait une différence de traitement entre les victimes selon qu’elles sont entendues au cours de l’instruction comme témoin ou comme partie civile. D’autre part, il en résulterait également une différence de traitement entre les concubins ou anciens concubins des personnes mises en cause selon qu’ils sont entendus comme témoin par le juge d’instruction ou par la cour d’assises, devant laquelle ils ne sont pas tenus de prêter serment. Elles méconnaîtraient ainsi les principes d’égalité devant la loi et devant la justice.

4. Le requérant fait en outre valoir que ces dispositions priveraient la personne mise en examen de la possibilité de contester les faits évoqués par le témoin déposant sous serment, sauf à invoquer l’existence d’un témoignage mensonger. Elles méconnaîtraient ainsi les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

5. Il soutient enfin que ces dispositions seraient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences constitutionnelles, faute pour le législateur d’avoir étendu à la prestation de serment des témoins au cours de l’instruction les règles applicables devant la cour d’assises.

6. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase de l’article 103 du code de procédure pénale et l’article 108 du même code.

7. En premier lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

8. En application de l’article 81 du code de procédure pénale, le juge d’instruction procède à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Dans ce cadre, l’article 101 du même code prévoit qu’il peut entendre toute personne dont la déposition lui paraît utile.

9. Les dispositions contestées précisent qu’une personne entendue comme témoin par le juge d’instruction est tenue de prêter serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité », sauf s’il s’agit d’un mineur de moins de seize ans.

10. L’obligation ainsi faite au témoin de prêter serment devant le juge d’instruction vise à assurer la sincérité de ses déclarations.

11. D’une part, la victime entendue comme témoin devant le juge d’instruction se trouve dans une situation différente de la partie civile qui s’est constituée afin d’obtenir réparation du préjudice que lui a directement causé l’infraction.

12. D’autre part, l’audition du témoin devant le juge d’instruction constitue un acte d’information accompli pour les besoins des investigations, en vue de la manifestation de la vérité. Elle se distingue de la déposition du témoin devant la cour d’assises qui constitue l’un des éléments de preuve contribuant à l’appréciation de la culpabilité de l’accusé. Dès lors, le législateur a pu prévoir, devant la cour d’assises, une dispense de prêter serment pour le concubin ou l’ancien concubin de l’accusé afin de le préserver du dilemme moral auquel il serait exposé s’il devait choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l’accusé.

13. Il résulte de ce qui précède que les différences de traitement instaurées par les dispositions contestées, qui sont fondées sur une différence de situation, sont en rapport direct avec l’objet de la loi.

14. Par conséquent, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.

15. En second lieu, selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

16. Les dispositions contestées, qui se bornent à prévoir que certains témoins doivent prêter serment lorsqu’ils sont auditionnés par le juge d’instruction, sont sans incidence sur la possibilité pour la personne mise en cause de contester, au cours de l’instruction ou devant la juridiction de jugement, les déclarations du témoin.

17. Dès lors, les griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable doivent être écartés.

18. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent pas non plus le principe d’égalité devant la justice, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – La première phrase de l’article 103 et l’article 108 du code de procédure pénale, dans leur rédaction issue de la loi n° 57–1426 du 31 décembre 1957 instituant un code de procédure pénale, sont conformes à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 30 novembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

 

Rendu public le 1er décembre 2023.

 

Abstracts

4.23.9.6.3

Instruction

Les dispositions contestées des articles 103 et 108 du code de procédure pénale, qui se bornent à prévoir que certains témoins doivent prêter serment lorsqu’ils sont auditionnés par le juge d’instruction, sont sans incidence sur la possibilité pour la personne mise en cause de contester, au cours de l’instruction ou devant la juridiction de jugement, les déclarations du témoin. Rejet des griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

2023-1072 QPC, 1 décembre 2023, paragr. 16 17

5.1.4.5

Droit pénal et procédure pénale

En application de l’article 81 du code de procédure pénale, le juge d’instruction procède à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Dans ce cadre, l’article 101 du même code prévoit qu’il peut entendre toute personne dont la déposition lui paraît utile. Les dispositions contestées précisent qu’une personne entendue comme témoin par le juge d’instruction est tenue de prêter serment de dire « toute la vérité, rien que la vérité », sauf s’il s’agit d’un mineur de moins de seize ans. L’obligation ainsi faite au témoin de prêter serment devant le juge d’instruction vise à assurer la sincérité de ses déclarations. D’une part, la victime entendue comme témoin devant le juge d’instruction se trouve dans une situation différente de la partie civile qui s’est constituée afin d’obtenir réparation du préjudice que lui a directement causé l’infraction. D’autre part, l’audition du témoin devant le juge d’instruction constitue un acte d’information accompli pour les besoins des investigations, en vue de la manifestation de la vérité. Elle se distingue de la déposition du témoin devant la cour d’assises qui constitue l’un des éléments de preuve contribuant à l’appréciation de la culpabilité de l’accusé. Dès lors, le législateur a pu prévoir, devant la cour d’assises, une dispense de prêter serment pour le concubin ou l’ancien concubin de l’accusé afin de le préserver du dilemme moral auquel il serait exposé s’il devait choisir entre mentir ou se taire, sous peine de poursuites, et dire la vérité, pour ou contre la cause de l’accusé. Il résulte de ce qui précède que les différences de traitement instaurées par les dispositions contestées, qui sont fondées sur une différence de situation, sont en rapport direct avec l’objet de la loi. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi.

2023-1072 QPC, 1 décembre 2023, paragr. 8 9 10 11 12 13

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus retreint que les dispositions renvoyées.

2023-1072 QPC, 1 décembre 2023, paragr. 6