Cour de cassation

Arrêt du 29 novembre 2023 n° 23-82.769

29/11/2023

Renvoi

N° S 23-82.769 F-D

 

N° 01566

 

29 NOVEMBRE 2023

 

RB5

 

QPC INCIDENTE : RENVOI AU CC

 

M. BONNAL président,

 

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

________________________________________

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

_________________________

 

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,

DU 29 NOVEMBRE 2023

 

La société de la Fontaine a présenté, par mémoire spécial reçu le 15 septembre 2023, une question prioritaire de constitutionnalité à l'occasion du pourvoi formé par elle contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 8e section, en date du 19 avril 2023, qui a prononcé sur sa requête en incident contentieux d'exécution.

 

Sur le rapport de M. Ascensi, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société de la Fontaine, et les conclusions de M. Courtial, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 29 novembre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, Mme de la Lance, conseiller de la chambre, et Mme Boudalia, greffier de chambre,

 

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

 

1. La question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :

 

« Les dispositions de l'article 710 du Code de procédure pénale, combinées avec celles de l'article 131-21 du Code pénal, en ce qu'elles privent du double degré de juridiction le tiers propriétaire qui sollicite la restitution de son bien confisqué lorsque la peine de confiscation a été prononcée par une juridiction criminelle ou de second degré, méconnaissent-elles le principe d'égalité devant la loi et le droit à un recours effectif garantis par les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 ? ».

 

2. Dès lors que le demandeur a porté son incident contentieux d'exécution devant la chambre de l'instruction qui, en application du deuxième alinéa de l'article 710 du code de procédure pénale, connaît des incidents auxquels peuvent donner lieu les arrêts de la cour d'assises, seul le deuxième alinéa de ce texte, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, est applicable au litige.

 

3. Les dispositions du deuxième alinéa de l'article 710 du code de procédure pénale n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

4. La question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle.

 

5. La question posée présente un caractère sérieux.

 

6. En effet, il résulte du dernier alinéa de l'article 131-21 du code pénal que,

hors le cas mentionné au septième alinéa de ce texte, lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d'un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu'elle revendique et sa bonne foi.

 

7. De plus, la Cour de cassation juge que cette personne est recevable à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation d'un bien lui appartenant, y compris lorsque celle-ci n'a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement, en méconnaissance des dispositions précitées (Crim., 7 septembre 2022, pourvoi n° 21-84.322, publié au Bulletin).

 

8. En revanche, en cas de confiscation d'un bien appartenant à une personne non condamnée pénalement dont le titre est inconnu et qui n'a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure, cette dernière est recevable à soulever, devant la juridiction ayant ordonné la confiscation, un incident contentieux relatif à l'exécution de cette peine, afin de solliciter la restitution du bien lui appartenant, sans que puisse être opposée à l'intéressé l'autorité de la chose jugée de la décision de confiscation (Crim., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-81.741, Bull. crim. 2015, n° 121). La juridiction est alors tenue d'apprécier si, en application des dispositions prévoyant la confiscation, il y a lieu de confirmer cette peine et, à défaut, de prononcer sur la demande de restitution sur le fondement des textes applicables à ce contentieux.

 

9. En matière correctionnelle, l'incident est porté devant le tribunal correctionnel ou la cour d'appel, selon que la confiscation a été prononcée par l'une ou l'autre de ces juridictions. Lorsque l'incident est porté devant le tribunal correctionnel, le requérant peut contester la décision par la voie de l'appel.

 

10. Au contraire, en matière criminelle, en application des dispositions contestées, l'incident est porté devant la chambre de l'instruction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'être attaquées par la voie de l'appel.

 

11. Il en résulte une différence de traitement entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués selon que la confiscation a été prononcée par un tribunal correctionnel ou par une cour d'assises.

 

12. Or, si une telle différence de traitement pourrait être justifiée par la nécessité de saisir de la difficulté d'exécution la juridiction ayant rendu la décision litigieuse, qui est la plus à même de porter une appréciation à cet égard, cela n'est pas le cas en l'espèce, dès lors que l'incident n'est pas porté devant la cour d'assises mais devant la chambre de l'instruction.

 

13. Il s'en déduit que les dispositions contestées sont susceptibles de procéder à une distinction injustifiée entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués et d'ainsi méconnaître le principe d'égalité devant la justice.

 

14. En conséquence, il y a lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

 

PAR CES MOTIFS, la Cour :

 

RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité en tant qu'elle porte sur le deuxième alinéa de l'article 710 du code de procédure pénale dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 ;

 

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en audience publique du vingt-neuf novembre deux mille vingt-trois.

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