Conseil d'Etat

Décision du 21 novembre 2023 n° 474359

21/11/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme F C, agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de ses filles mineures E B C et D A, a demandé à la Cour nationale du droit d'asile d'annuler la décision du 18 mai 2022 par laquelle l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a rejeté leurs demandes d'asile.

Par une décision nos 22034143, 22034147, 22034063 du 18 octobre 2022, la Cour nationale du droit d'asile a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 22 mai et 22 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme C demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Anne Sevaux, Paul Mathonnet, son avocat, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire distinct, enregistré le 22 août 2023, Mme F C demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 532-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Philippe Bachschmidt, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de Mme F C ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme C, agissant en son propre et au nom de ses deux filles mineures, se pourvoit en cassation contre la décision du 18 octobre 2022 par laquelle la Cour nationale du droit d'asile a rejeté son recours formé contre la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 18 mai 2022 ayant rejeté les demandes d'asile présentées en son nom propre et au nom de ses deux filles mineures.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 532-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les débats devant la Cour nationale du droit d'asile ont lieu en audience publique après lecture du rapport par le rapporteur () ". Aux termes de l'article L. 532-12 du même code : " Les requérants peuvent présenter leurs explications à la Cour nationale du droit d'asile et s'y faire assister d'un conseil et d'un interprète ".

4. Mme C demande que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions précitées de l'article L. 532-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Elle soutient qu'en ne prévoyant pas une retranscription écrite des débats ayant eu lieu lors de l'audience devant la Cour nationale du droit d'asile, ces dispositions sont entachées d'incompétence négative et privent de garanties légales le droit d'asile reconnu par le quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.

5. Pour établir l'existence d'une atteinte au droit d'asile reconnu par la Constitution, Mme C soutient que le défaut de retranscription des échanges ayant eu lieu devant la Cour nationale du droit d'asile méconnaît le droit à un recours effectif devant le juge de cassation. Toutefois, l'auteur d'un pourvoi en cassation contre une décision de cette juridiction n'est pas privé de la possibilité de contester devant le Conseil d'Etat l'exactitude des propos que la Cour lui a prêtés ni la régularité des conditions dans lesquelles se sont tenus les débats devant elle. Ainsi, en ne prévoyant pas l'établissement d'un procès-verbal des échanges tenus devant la Cour nationale du droit d'asile, le législateur n'a ni méconnu l'étendue de sa compétence ni porté atteinte au droit à un recours effectif ou, en tout état de cause, au droit d'asile.

6. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur le pourvoi de Mme C :

7. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

8. Pour demander l'annulation de la décision qu'elle attaque, Mme C soutient que la Cour nationale du droit d'asile l'a entachée :

- d'irrégularité en l'ayant exposée à une victimisation secondaire en méconnaissance des articles 3 et 8 combinés de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- d'irrégularité en s'abstenant d'édicter un procès-verbal de l'audience qui s'est tenue devant elle, en méconnaissance des articles 3, 8 et 13 combinés de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- d'erreur de droit et de dénaturation en jugeant que la circonstance que son départ de Côte d'Ivoire pour la Tunisie serait motivé par des seules considérations économiques rendait sans objet les craintes qu'elle invoquait ;

- d'erreur de droit et de dénaturation en jugeant que les faits qu'elle avait rapportés n'étaient pas établis et que les craintes qu'elle énonçait étaient infondées.

9. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme C.

Article 2 : Le pourvoi de Mme C n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme F C et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Code publication

C