Cour d'Appel de Lyon

Arrêt du 21 novembre 2023 n° 23/07869

21/11/2023

Non renvoi

AFFAIRE DU CONTENTIEUX DE LA PROTECTION SOCIALE

 

RAPPORTEUR

 

R.G : N° RG 23/07869 - N° Portalis DBVX-V-B7H-PH3G

 

[C]

 

C/

 

CAF DU RHONE

 

APPEL D'UNE DÉCISION DU :

 

Pole social du TJ de VILLEFRANCHE-SUR-SAÔNE

 

du 22 Avril 2021

 

RG : 20/00011

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

COUR D'APPEL DE LYON

 

CHAMBRE SOCIALE D

 

PROTECTION SOCIALE

 

ARRÊT DU 21 NOVEMBRE 2023

 

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE DU 02 OCTOBRE 2023

 

APPELANT :

 

[L] [C]

 

né le 20 Décembre 1985 à [Localité 5]

 

[Adresse 1]

 

[Localité 4]

 

représenté par Me Pauline VENET-LECOQUIERE, avocat au barreau de VILELFRANCHE SUR SAONE

 

INTIMEE :

 

CAF DU RHONE

 

[Adresse 2]

 

[Localité 3]

 

représentée par Mme [B] [F] (Membre de l'entrep.) en vertu d'un pouvoir général

 

DÉBATS EN AUDIENCE PUBLIQUE DU : 17 Octobre 2023

 

Présidée par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Présidente, magistrat rapporteur, (sans opposition des parties dûment avisées) qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré, assistée pendant les débats de Anais MAYOUD, Greffière

 

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :

 

- Delphine LAVERGNE-PILLOT, présidente

 

- Vincent CASTELLI, conseiller

 

- Nabila BOUCHENTOUF, conseillère

 

ARRÊT : CONTRADICTOIRE

 

Prononcé publiquement le 21 Novembre 2023 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile ;

 

Signé par Delphine LAVERGNE-PILLOT, Magistrate, et par Anais MAYOUD, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

********************

 

FAITS CONSTANTS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS

 

Le 20 février 2013, M. [C] et Mme [P] ont présenté à la caisse d'allocations familiales du Rhône (la CAF) une demande de complément de libre choix du mode de garde (CMG) pour la garde de leur fils [Y], né le 23 novembre 2012, désignant Mme [P] comme l'employeur principal de l'assistance maternelle.

 

Le 13 avril 2014, leur deuxième enfant, [O], est née.

 

Le 10 juin 2017, M. [C] et Mme [P] se sont mariés puis se sont séparés le 30 décembre 2017, mettant en place une résidence alternée pour leurs deux enfants.

 

Par ordonnance de non-conciliation du 1er octobre 2018, le juge aux affaires familiales a fixé la résiduelle habituelle des deux enfants au domicile paternel.

 

Le 13 novembre 2018, M. [C] a effectué une demande de CMG à la CAF qui lui a adressé, le même jour, une notification d'ouverture du droit à CMG à compter du mois de novembre 2018.

 

Par lettre du 26 février 2019, le centre national PAJEMPLOI a réclamé à M. [C] le règlement des cotisations salariales afférentes à la période du 1er février au 30 octobre 2018 au cours de laquelle il n'avait pas bénéficié du CMG, soit la somme totale de 4 027,13 euros.

 

M. [C] a par la suite bénéficié d'un rappel de CMG pour le mois d'octobre 2018, réduisant le montant des cotisations dues à la somme de 3 585,15 euros.

 

Par lettre du 13 mars 2019, M. [C] a saisi la commission de recours amiable de la CAF aux fins d'obtenir le bénéfice du CMG à compter du mois de février 2018.

 

Sa demande a été rejetée par décision du 21 novembre 2019.

 

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 23 janvier 2020, il a saisi le tribunal judiciaire aux fins de contester la décision de rejet de la commission de recours amiable.

 

Par jugement du 22 avril 2021, le tribunal :

 

- déboute M. [C] de sa demande,

 

- confirme la décision de la commission de recours amiable du 21 novembre 2019

 

- dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens

 

M. [C] a relevé appel de cette décision.

 

Par mémoire distinct reçu au greffe le 2 octobre 2023 et repris oralement sans ajout ni retrait au cours des débats, il soulève deux questions prioritaires de constitutionnalité.

 

A l'audience, la CAF conclut au rejet de la demande de question prioritaire de constitutionnalité.

 

Le parquet général a transmis son avis le 17 octobre 2023, communiqué aux parties le même jour. Il conclut à la non-transmission des deux questions prioritaires de constitutionnalité en raison de l'absence de caractère sérieux de ces dernières.

 

En application de l'article 455 du code de procédure civile, la cour se réfère, pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, à leurs dernières conclusions sus-visées.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

Les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par M. [C] sont libellées comme suit :

 

« - L'article L. 513-1 du code de la sécurité sociale, édictant une règle de l'unicité de l'allocataire signifiant que, lorsque deux personnes assument la charge effective et permanente d'un enfant, en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents, seul un membre du couple peut prétendre au bénéfice des prestations familiales au titre de cet enfant, est-il contraire au principe d'égalité et à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen '

 

- Les articles L. 513-1 et L. 531-5 du code de la sécurité sociale, édictant une règle de l'unicité de l'allocataire signifiant que, lorsque deux personnes assument la charge effective et permanente d'un enfant, en cas de résidence alternée de l'enfant au domicile de chacun des parents, seul un membre du couple peut prétendre au bénéfice du complément libre-chois mode de garde, sont-ils contraires au principe d'égalité et à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ' »

 

M. [C] expose que ces dispositions sont applicables au présent litige, qu'elles n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel et qu'elles présentent un caractère sérieux. Il se reporte par ailleurs à la décision rendue par le Conseil d'Etat le 19 mai 2021 (n° 435429) qui annule le refus du premier ministre d'abroger le premier alinéa de l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale à la la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la Sécurité sociale pour 2023 qui modifie les dispositions contestées en permettant aux parents ayant des enfants en résidence alternée de partager le bénéfice du CMG.

 

Il considère que les dispositions combinées des articles L. 513-1 et L. 531-5 du code de la sécurité sociale et, plus précisément la règle de l'unicité de l'allocataire des prestations versées par la CAF,sont contraires au principe d'égalité devant la loi et, par suite, à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Il invoque la rupture d'égalité entre parents en ce qu'elles privent le parent qui a également la charge effective et permanente de l'enfant dans le cas d'une résidence alternée des familiales pendant toute la durée où l'autre parent est allocataire. Il fait le même constat s'agissant de la déclaration des salaires de l'assistante maternelle.

 

La CAF répond que ces questions prioritaires de constitutionnalité ne présentent pas de caractère sérieux.

 

Les dispositions contestées sont applicables au présent litige en ce qu'elles prévoient que la règle de l'allocataire unique prime, même en cas de résidence alternée, à propos de demandes de partage du CMG. Elles n'ont, de plus, pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

Cependant, les question posées, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne sont pas nouvelles en tant que telles, et ne présentent pas un caractère sérieux.

 

En effet, le Conseil constitutionnel admet que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit et que le législateur fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il s'est fixés. Cet avis s'applique également aux dispositions légales visées par les questions prioritaires de constitutionnalité déférées à la cour.

 

Surtout, il sera relevé que l'article R. 513-1 du code de la sécurité sociale, qui instaure le principe de l'allocataire unique en prévoyant que la qualité d'allocataire accordée à celui qui a le droit aux prestations familiales n'est reconnu qu'à une personne au titre d'un même enfant, ne peut fonder une question prioritaire de constitutionnalité eu égard à sa nature réglementaire.

 

De plus, s'agissant des dispositions législatives tirées des articles L. 513-1 et L 531-5 du code de la sécurité sociale contestées, qui prévoient, ensemble, que les prestations familiales et le CMG sont dues à la personne physique qui assume la charge effective et permanente de l'enfant, sont justifiées par la nécessité d'exercer un contrôle des conditions de l'accueil des enfants. Il ne saurait, dès lors, être sérieusement soutenu qu'elles méconnaissent les exigences du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, étant ajouté que les dispositions de l'article L. 513-1, applicables au versement du complément de libre choix du mode de garde d'enfant prévu par l'article L. 531-5, ne font pas obstacle, par elles-mêmes, à l'attribution à due concurrence au cours d'une même année de la qualité d'allocataire aux parents qui assument, dans le cadre de la résidence alternée, la charge d'un enfant. La règle de l'unicité de l'allocataire ne s'oppose pas à ce que le droit aux prestations familiales soit reconnu alternativement à chacun des parents, en fonction de leur situation respective et des règles particulières à chaque prestation.

 

Enfin, la loi n° 2022-1616 du 23 décembre 2022 de financement de la sécurité sociale pour 2023 qui modifie les dispositions contestées en permettant aux parents ayant des enfants en résidence alternée de partager le bénéfice du CMG est sans emport sur les situations antérieures en ce qu'elle n'opère aucun effet rétroactif. Quant à la décision du Conseil d'Etat du 19 mai 2021 invoquée par M. [C], il est relatif à l'article R. 513-1 précité et, par suite, inopérant sur l'appréciation du caractère sérieux des questions prioritaires de constitutionnalité soumises à la cour.

 

En définitive, les articles L. 513-1 et L. 531-5 du code de la sécurité sociale ne créent aucune distinction entre les personnes physiques qui assument la charge effective et permanente de l'enfant et ne privent donc aucun des deux parents dès lors qu'ils assument la charge effective et permanente des enfants dans le cadre d'une résidence alternée. Il s'ensuit qu'ils ne portent pas atteinte au principe d'égalité tel que garanti par l'article 6 de la DDHC. .

 

En conséquence, en l'absence de caractère sérieux, il n'y a pas lieu de renvoyer les questions prioritaires de constitutionnalité à la Cour de cassation aux fins de saisine du Conseil constitutionnel.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La cour,

 

Déclare les questions prioritaires de constitutionnalité présentées par M. [C] recevables en la forme,

 

Dit n'y avoir lieu de les transmettre à la Cour de cassation en vue d'une saisine du Conseil constitutionnel.

 

LA GREFFIÈRE LA PRÉSIDENTE