Conseil d'Etat

Décision du 13 novembre 2023 n° 474735

13/11/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les procédures suivantes :

1°) Sous le n° 474735, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 septembre et 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Immobilière Carrefour demande au Conseil d'État, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement n° 2200684 du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon rejetant sa demande en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et taxes annexes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020 dans les rôles de la commune de Chaintré (Saône-et-Loire), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'article 1518 A quinquies et du I de l'article 1518 E du code général des impôts, ainsi que du A du III de l'article 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et du A du V de l'article 30 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

Elle soutient que les dispositions contestées, applicables au litige :

- si elles doivent être interprétées comme réservant la prise en compte des coefficients de localisation pour la mise en œuvre des dispositifs dits de " planchonnement " et de lissage aux seuls cas dans lesquels de tels coefficients ont effectivement été définis en 2016 pour leur application à l'imposition due au titre de l'année 2017, portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ;

- sont entachées d'incompétence négative ;

- portent atteinte au droit à un recours effectif, en ce qu'elles ne précisent pas suffisamment les modalités d'application de ces dispositifs ;

- méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

2°) sous le n° 474736, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 4 septembre et 16 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Immobilière Carrefour demande au Conseil d'État, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement n° 2200685 du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon rejetant sa demande en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et taxes annexes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020 dans les rôles de la commune de Crêches-sur-Saône (Saône-et-Loire), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'article 1518 A quinquies et du I de 1518 E du code général des impôts, ainsi que du A du III de l'article 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et du A du V de l'article 30 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

Elle soutient que les dispositions contestées, applicables au litige :

- si elles doivent être interprétées comme réservant la prise en compte des coefficients de localisation pour la mise en œuvre des dispositifs dits de " planchonnement " et de lissage aux seuls cas dans lesquels de tels coefficients ont effectivement été définis en 2016 pour leur application à l'imposition due au titre de l'année 2017, portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques ;

- sont entachées d'incompétence négative ;

- portent atteinte au droit à un recours effectif, en ce qu'elles ne précisent pas suffisamment les modalités d'application de ces dispositifs ;

- méconnaissent l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

3°) sous le n° 474757, par un mémoire et un nouveau mémoire, enregistrés les 5 septembre et 17 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Leroy Merlin France demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation du jugement n° 2200690 du 4 avril 2023 du tribunal administratif de Dijon rejetant sa demande en décharge des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et des taxes annexes auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2020 dans les rôles de la commune de Mâcon (Saône-et-Loire), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du A du III de l'article 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et du A du V de l'article 30 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017.

Elle soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques, garantis par les articles 6 et 13 de Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles prévoient que la possibilité de majorer la valeur locative des propriétés bâties par l'application de coefficients de localisation de 1,2 ou 1,3 s'applique à compter des impositions établies au titre de l'année 2018 et ne permettent pas d'intégrer ces coefficients aux calculs nécessaires à la mise en œuvre des mécanismes dits de " planchonnement " et de lissage prévus par le III de l'article 1518 A quinquies III et l'article 1518 E du code général des impôts.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010 ;

- la loi n° n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012 ;

- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;

- la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Marie Prévot, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de la société Immobilière Carrefour et à la SCP Thouin-Palat, Boucard avocat de la société Leroy Merlin ;

Vu, sous les nos 474735 et 474736, les notes en délibéré, enregistrées le 23 octobre 2023, présentées par la société Immobilière Carrefour ;

Considérant ce qui suit :

1. La société Immobilière Carrefour et la société Leroy Merlin France soulèvent des questions prioritaires de constitutionnalité identiques portant sur les articles 1518 A quinquies et 1518 E du code général des impôts et sur les articles 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 et 30 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017. Il y a lieu de statuer sur ces questions par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable :

En ce qui concerne la détermination de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels :

2. Les dispositions de l'article 1498 du code général des impôts, dans leur rédaction issue de l'article 30 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 et reprenant, à compter du 1er janvier 2018, celles de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, prévoient que la valeur locative des propriétés bâties est déterminée en fonction de l'état du marché locatif ou, à défaut, par référence aux autres critères prévus par cet article et qu'elle tient compte de la nature, de la destination, de l'utilisation, des caractéristiques physiques, de la situation et de la consistance de la propriété ou fraction de propriété considérée.

3. En prévoyant, par ces dispositions, de nouvelles modalités de détermination et de révision de la valeur locative cadastrale des locaux professionnels, en vue de l'établissement des impositions directes locales, le législateur a entendu fonder l'assiette des impositions frappant les propriétés bâties ayant un usage professionnel, jusque-là fixée par référence aux conditions du marché locatif au 1er janvier 1970, sur leur valeur locative réelle et renforcer ainsi l'adéquation entre ces impositions et les capacités contributives de leurs redevables.

4. A cette fin, le législateur a prévu la constitution de secteurs d'évaluation et le classement des locaux professionnels par sous-groupes, définis en fonction de leur nature et de leur destination et, à l'intérieur de ces sous-groupes, par catégories, en fonction de leur utilisation et de leurs caractéristiques physiques. Il a également prévu la fixation, dans chaque secteur d'évaluation, de tarifs par mètre carré déterminés à partir des loyers moyens constatés par catégorie de propriétés. La valeur locative de chaque propriété bâtie est obtenue par application à sa surface pondérée du tarif par mètre carré correspondant à sa catégorie, modulé, le cas échéant, par l'application d'un coefficient de localisation destiné, en vertu des dispositions du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts, à tenir compte de la situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation. Les secteurs d'évaluation, les tarifs applicables et les parcelles auxquelles s'appliquent un coefficient de localisation sont arrêtés par les commissions départementales des valeurs locatives des locaux professionnels mentionnées à l'article 1650 B du code général des impôts ou, à défaut, par le représentant de l'Etat selon la procédure prévue par l'article 1504 du même code.

5. Aux coefficients de localisation de 0,85, 0,9, 1,1 ou 1,15 prévus par l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, applicables pour la détermination des impositions établies au titre de l'année 2017, le législateur a substitué par l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, des coefficients de localisation de 0,7, 0,8, 0,85, 0,9, 1,1, 1,15, 1,2 ou 1,3 applicables à compter des impositions établies au titre de l'année 2018 et qui sont désormais prévus au dernier alinéa du 2 du B de l'article 1498 du code général des impôts.

En ce qui concerne les dispositifs transitoires d'atténuation des effets de la réforme :

6. Le législateur a prévu plusieurs mécanismes destinés à atténuer temporairement les effets de la réforme du mode de détermination des valeurs locatives des locaux professionnels.

7. En premier lieu, aux termes du I de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts, reprenant, à compter du 1er janvier 2018, les dispositions du B du XVI de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue du E du I de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 : " En vue de l'établissement de la taxe foncière sur les propriétés bâties, de la cotisation foncière des entreprises, de la taxe d'habitation sur les résidences secondaires et autres locaux meublés non affectés à l'habitation principale et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, la valeur locative des propriétés bâties mentionnées au I de l'article 1498 est corrigée par un coefficient de neutralisation. / Ce coefficient est égal, pour chaque taxe et chaque collectivité territoriale, au rapport entre, d'une part, la somme des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 des propriétés bâties mentionnées au même I de l'article 1498 imposables au titre de cette année dans son ressort territorial, à l'exception de celles mentionnées au 2 du présent I, et, d'autre part, la somme des valeurs locatives révisées de ces mêmes propriétés à la date de référence du 1er janvier 2013 ". Aux termes du III du même article, reprenant, à compter du 1er janvier 2018, les dispositions du D du XVI de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue du E du I de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 : " Pour les impositions dues au titre des années 2017 à 2025 : 1° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 et la valeur locative résultant du I est positive, celle-ci est majorée d'un montant égal à la moitié de cette différence ; 2° Lorsque la différence entre la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017 et la valeur locative résultant du même I est négative, celle-ci est minorée d'un montant égal à la moitié de cette différence ". Aux termes du IV du même article : " Pour la détermination des valeurs locatives non révisées au 1er janvier 2017 mentionnées aux I et III, il est fait application des dispositions prévues par le présent code, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016 ".

8. Il résulte des termes mêmes de ces dispositions que la valeur locative retenue pour déterminer, par comparaison avec la valeur locative non révisée au 1er janvier 2017, la majoration ou la minoration de valeur locative prévue au III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts pour l'établissement des cotisations d'impositions directes locales qu'elles mentionnent dues au titre des années 2017 à 2025 est celle mentionnée au I de l'article 1498 du même code, déterminée selon les modalités décrites aux points 2 à 5 en vue de l'établissement des impositions dues au titre de chacune des années concernées, corrigée par le coefficient de neutralisation prévu par le I de l'article 1518 A quinquies de ce code, et non la valeur locative, déterminée selon ces modalités, retenue pour l'établissement des impositions dues au titre de la seule année 2017.

9. En second lieu, aux termes de l'article 1518 E du code général des impôts, reprenant, à compter du 1er janvier 2018, les dispositions du XXII de l'article 34 de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue du G du I de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 : " I. - Pour les biens mentionnés au I de l'article 1498 : 1° Des exonérations partielles d'impôts directs locaux sont accordées au titre des années 2017 à 2025 lorsque la différence entre la cotisation établie au titre de l'année 2017 en application du présent code et la cotisation qui aurait été établie au titre de cette même année sans application du A du XVI de l'article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016, est positive. Pour chaque impôt, l'exonération est égale aux neuf dixièmes de la différence définie au premier alinéa du présent 1° pour les impositions établies au titre de l'année 2017, puis réduite chaque année d'un dixième de cette différence. () 2° Les impôts directs locaux établis au titre des années 2017 à 2025 sont majorés lorsque la différence entre la cotisation qui aurait été établie au titre de l'année 2017 sans application du A du XVI de l'article 34 de la loi n° 2010-1658 du 29 décembre 2010 précitée, dans sa rédaction en vigueur le 31 décembre 2016, et la cotisation établie au titre de cette même année est positive. Pour chaque impôt, la majoration est égale aux neuf dixièmes de la différence définie au premier alinéa du présent 2° pour les impositions établies au titre de l'année 2017, puis réduite chaque année d'un dixième de cette différence. () ". Il résulte de ces dispositions que les exonérations ou majorations qu'elles prévoient ont pour objet de lisser de manière dégressive sur une période de dix ans les écarts d'imposition, à la hausse ou à la baisse, résultant de la mise en œuvre des nouvelles modalités de détermination des valeurs foncières locatives des locaux professionnels.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

10. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

11. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

En ce qui concerne les dispositions du III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts :

12. La société immobilière Carrefour soutient que les dispositions du III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts porteraient atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles feraient obstacle à la prise en compte, pour le calcul des majorations ou minoration de valeur locative qu'elles prévoient, de coefficients de localisation qui auraient été fixés à compter du 1er janvier 2018.

13. Il résulte toutefois de ce qui a été dit au point 8 que les dispositions du III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts n'ont pas pour objet et ne sauraient avoir pour effet d'exclure que soit prise en considération, pour le calcul de la majoration ou de la minoration applicable à la valeur locative retenue pour établir les impositions dues au titre de chacune des années 2017 à 2025, la modulation du tarif par mètre carré retenu pour la détermination de cette valeur locative résultant de l'application, le cas échéant postérieurement à 2017, d'un coefficient de localisation en application du 2 du B du II de l'article 1498 du code général des impôts.

14. Par suite, ne saurait être regardé comme sérieux le grief tiré de ce que les dispositions du III de l'article 1518 A quinquies du code général des impôts institueraient, au détriment des contribuables ayant vu le coefficient de localisation de leur parcelle fixé postérieurement à 2017, une différence de traitement méconnaissant les principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques.

15. Ne sauraient davantage être regardés comme sérieux les moyens tirés de ce que le législateur, faute d'avoir suffisamment précisé les modalités d'application de ces dispositions, aurait méconnu l'étendue de sa compétence et de ce que ces dispositions porteraient atteinte au droit à un recours effectif, de même, en tout état de cause, que le moyen tiré de ce qu'elles méconnaitraient l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

En ce qui concerne les dispositions du I de l'article 1518 E du code général des impôts :

16. La société immobilière Carrefour soutient que les dispositions du I de l'article 1518 E du code général des impôts porteraient atteinte aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles feraient obstacle à la prise en compte, pour la mise en œuvre du mécanisme dit " de lissage ", de coefficients de localisation qui n'auraient été appliqués qu'à compter du 1er janvier 2018.

17. Il résulte toutefois des dispositions précitées que les modalités de calcul du lissage, telles que déterminées par la loi fiscale à partir de la différence constatée entre la cotisation d'imposition directe locale qui aurait été établie au titre de l'année 2017 sans application de la réforme du mode de détermination des valeurs locatives et la cotisation résultant, au titre de cette même année, de la mise en œuvre de cette réforme, sont applicables de manière identique à tous les contribuables. En particulier, la loi prévoit la prise en compte, dans tous les cas, pour la détermination de l'écart d'imposition constituant la base de calcul du lissage, des coefficients de localisation, lesquels ne pouvaient alors au demeurant être supérieurs à 1,15 ou inférieurs à 0,85, dont l'application est justifiée par l'existence, au 1er janvier 2017, d'une situation particulière de la parcelle d'assise de la propriété au sein du secteur d'évaluation.

18. Si la société requérante soutient qu'il existerait une différence de traitement non justifiée, dans la mise en œuvre du mécanisme de lissage, entre les contribuables dont la propriété justifie, eu égard à sa situation particulière au sein du secteur d'évaluation concerné, l'application d'un coefficient de situation pour le calcul des impositions dues au titre de l'année 2017 selon que ce coefficient a effectivement été appliqué dès 2017 ou qu'il n'a été appliqué qu'à compter de l'année 2018 ou d'une année postérieure, une telle différence de traitement ne résulte pas de la loi fiscale mais d'une éventuelle carence dans la mise en œuvre des dispositions de l'article 1504 du code général des impôts relatives à la détermination des valeurs locatives des propriétés mentionnées au I de l'article 1498 de ce code, notamment dans la détermination des parcelles auxquelles devait s'appliquer, dès 2017, un coefficient de localisation.

19. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que les dispositions du I de l'article 1518 E du code général des impôts porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi et au principe d'égalité devant les charges publiques ne présente pas un caractère sérieux. Ne sauraient davantage être regardés comme sérieux les moyens tirés de ce que le législateur, faute d'avoir suffisamment précisé les modalités d'application de ces dispositions, aurait méconnu l'étendue de sa compétence et de ce que ces dispositions porteraient atteinte au droit à un recours effectif, de même, en tout état de cause, que le moyen tiré de ce qu'elles méconnaitraient l'objectif de valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi.

En ce qui concerne les dispositions du A du III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 :

20. La société Immobilière Carrefour et la société Leroy Merlin France soutiennent que les dispositions du A du III de l'article 48 de la loi du 29 décembre 2015 portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques en ce que qu'elles n'ont rendu applicable qu'à compter des impositions établies au titre de 2018 les nouveaux coefficients de localisation, allant de 0,7 à 1,3, prévus par le A du I du même article, faisant ainsi obstacle à la prise en compte de ces nouveaux coefficients pour la mise en œuvre des mécanismes atténuateurs prévus au III de l'article 1518 A quinquies et à l'article 1518 E du code général des impôts.

21. Il résulte toutefois de ces dispositions que les nouveaux coefficients de localisation s'appliquent indifféremment, à compter des impositions établies au titre de l'année 2018, à tous les contribuables assujettis aux impositions directes locales à raison de biens immobiliers implantés sur une parcelle dont la situation particulière au sein du secteur d'évaluation concerné le justifie et que leur incidence sur la mise en œuvre des mécanismes atténuateurs prévus au III de l'article 1518 A quinquies et à l'article 1518 E du code général des impôts est la même pour tous les contribuables, qu'ils aient ou non été concernés, au titre de l'année 2017, pour la détermination de la valeur locative de leurs locaux professionnels, par l'application d'un coefficient de localisation alors compris entre 0,85 et 1,15. Par suite, le moyen soulevé ne peut être regardé comme sérieux.

En ce qui concerne les dispositions du A du V de l'article 30 de la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 :

22. La société Immobilière Carrefour et la société Leroy Merlin France soutiennent que les dispositions du A du V de l'article 30 la loi du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 portent atteinte aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles prévoient que les dispositions de l'article 1498 du code général des impôts, dans la rédaction qu'elles lui donnent, n'entrent en vigueur que le 1er janvier 2018.

23. Toutefois, ces dispositions se sont bornées à codifier à l'article 1498 du code général des impôts des dispositions issues de la loi du 29 décembre 2010 de finances rectificative pour 2010, dans leur rédaction issue notamment de la loi du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elles porteraient par elles-mêmes atteinte aux principes invoqués ne présente pas un caractère sérieux.

24. Il résulte de tout ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par les requérantes, qui ne sont pas nouvelles, ne présentent pas de caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées par la société Immobilière Carrefour et la société Leroy Merlin France.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Immobilière Carrefour, à la société Leroy Merlin France et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 23 octobre 2023 où siégeaient : M. Pierre Collin, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Stéphane Verclytte, président de chambre ; M. Jonathan Bosredon, M. Hervé Cassagnabère, M. Christian Fournier, M. Frédéric Gueudar Delahaye, Mme Françoise Tomé, M. Vincent Mahé, conseillers d'Etat et Mme Marie Prévot, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 13 novembre 2023.

Le président :

Signé : M. Pierre Collin

La rapporteure :

Signé : Mme Marie Prévot

La secrétaire :

Signé : Mme Magali Méaulle

Nos 474735, 474736 et 474757

Code publication

B