Tribunal administratif de Paris

Jugement du 22 novembre 2023 n° 2117187

22/11/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 9 août 2021, M. B A, représenté par Me Colard, demande au tribunal :

1°) de prononcer la réduction, à hauteur de 262 785 euros, de la cotisation d'impôt sur le revenu qu'il a acquittée au titre de l'année 2019, à raison d'un montant de contribution sociale généralisée déductible de cet impôt auquel il a droit ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que la règle de plafonnement de la contribution sociale généralisée déductible de l'impôt sur le revenu applicable aux contribuables bénéficiant de l'abattement renforcé prévu par les dispositions de l'article 150-0 D du code général des impôts méconnaît les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 11 août et 28 octobre 2021, M. A demande au tribunal de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans sa rédaction telle que modifiée par l'article 67 de la loi de finances n° 2017-1837 du 30 décembre 2017.

Il soutient que :

- la disposition contestée est applicable au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur sa conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

- cette disposition est contraire au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que des contribuables placés dans une situation identique font l'objet d'un traitement différent par la loi fiscale, sans que cette différence de traitement ne réponde à un objectif d'intérêt général ;

- elle est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en raison, d'une part, de l'absence de mise en œuvre par le législateur de critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi et, d'autre part, de l'incohérence des critères retenus.

Par des mémoires, enregistrés les 14 octobre et 15 novembre 2021, le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de Paris fait valoir que la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'État.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2021, le directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de Paris conclut au rejet de la requête.

Il soutient que le moyen soulevé par M. A n'est pas fondé.

Par une ordonnance du 7 février 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le premier protocole additionnel à cette convention ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Khansari,

- les conclusions de Mme Belle, rapporteure publique,

- et les observations de Me Colard, représentant M. A.

Considérant ce qui suit :

1. M. A a cédé des valeurs mobilières en 2018, qui ont dégagé une plus-value imposable à l'impôt sur le revenu, aux prélèvements sociaux et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus pour un montant de 13 689 953 euros. En application des dispositions du

2 de l'article 200 A du code général des impôts, il a opté pour l'imposition de cette plus-value au barème progressif de l'impôt sur le revenu. En application des dispositions du 1 quater de l'article 150-0 D du même code, il a bénéficié d'un abattement renforcé de 85 % applicable, pour l'impôt sur le revenu, aux gains de cession de titres d'une petite et moyenne entreprise de moins de dix ans à la date de souscription ou d'acquisition des titres. En application des dispositions de l'article 154 quinquies du même code, M. A a également bénéficié, au titre de l'année de paiement de la contribution sociale généralisée due sur la plus-value susmentionnée, soit en 2019, d'une déduction partielle de la contribution sociale généralisée assise sur les plus-values de cession de valeurs mobilières de ses revenus imposables. Cette déduction a été plafonnée à 1,02 %, soit 139 766 euros, au lieu de 6,8 %, soit 930 916 euros. Par la présente requête, le requérant, qui conteste ce montant de contribution sociale généralisée déductible, demande la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu qu'il a acquittée au titre de l'année 2019, à hauteur de 262 785 euros.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

4. Aux termes de l'article 154 quinquies du code général des impôts : " I. - Pour la détermination des bases d'imposition à l'impôt sur le revenu, la contribution prévue à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale au titre des revenus d'activité et de remplacement est, à hauteur de 6,8 points ou, pour les revenus mentionnés au II de l'article L. 136-8 du même code, à hauteur de 3,8 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 3,8 % ou 6,2 %, à hauteur de 4,2 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 6,6 % et à hauteur de 5,9 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 8,3 %, admise en déduction du montant brut des sommes payées et des avantages en nature ou en argent accordés, ou du bénéfice imposable, au titre desquels la contribution a été acquittée. La contribution prévue au 6° du II de l'article L. 136-2 du même code est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement. II. - La contribution afférente aux revenus mentionnés aux a à e et f du I et au II de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux premier alinéa et 1° du I de l'article L. 136-7 du même code, imposés dans les conditions prévues à l'article 197 du présent code, est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement, à hauteur de 6,8 points. La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour : a) Les gains mentionnés à l'article 150-0 A qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ; b) Les avantages salariaux mentionnés au I de l'article 80 quaterdecies qui bénéficient des abattements prévus aux 1 ter ou 1 quater de l'article 150-0 D, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2018, de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ou de l'abattement de 50 % prévu au 3 de l'article 200 A ".

5. D'une part, M. A soutient que les dispositions précitées du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts sont contraires au principe d'égalité devant la loi, garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors que des contribuables placés dans une situation identique font l'objet d'un traitement différent par la loi fiscale, sans que cette différence de traitement ne réponde à un objectif d'intérêt général. À l'appui de ce moyen, il fait valoir que les contribuables cédant des valeurs mobilières et ayant opté pour l'application du barème progressif de l'impôt sur le revenu sont placés dans une situation identique. Toutefois, il ressort des termes mêmes de la requête et du tableau récapitulatif produit par le requérant que ces contribuables se trouvent dans des situations différentes selon qu'ils bénéficient d'un abattement fixe pour départ à la retraite, d'un abattement renforcé ou d'un abattement de droit commun, ces deux derniers types d'abattement présentant au demeurant des variations de taux en fonction de la durée de détention des titres cédés. Ainsi que le fait valoir l'administration en défense, la présence, dans les trois cas, d'une cession de valeurs mobilières d'une part et de l'application d'un abattement sur la plus-value d'autre part ne suffit pas à caractériser une identité de situation excluant un traitement différent ou nécessitant une justification spécifique. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que la distinction établie serait contraire à l'objet de la loi, qui était de limiter les effets d'aubaine concernant le droit à déduction pour les revenus du capital bénéficiant d'un abattement.

6. D'autre part, M. A soutient que les dispositions précitées du II de l'article 154 du code général des impôts sont contraires au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en raison, d'une part, de l'absence de mise en œuvre par le législateur de critères objectifs et rationnels en rapport avec le but poursuivi et, d'autre part, de l'incohérence des critères retenu. Toutefois, l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose seulement que l'imposition soit établie en tenant compte des capacités contributives des redevables. Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. Les dispositions contestées, qui plafonnent la fraction de contribution sociale généralisée déductible du montant de l'impôt sur le revenu dû sur les plus-values de cession de titres bénéficiant de l'abattement renforcé prévu par les dispositions du 1 quater de l'article 150-0 D du code général des impôts, ne sauraient par elles-mêmes présenter un caractère confiscatoire.

7. Il suit de là que les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme étant contraires aux articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui ne présente pas de caractère sérieux.

Sur le bien-fondé de l'imposition :

8. M. A soutient que la règle de plafonnement de la contribution sociale généralisée déductible applicable aux contribuables bénéficiant de l'abattement renforcé prévu par les dispositions de l'article 150-0 D du code général des impôts méconnaît les stipulations combinées des articles 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 5, les contribuables bénéficiant d'un abattement renforcé et ceux bénéficiant d'un abattement de droit commun ne se trouvent pas dans une situation identique. Le moyen doit donc être écarté.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A doit être rejetée, en toutes ses conclusions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. A et au directeur régional des finances publiques d'Île-de-France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Vidal, présidente,

Mme Grossholz, première conseillère,

M. Khansari, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2023.

Le rapporteur,

A. KHANSARI

La présidente,

S. VIDAL La greffière,

S. RUBIRALTA

La République mande et ordonne au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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Code publication

C