Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1067 QPC du 10 novembre 2023

10/11/2023

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 7 septembre 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1106 du 6 septembre 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. Bechir C. par la SCP Spinosi, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1067 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article 706–30–1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011–267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de procédure pénale ;

– la loi n° 2011–267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi, enregistrées le 27 septembre 2023 ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour le requérant par la SCP Spinosi, enregistrées le 11 octobre 2023 ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Marion Sicard, avocate au barreau de Nice, pour le requérant, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 25 octobre 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée par la Première ministre, enregistrée le 30 octobre 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le premier alinéa de l’article 706–30–1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 14 mars 2011 mentionnée ci–dessus, prévoit :

« Lorsqu’il est fait application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 99-2 à des substances stupéfiantes saisies au cours de la procédure, le juge d’instruction doit conserver un échantillon de ces produits afin de permettre, le cas échéant, qu’ils fassent l’objet d’une expertise. Cet échantillon est placé sous scellés ».

 

2. Le requérant reproche à ces dispositions de réserver au cadre de l’information judiciaire l’obligation de conserver un échantillon des produits stupéfiants saisis avant leur destruction et de priver ainsi le prévenu cité à comparaître au terme d’une enquête de police de la possibilité de contester la nature de ces produits devant la juridiction de jugement. Il en résulterait, selon lui, une méconnaissance des droits de la défense, du droit à un procès équitable et du principe d’égalité devant la justice. Pour les mêmes motifs, le législateur aurait en outre méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les droits et principe précités.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur la première phrase du premier alinéa de l’article 706–30–1 du code de procédure pénale.

4. En premier lieu, selon l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Sont garantis par cette disposition les droits de la défense et le droit à un procès équitable.

5. En application du quatrième alinéa de l’article 41-5 du code de procédure pénale et du quatrième alinéa de l’article 99-2 du même code, le procureur de la République, au cours de l’enquête, et le juge d’instruction, au cours de l’information judiciaire, peuvent ordonner la destruction des biens meubles placés sous main de justice lorsqu’il s’agit d’objets qualifiés par la loi de dangereux ou de nuisibles, ou dont la détention est illicite.

6. Les dispositions contestées prévoient que, en matière de trafic de stupéfiants, le juge d’instruction qui ordonne la destruction de tels produits doit en conserver un échantillon afin de permettre, le cas échéant, qu’ils fassent l’objet d’une expertise. Cette obligation n’est pas prévue dans le cadre de l’enquête.

7. D’une part, il résulte de l’article 41-5 du code de procédure pénale que, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, seuls les produits dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité peuvent être détruits. La décision prise par le procureur de la République est motivée et notifiée par tout moyen notamment à la personne mise en cause. Cette dernière peut former un recours suspensif devant la chambre de l’instruction.

8. D’autre part, devant la juridiction de jugement, conformément à l’article 427 du code de procédure pénale, la preuve de la nature des produits saisis peut être rapportée par tout moyen et le juge ne peut fonder sa décision que sur des éléments qui lui sont apportés au cours des débats et contradictoirement discutés devant lui. Dans ce cadre, il appartient au ministère public de rapporter la preuve de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction.

9. Dès lors, la personne intéressée est mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause.

10. Les griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable doivent donc être écartés.

11. En second lieu, aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Il résulte de la combinaison de ces dispositions avec celles de l’article 16 de la Déclaration de 1789 que, si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales.

12. D’une part, eu égard notamment à la gravité ou la complexité des faits susceptibles de justifier l’ouverture d’une information judiciaire, les personnes renvoyées devant une juridiction de jugement à l’issue d’une instruction ouverte du chef de trafic de stupéfiants sont dans une situation différente de celle des personnes citées à comparaître à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance.

13. D’autre part, pour les mêmes motifs que ceux énoncés aux paragraphes 7 et 8, sont assurées aux personnes mises en cause, qu’elles soient jugées à l’issue d’une information judiciaire ou d’une enquête, des garanties équivalentes.

14. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice doit être écarté.

15. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – La première phrase du premier alinéa de l’article 706–30–1 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, est conforme à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 9 novembre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mme Corinne LUQUIENS, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 10 novembre 2023.

 

Abstracts

4.23.9.6.1

Actes d'investigation

En application du quatrième alinéa de l’article 41-5 du code de procédure pénale et du quatrième alinéa de l’article 99-2 du même code, le procureur de la République, au cours de l’enquête, et le juge d’instruction, au cours de l’information judiciaire, peuvent ordonner la destruction des biens meubles placés sous main de justice lorsqu’il s’agit d’objets qualifiés par la loi de dangereux ou de nuisibles, ou dont la détention est illicite. Les dispositions contestées prévoient que, en matière de trafic de stupéfiants, le juge d’instruction qui ordonne la destruction de tels produits doit en conserver un échantillon afin de permettre, le cas échéant, qu’ils fassent l’objet d’une expertise. Cette obligation n’est pas prévue dans le cadre de l’enquête. D’une part, il résulte de l’article 41-5 du code de procédure pénale que, dans le cadre d’une enquête préliminaire ou de flagrance, seuls les produits dont la conservation n’est plus nécessaire à la manifestation de la vérité peuvent être détruits. La décision prise par le procureur de la République est motivée et notifiée par tout moyen notamment à la personne mise en cause. Cette dernière peut former un recours suspensif devant la chambre de l’instruction. D’autre part, devant la juridiction de jugement, conformément à l’article 427 du code de procédure pénale, la preuve de la nature des produits saisis peut être rapportée par tout moyen et le juge ne peut fonder sa décision que sur des éléments qui lui sont apportés au cours des débats et contradictoirement discutés devant lui. Dans ce cadre, il appartient au ministère public de rapporter la preuve de l’ensemble des éléments constitutifs de l’infraction. Dès lors, la personne intéressée est mise en mesure de contester les conditions dans lesquelles ont été recueillis les éléments de preuve qui fondent sa mise en cause. Rejet des griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable.

2023-1067 QPC, 10 novembre 2023, paragr. 5 6 7 8 9

5.2.2.2.5

Procédures dérogatoires pour certaines infractions

Saisi de dispositions qui prévoient que, en matière de trafic de stupéfiants, le juge d’instruction qui ordonne la destruction de tels produits doit en conserver un échantillon afin de permettre, le cas échéant, qu’ils fassent l’objet d’une expertise, sans prévoir une telle obligationdans le cadre de l’enquête, le Conseil a relevé, d’une part, qu'eu égard notamment à la gravité ou la complexité des faits susceptibles de justifier l’ouverture d’une information judiciaire, les personnes renvoyées devant une juridiction de jugement à l’issue d’une instruction ouverte du chef de trafic de stupéfiants sont dans une situation différente de celle des personnes citées à comparaître à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance. D'autre part, pour les mêmes motifs que ceux fondant le rejet des griefs tirés de la méconnaissance des droits de la défense et du droit à un procès équitable, à savoir la possibilité pour la personne mise en cause de contester la décision de procéder à la destruction des biens saisis ainsi que de contester par tout moyen l'authenticité des biens détruits devant la juridiction de jugement, le Conseil a jugé que des garanties équivalentes sont assurées aux personnes mises en cause, qu'elles soient jugées à l'issue d'une information judiciaire ou d'une audience. Rejet du grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice.

2023-1067 QPC, 10 novembre 2023, paragr. 12 13 14

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus retreint que les dispositions renvoyées.

2023-1067 QPC, 10 novembre 2023, paragr. 3