Conseil d'Etat

Décision du 30 octobre 2023 n° 474408

30/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Mme A B a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 décembre 2018 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a déclaré cessibles, immédiatement et en totalité, les immeubles nécessaires à la réalisation d'une opération de restauration immobilière sur le territoire de la commune de Béthune.

Par un jugement n° 1902691 du 20 juillet 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 21DA02274 du 24 novembre 2022, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par Mme B contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 23 mai et 10 août 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme B demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à la SCP Melka, Prigent, Drusch, son avocat, la somme de 3 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un mémoire distinct, enregistré le 10 août 2023, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, Mme B demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L.313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l'urbanisme dans leur rédaction issue de l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Clément Malverti, rapporteur public,

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Melka-Prigent-Drusch, avocat de Mme B, et au cabinet Rousseau, Tapie, avocat de la commune de Bethune ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme B a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 21 décembre 2018 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a déclaré cessibles, immédiatement et en totalité, les immeubles nécessaires à la réalisation d'une opération de restauration immobilière sur le territoire de la commune de Béthune. Mme B se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 24 novembre 2022 par lequel la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel qu'elle avait formé contre le jugement du tribunal administratif de Lille ayant rejeté sa demande.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article L. 313-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 8 décembre 2005 : " Les opérations de restauration immobilière consistent en des travaux de remise en état, de modernisation ou de démolition ayant pour objet ou pour effet la transformation des conditions d'habitabilité d'un immeuble ou d'un ensemble d'immeubles. Elles sont engagées à l'initiative soit des collectivités publiques, soit d'un ou plusieurs propriétaires, groupés ou non en association syndicale, et sont menées dans les conditions définies dans la section 3 du présent chapitre. Lorsqu'elles ne sont pas prévues par un plan de sauvegarde et de mise en valeur approuvé, elles doivent être déclarées d'utilité publique ". Aux termes de l'article L. 313-4-1 du même code, dans sa rédaction issue de la même ordonnance : " Lorsque l'opération nécessite une déclaration d'utilité publique, celle-ci est prise, dans les conditions fixées par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, à l'initiative de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent pour réaliser les opérations de restauration immobilière, ou de l'Etat avec l'accord de la commune ou de l'établissement public de coopération intercommunale compétent en matière de plan local d'urbanisme ". Selon l'article L. 313-4-2 du même code, tel qu'issu de la même ordonnance : " Après le prononcé de la déclaration d'utilité publique, la personne qui en a pris l'initiative arrête, pour chaque immeuble à restaurer, le programme des travaux à réaliser dans un délai qu'elle fixe. Lors de l'enquête parcellaire, elle notifie à chaque propriétaire le programme des travaux qui lui incombent. Si un propriétaire fait connaître son intention de réaliser les travaux dont le détail lui a été notifié, ou d'en confier la réalisation à l'organisme chargé de la restauration, son immeuble n'est pas compris dans l'arrêté de cessibilité ".

4. Aux termes de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité ".

5. Mme B soutient que les dispositions des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction issue de l'ordonnance du 8 décembre 2005 relative au permis de construire et aux autorisations d'urbanisme, portent atteinte au droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce qu'elles permettent l'expropriation d'un immeuble dont le propriétaire n'a pas fait connaître son intention de réaliser ou faire réaliser les travaux qui ont été prescrits dans le cadre d'une opération de restauration immobilière.

6. Par les dispositions contestées, le législateur n'a autorisé l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers que pour la réalisation d'opérations dont l'utilité publique est préalablement et formellement constatée par l'autorité administrative, sous le contrôle du juge administratif. Il appartient à ce dernier, lorsqu'est contestée devant lui l'utilité publique d'une telle opération, de vérifier que celle-ci répond à la finalité d'intérêt général tenant à la préservation du bâti traditionnel et des quartiers anciens par la transformation des conditions d'habitabilité d'immeubles dégradés nécessitant des travaux et que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente. Ces modalités de contrôle de l'utilité publique des opérations de restauration immobilière par le juge administratif répondent aux exigences de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En outre, il appartient aussi au juge administratif, juge de la légalité de l'arrêté de cessibilité pris dans le cadre d'une opération de restauration immobilière, s'il est saisi d'une contestation en ce sens, de s'assurer que l'inclusion d'un immeuble déterminé dans le périmètre d'expropriation est en rapport avec l'opération déclarée d'utilité publique et de juger de la nécessité des travaux impartis au propriétaire par le programme de travaux qui lui a été notifié avant l'intervention de l'arrêté de cessibilité.

7. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions des articles L. 313-4, L. 313-4-1 et L. 313-4-2 du code de l'urbanisme portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur les autres moyens du pourvoi :

8. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

9. Pour demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque, Mme B soutient que la cour administrative d'appel de Douai a :

- commis une erreur de droit en jugeant qu'un hôtel constituait une habitation pour l'application de l'article L. 313-4 du code de l'urbanisme ;

- commis une erreur de droit en jugeant qu'une opération de restauration immobilière pouvait concerner un immeuble qui n'est pas destiné à l'habitation dès lors qu'il comprend un local à usage d'habitation, alors qu'il est, au contraire, nécessaire que l'immeuble soit exclusivement ou principalement destiné à l'habitation ;

- commis une erreur de droit en jugeant qu'elle n'établissait pas que " sa propriété n'était pas impropre à une activité commerciale alors qu'une telle activité y avait cessé depuis plus de douze ans à la date de la déclaration d'utilité publique " ;

- commis une erreur de droit et dénaturé les pièces du dossier, en estimant qu'elle ne démontrait pas que l'immeuble ne comprenait aucun local destiné à l'habitation, ni qu'il avait une destination exclusivement commerciale.

10. Ces moyens ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par Mme B.

Article 2 : Le pourvoi de Mme A B n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A B, à la commune de Béthune et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 octobre 2023 où siégeaient : M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Nicolas Boulouis, M. Olivier Japiot, présidents de chambre ; M. Benoît Bohnert, Mme Anne Courrèges, M. Géraud Sajust de Bergues, M. Gilles Pellissier, M. Jean-Yves Ollier, conseillers d'Etat et M. Benoît Delaunay, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 30 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Benoît Delaunay

La secrétaire :

Signé : Mme Eliane Evrard

Code publication

B