Tribunal administratif de Bastia

Ordonnance du 10 novembre 2023 n° 2201438

10/11/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par des mémoires, enregistrés les 13 juin et 8 septembre 2023, la SARL Le Palm Beach, représentée par Me Philip, demande au tribunal, à l'appui de sa requête tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires à la formation professionnelle continue, à la taxe d'apprentissage, à la taxe sur la valeur ajoutée auxquelles elle a été assujettie, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution, d'une part, de l'article 1729 D du code général des impôts et d'autre part, l'article 235 C du même code ainsi que les articles L. 6331-2 et L. 6331-3 du code du travail.

La société requérante soutient que :

- la pénalité instituée par l'article 1729 D du code général des impôts méconnaît le principe de proportionnalité des peines, revêt un caractère confiscatoire et méconnaît également le principe d'individualisation et de nécessité des peines ainsi que le respect des biens affirmés par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen dès lors qu'elle n'est pas établie en proportion d'un montant correspondant au manquement commis par le contribuable et que le juge de l'impôt ne dispose pas du pouvoir d'en moduler le montant ;

- les dispositions de l'article 235 C du code général des impôts et des articles L. 6331-2 et L. 6331-3 du code du travail, qui procèdent à de nombreux renvois à d'autres dispositions elles-mêmes imbriquées de sorte qu'elles méconnaissent l'exigence de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi et, d'autre part, confient les modalités d'assujettissement, de détermination de l'assiette de cette imposition et de son recouvrement au pouvoir réglementaire, en méconnaissance du principe de légalité et portent atteinte aux droits de la défense.

Par des mémoires, enregistrés les 5 et 9 octobre 2023, la direction spécialisée du contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer conclut à ce que la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soulevée par la SARL Le Palm Beach ne soit pas transmise au Conseil d'Etat.

Elle soutient :

- sur l'article 1729 D du code général des impôts : à titre principal, qu'il n'est pas applicable au litige dès lors que le placement de la société requérante en redressement judiciaire a entraîné la remise de l'amende initialement mise à sa charge et, à titre subsidiaire, que l'exception d'inconstitutionnalité de cet article ne présente pas un caractère sérieux ;

- sur l'article 235 C du code général des impôts et les articles L. 6331-2 et L. 6331-3 du code du travail, que les moyens sont inopérants à l'appui d'une QPC et ne sont en tout état de cause pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution et notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 citées au point 1, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le placement de la SARL Le Palm Beach en redressement judiciaire a entraîné, en application de l'article 1756 du code général des impôts, la remise de l'amende initialement mise à sa charge sur le fondement de l'article 1729 D de ce code. Cette dernière disposition contestée au regard de la Constitution n'est par conséquent pas applicable au litige.

4. En second lieu, aux termes de l'article 235 ter C du code général des impôts, dans sa rédaction applicable du 1er mai 2008 au 1er janvier 2019 : " Conformément aux dispositions de l'article L. 6331-1 du code du travail, tout employeur, à l'exception de l'Etat, des collectivités locales et de leurs établissements publics à caractère administratif, concourt au développement de la formation professionnelle continue dans les conditions définies par ce même article ". Aux termes de l'article L. 6331-1 du code du travail, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2015 au 1er janvier 2019 : " Tout employeur concourt au développement de la formation professionnelle continue en participant, chaque année, au financement des actions mentionnées aux articles L. 6313-1 et L. 6314-1. Ce financement est assuré par : 1° Le financement direct par l'employeur d'actions de formation, notamment pour remplir ses obligations définies à l'article L. 6321-1, le cas échéant dans le cadre du plan de formation prévu à l'article L. 6312-1 ; 2° Le versement des contributions prévues au présent chapitre. Ces dispositions ne s'appliquent pas à l'Etat, aux collectivités locales et à leurs établissements publics à caractère administratif ". Aux termes de l'article L. 6331-2 de ce code, dans sa version en vigueur du 1er janvier 2016 au 1er janvier 2019 : " L'employeur de moins de onze salariés verse à l'organisme collecteur paritaire agréé désigné par l'accord de la branche dont il relève ou, à défaut, à l'organisme collecteur paritaire agréé au niveau interprofessionnel un pourcentage minimal du montant des rémunérations versées pendant l'année en cours s'élevant à 0,55 %. Les rémunérations sont entendues au sens des règles prévues aux chapitres Ier et II du titre IV du livre II du code de la sécurité sociale, ou au chapitre II du titre II et au chapitre Ier du titre IV du livre VII du code rural et de la pêche maritime, pour les employeurs des salariés mentionnés à l'article L. 722-20 de ce code. Les modalités de versement de cette participation sont déterminées par décret en Conseil d'Etat ". Enfin, aux termes de l'article L. 6331-3 du même code, dans sa version applicable au litige, en vigueur du 1er mai 2008 au 1er janvier 2019 : " L'employeur verse chacune de ses contributions à un seul et même organisme collecteur paritaire agréé désigné par l'accord de branche dont il relève ou, à défaut, à un organisme collecteur paritaire agréé au niveau interprofessionnel ".

5. Les dispositions du code général des impôts et du code du travail citées au point précédent sont applicables au litige. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

6. D'une part, la méconnaissance de l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance des dispositions précitées, au motif qu'elles procèdent à de nombreux renvois à d'autres dispositions elles-mêmes imbriquées, n'est pas recevable.

7. D'autre part, la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. En tout état de cause, le législateur a pu, sans méconnaître l'étendue de sa compétence, renvoyer à un décret en Conseil d'Etat les modalités de versement de la participation prévue aux article L. 6331-1 et suivants du code du travail.

8. Il résulte de ce qui précède que les questions prioritaires de constitutionnalité posées par la SARL Le Palm Beach sont, au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, dépourvues de caractère sérieux. Dès lors, il n'y a pas lieu de les transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité posées par la SARL Le Palm Beach.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la SARL Le Palm Beach et à la direction spécialisée du contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.

Fait à Bastia, le 10 novembre 2023.

Le président de la 1ère chambre,

Signé

P. MONNIER

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

R. ALFONSI

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Code publication

C