Cour d'Appel d'Aix-en-Provence

Ordonnance du 2 novembre 2023, N° 22/15599, N° RG 22/15529, N° RG 22/15585, N° RG 22/15595, N° RG 22/15599, N° RG 22/15613, N° RG 23/01933

02/11/2023

Renvoi

COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE

 

Délég.Premier Président

 

ORDONNANCE

 

DU 02 NOVEMBRE 2023

 

N°2023 /28

 

Rôle N° RG 22/15529 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKLVW

 

Rôle N° RG 22/15585 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKL2Z

 

Rôle N° RG 22/15595 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKL32

 

Rôle N° RG 22/15599 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKL4B

 

Rôle N° RG 22/15613 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKL5F

 

Rôle N° RG 23/01933 - N° Portalis DBVB-V-B7G-BKXZZ

 

S.A.S. SOS OXYGENE PARTICIPATIONS

 

S.A.R.L. SOS OXYGENE

 

S.A.R.L. SOS OXYGENE ILE DE FRANCE NORD

 

C/

 

DIRECTION DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA REPRESSION DES FRAUDE

 

Copie exécutoire délivrée

 

le :

 

à :

 

Me Françoise BOULAN

 

Monsieur [R]

 

Décision déférée au Premier Président de la Cour d'Appel :

 

Ordonnance de taxe rendue le 13 Octobre 2022 par le Président du Juge des libertés et de la détention de NICE

 

DEMANDERESSES

 

S.A.S. SOS OXYGENE PARTICIPATIONS, demeurant 4 Chemin de la Glacière - 06200 NICE

 

représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Jean-michel URBANI, avocat au barreau de NICE, Me Maxime DE GUILLENCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, Me Guillaume HAUDRY, avocat au barreau de PARIS

 

S.A.R.L. SOS OXYGENE, demeurant 4 Chemin de la Glacière - 06200 NICE

 

représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Jean-michel URBANI, avocat au barreau de NICE, Me Maxime DE GUILLENCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, Me Guillaume HAUDRY, avocat au barreau de PARIS

 

S.A.R.L. SOS OXYGENE ILE DE FRANCE NORD, demeurant 119 Rue des Caboeufs - 92230 GENNEVILLIERS

 

représenté par Me Françoise BOULAN de la SELARL BOULAN-CHERFILS-IMPERATORE, avocat au barreau d'AIX-EN-PROVENCE, Me Jean-michel URBANI, avocat au barreau de NICE, Me Maxime DE GUILLENCHMIDT, avocat au barreau de PARIS, Me Guillaume HAUDRY, avocat au barreau de PARIS

 

DEFENDERESSE

 

DIRECTION DE LA CONCURRENCE, DE LA CONSOMMATION ET DE LA REPRESSION DES FRAUDE, demeurant 29 Boulevard Vincent Auriol - 75013 PARIS

 

représenté par Monsieur [R] [L] par un mandat de représentation.

 

DÉBATS ET DÉLIBÉRÉ

 

L'affaire a été débattue le 02 Novembre 2023 en audience publique devant

 

M. Laurent SEBAG, Conseiller,

 

délégué par Ordonnance du Premier Président .

 

Greffier lors des débats : Mme Cécilia AOUADI.

 

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 02 Novembre 2023.

 

ORDONNANCE

 

Contradictoire,

 

Prononcée par mise à disposition au greffe le 02 Novembre 2023

 

Signée par M. Laurent SEBAG, Conseiller et Mme Cécilia AOUADI, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

 

***

 

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

 

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

 

En l'espèce, les SAS OXYGENE PARTICIPATIONS, SARL SOS OXYGENE et SARL OXYGENE ILE DE FRANCE NORD prétendent que les articles L. 512-52, L. 512-53 et L. 512-59 du code de la consommation portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que si les visites et saisies autorisées sur ces fondements légaux s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge des libertés et de la détention, le code de la consommation ne prévoit pas de dispositions enjoignant à ce dernier de prévoir des mesures en vue de garantir le respect du secret professionnel, en particulier celui entre l'avocat et son client et, le secret médical. Elles ajoutent que de telles dispositions existent à la différence en matière fiscale et pénale aux articles 56 et 56-1 du code de procédure pénale ou aux articles L. 16B pour les agents de l'administration fiscale et L 621-9 du code monétaire et financier pour les visites réalisées par les agents de l'autorité des marchés financiers. Elles en déduisent que les dispositions contestées permettent la saisie de l'intégralité des correspondances couvertes par le secret professionnel par les agents de la DGCCRF, sans aucune restriction à leurs pouvoirs de nature à garantir les droits de la défense, et en particulier le droit de ne pas s'auto-incriminer, le droit à un procès équitable et, le secret des correspondances et, sans aucun effort de sélection de nature à protéger ces droits. Elles précisent que la procédure de scellés provisoires, optionnelle pour les agents de la DGCCRF ne préserve pas les saisis d'une atteinte à leurs droits de la défense.

 

En réplique, la Direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités de Provence-Alpes Côte d'Azur est défavorable à la transmission de la question qu'elle estime dépourvue de caractère sérieux. Elle soutient à cet effet que :

 

-le fait que les dispositions litigieuses ne renvoient pas aux dispositions de l'article 56 du code de procédure pénale ne constitue pas de facto une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, en raison du contrôle a priori du juge des libertés et de la détention avant le déroulement des opérations de visites et de saisies et du contrôle a posteriori devant le premier président de la cour d'appel et, la garantie d'un double degré de juridiction devant la Cour de cassation,

 

-la Cour de cassation s'est déjà prononcée à plusieurs reprises sur la transposabilité de QPC relatives à l'article L. 450-4 du code de commerce qui s'avère n'être que le pendant des articles L. 512-52, L. 512-53 et L. 512-59 du code de la consommation,

 

-le recours au scellé fermé provisoire de l'article 56 du code de procédure pénale, permet de pallier toute difficulté tout en garantissant le respect des droits de la défense, les personnes saisies disposant du temps nécessaire pour identifier les courriels susceptibles d'être protégés pour en demander le retrait du scellé aux enquêteurs avant qu'il ne devienne définitif.

 

La présente affaire a été communiquée au ministère public le 28 septembre 2023, qui a fait connaître son avis le jour même. L'avocat général invite la cour à refuser de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité. Il soutient que si la question posée se rapporte à l'instance, est nouvelle, motivée et partant, recevable, elle manque néanmoins de caractère sérieux. Il argue de ce qu'en application de l'article L. 512-61 du code de la consommation, les dispositions protectrices des articles 56-1, 56-2 et 56-3 du code de procédure pénale sont, selon les cas, applicables aux visites effectuées dans un cabinet d'avocat ou à son domicile, dans les locaux d'une entreprise de presse ou de communication audiovisuelle, dans le cabinet d'un médecin, d'un notaire ou d'un huissier de justice. Il précise à cet égard que le bâtonnier a la faculté de s'opposer à la saisie qu'il estime irrégulière dans un cabinet d'avocat d'autres documents que ceux liés à l'infraction recherchée s'ils relèvent du secret professionnel.

 

Il ajoute enfin que contrairement à ce qui est soutenu dans la requête, les opérations de perquisitions prévues par le code de la consommation sont soumises au contrôle de l'autorité judiciaire en application des articles L. 512-63 et L. 512-64 du code de la consommation, en ce que le saisi peut former un recours non suspensif auprès du premier président de la cour d'appel a posteriori. Il en déduit que les pièces saisies sont conservées jusqu'à ce qu'une décision définitive soit prise en préservant le secret des correspondances entre l'avocat et son client.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :

 

Sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par les articles L. 512-52, L. 512-53 et L. 512-59 du code de la consommation :

 

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

 

Le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 27 septembre 2023 dans un écrit distinct des conclusions au fond des SAS OXYGENE PARTICIPATIONS, SARL SOS OXYGENE et SARL OXYGENE ILE DE FRANCE NORD et motivé.

 

Il peut être présenté pour la première fois en cause d'appel.

 

Il est donc recevable.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

 

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est relative à la régularité de l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Nice le 13 octobre 2022, faisant droit sur son ressort et, donnant commission rogatoire à son homologue de Nanterre, pour exercer le contrôle desdites opérations dans les locaux des sociétés requérantes, ainsi qu'à la régularité des procès-verbaux consécutifs de saisies opérées les 20 octobre et 13 décembre 2022.

 

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

En outre, elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que :

 

-l'atteinte dénoncée aux droits de la défense ne porte pas sur la possibilité de recours a posteriori et sans effet suspensif contre l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ayant autorisé les saisies sur le fondement des articles L. 512-63 et 64 du code de la consommation, mais bien sur la faculté légale a priori de ce dernier de préserver les droits de la défense à travers la protection des deux secrets, en prévoyant initialement dans sa décision, la limitation des documents saisis pour préserver le secret des correspondances entre avocat et client et le secret médical,

 

-la protection a priori des saisis par le pouvoir légal donné au juge des libertés et de la détention de contraindre les agents perquisitionneurs à une sélection des documents saisis, a fait l'objet de dispositions légales ad hoc en matières pénale, fiscale et financière, consacrées aux articles 56, 56-1 du code de procédure pénale, L. 16B du livre des procédures fiscales et L. 621-9 du code monétaire et financier pour les visites réalisées par les agents de l'autorité des marchés financiers, mettant en évidence une plausible nécessité d'édiction d'une disposition légale ad hoc similaire pour protéger le secret professionnel et médical en matière d'enquêtes diligentées par la DGCCRF dans le cadre de pratiques anti-concurrentielles,

 

-l'absence de protection légale a priori du juge des libertés et de la détention en la matière, n'est pas suppléée par le recours éventuel à la pratique du scellé fermé provisoire, laquelle ne fait pas intervenir un magistrat mais nécessite une réponse favorable et diligente de l'organe ayant procédé à la saisie, ce qui ne constitue pas nécessairement une pratique suffisamment protectrice des droits constitutionnels dont il est allégué ici l'atteinte,

 

-le juge des libertés et de la détention n'a, dans son pouvoir de contrôle du déroulement des saisies, aucune latitude pour imposer aux agents de la DGCCRF la mise en 'uvre de la procédure de scellés provisoires, simplement optionnelle pour ces derniers,

 

-le type de lieu dans lequel se sont déroulées les perquisitions et saisies critiquées en l'espèce ne correspond pas à ceux protégés par les dispositions combinées des articles 56-1 et suivants du code de procédure pénale et L. 512-61 du code de la consommation (cabinet d'avocat, médecin, notaire, huissier de justice, entreprise de presse ou de communication audiovisuelle).

 

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

 

« Les articles L. 512-52, L. 512-53 et L. 512-59 du code de la consommation sont-ils contraires au respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'ils ne prévoient aucune disposition encadrant les atteintes aux droits de la défense et au secret professionnel, et au respect du secret médical garanti par la protection de la vie privée ' »

 

Sur les autres demandes des parties et les dépens :

 

En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

 

Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

 

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

 

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

 

Il sera donc sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

 

PAR CES MOTIFS :

 

La Cour, statuant publiquement, par ordonnance contradictoire, insusceptible de recours indépendamment de l'ordonnance sur le fond,

 

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante :

 

« Les articles L. 512-52, L. 512-53 et L. 512-59 du code de la consommation sont-ils contraires au respect des droits de la défense garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce qu'ils ne prévoient aucune disposition encadrant les atteintes aux droits de la défense et au secret professionnel, et au respect du secret médical garanti par la protection de la vie privée ' »

 

DIT que la présente ordonnance sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

 

DIT que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision;

 

SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;

 

DIT que l'affaire sera rappelée à l'audience du jeudi 5 septembre 2024 à 14 heures si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l'audience du jeudi 7 mars 2024 à 14 heures dans le cas contraire ;

 

RESERVE les dépens.

 

LE GREFFIER LE PRESIDENT