Conseil constitutionnel

Décision n° 2023-1066 QPC du 27 octobre 2023

27/10/2023

Conformité

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 3 août 2023 par le Conseil d’État (décision n° 467370 du 2 août 2023), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l’association Meuse nature environnement et autres par la SCP Zribi et Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2023–1066 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 542–10–1 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue.

Au vu des textes suivants :

– la Constitution ;

– l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

– le code de l’environnement ;

– la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue ;

– le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;

Au vu des pièces suivantes :

– les observations présentées pour les requérants par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 6 septembre 2023 ;

– les observations présentées pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, partie au litige à l’occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Jean-Nicolas Clément, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;

– les observations présentées par la Première ministre, enregistrées le même jour ;

– les secondes observations présentées pour les requérants par la SCP Zribi et Texier, enregistrées le 20 septembre 2023 ;

– les secondes observations présentées pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs par Me Clément, enregistrées le même jour ;

– les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Après avoir entendu Me Stéphane-Laurent Texier, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, pour les requérants, Me Clément, pour l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, et M. Benoît Camguilhem, désigné par la Première ministre, à l’audience publique du 17 octobre 2023 ;

Au vu de la note en délibéré présentée pour les requérants par la SCP Zribi et Texier, enregistrée le 19 octobre 2023 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L’article L. 542–10–1 du code de l’environnement, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 juillet 2016 mentionnée ci-dessus, prévoit :

« Un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est une installation nucléaire de base.

« La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives d’un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion.

« La réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation d’un stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs permettant d’intégrer le progrès technologique et de s’adapter aux évolutions possibles de l’inventaire des déchets consécutives notamment à une évolution de la politique énergétique. Elle inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage.

« Le caractère réversible d’un stockage en couche géologique profonde doit être assuré dans le respect de la protection des intérêts mentionnés à l’article L. 593-1. Des revues de la mise en œuvre du principe de réversibilité dans un stockage en couche géologique profonde sont organisées au moins tous les cinq ans, en cohérence avec les réexamens périodiques prévus à l’article L. 593-18.

« Afin de garantir la participation des citoyens tout au long de la vie d’une installation de stockage en couche géologique profonde, l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs élabore et met à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, un plan directeur de l’exploitation de celle-ci.

« L’exploitation du centre débute par une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase. La phase industrielle pilote comprend des essais de récupération de colis de déchets.

« Par dérogation aux règles applicables aux autres installations nucléaires de base :

« – la demande d’autorisation de création doit concerner une couche géologique ayant fait l’objet d’études au moyen d’un laboratoire souterrain ;

« – les deux dernières phrases du III de l’article L. 593-6, le second alinéa du III de l’article L. 593-7 et l’article L. 593-17 ne s’appliquent qu’à compter de la délivrance de l’autorisation de mise en service mentionnée à l’article L. 593-11. Celle-ci ne peut être accordée que si l’exploitant est propriétaire des terrains servant d’assiette aux installations de surface et des tréfonds contenant les ouvrages souterrains ou s’il a obtenu l’engagement du propriétaire des terrains de respecter les obligations qui lui incombent en application de l’article L. 596-5 ;

« – pour l’application du titre IX du présent livre, les tréfonds contenant les ouvrages souterrains peuvent tenir lieu de terrain servant d’assiette pour ces ouvrages ;

« – le dépôt de la demande d’autorisation de création du centre est précédé d’un débat public au sens de l’article L. 121-1 sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs créée à l’article L. 542-12. Le délai de cinq ans mentionné à l’article L. 121-12 est porté à dix ans. Le présent alinéa ne s’applique pas aux nouvelles autorisations mentionnées à l’article L. 593-14 relatives au centre ;

« – la demande d’autorisation de création du centre donne lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3, à un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l’avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret ;

« – la demande est transmise, accompagnée du compte rendu du débat public, du rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 et de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

« – lors de l’examen de la demande d’autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. Seule une loi peut autoriser celle-ci. L’autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans. L’autorisation de création du centre est délivrée par décret en Conseil d’État, pris selon les modalités définies à l’article L. 593–8, sous réserve que le projet respecte les conditions fixées au présent article ;

« – l’autorisation de mise en service mentionnée à l’article L. 593–11 est limitée à la phase industrielle pilote.

« Les résultats de la phase industrielle pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, d’un avis de la commission mentionnée à l’article L. 542-3, d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et du recueil de l’avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret.

« Le rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, accompagné de l’avis de la commission nationale mentionnée au même article L. 542-3 et de l’avis de l’Autorité de sûreté nucléaire est transmis à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

« – le Gouvernement présente un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage et prenant en compte, le cas échéant, les recommandations de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ;

« – l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation. Cette autorisation ne peut être délivrée à un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs ne garantissant pas la réversibilité de ce centre dans les conditions prévues par la loi.

« Les dispositions des articles L. 542-8 et L. 542-9 sont applicables à l’autorisation.

« Pour les ouvrages souterrains des projets de centres de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs, l’autorisation de création prévue au présent article dispense de la déclaration préalable ou du permis de construire prévus au chapitre Ier du titre II du livre IV du code de l’urbanisme ».

 

2. Les requérants reprochent à ces dispositions de ne pas garantir la réversibilité du stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au-delà d’une période de cent ans, faisant ainsi obstacle à ce que les générations futures puissent revenir sur ce choix alors que l’atteinte irrémédiable à l’environnement, et en particulier à la ressource en eau, qui en résulterait pourrait compromettre leur capacité à satisfaire leurs besoins. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi le droit des générations futures à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ainsi que les principes de solidarité et de fraternité entre les générations que les requérants demandent au Conseil constitutionnel de reconnaître.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement ainsi que sur les troisième et quatrième phrases de son quatorzième alinéa.

4. L’article 1er de la Charte de l’environnement dispose que « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

5. Aux termes du septième alinéa du préambule de la Charte de l’environnement, « afin d’assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ».

6. Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard.

7. Les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

8. L’article L. 542–10–1 du code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs.

9. Les dispositions contestées de cet article prévoient que le stockage de déchets radioactifs dans un tel centre est soumis à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale.

10. En permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, ces dispositions sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement.

11. Toutefois, en premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en les adoptant, le législateur a entendu, d’une part, que les déchets radioactifs puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Ce faisant, il a souhaité poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs.

12. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l’article L. 542-1 du code de l’environnement que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement et que la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs doit prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures.

13. À cette fin, l’article L. 542–10-1 du même code entoure la création et l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de différentes garanties propres à assurer le respect de ces exigences.

14. D’une part, le stockage en couche géologique profonde de tels déchets doit garantir la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives du stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. Cette réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, et inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage.

15. D’autre part, la création d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est soumise à une procédure d’autorisation particulière. La demande d’autorisation doit concerner une couche géologique ayant fait l’objet d’études au moyen d’un laboratoire souterrain. Le dépôt de cette demande doit être précédé d’un débat public sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La demande doit également donner lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 du code de l’environnement, à un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l’avis des collectivités territoriales intéressées. Elle est ensuite transmise à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat.

16. Lors de l’examen de la demande d’autorisation, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. L’autorisation délivrée fixe alors la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée, cette durée ne pouvant être inférieure à cent ans.

17. En outre, l’autorisation de mise en service est limitée à une phase pilote qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération.

18. Les résultats de la phase pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, soumis aux mêmes autorités et personnes publiques que celles intervenant au cours de la procédure d’autorisation. Après la présentation d’un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage, l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation, à la condition que la réversibilité du centre de stockage soit garantie dans les conditions prévues par la loi.

19. Enfin, seule une loi peut autoriser la fermeture définitive du centre, qui consiste en l’achèvement de toutes les opérations et aménagements, y compris ceux qui resteront requis pour permettre les interventions éventuellement nécessaires à la maîtrise, après la fermeture définitive et à plus long terme, des risques et inconvénients que l’installation présente pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement.

20. En dernier lieu, la participation des citoyens est assurée tout au long de l’activité du centre de stockage par le biais d’une mise à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, d’un plan directeur portant sur son exploitation.

21. Il résulte de tout ce qui précède que, compte tenu des garanties mentionnées précédemment, les dispositions contestées ne méconnaissent pas les exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule.

22. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

 

Article 1er. – Les deuxième et troisième alinéas de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement ainsi que les troisième et quatrième phrases du quatorzième alinéa de ce même article, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-1015 du 25 juillet 2016 précisant les modalités de création d’une installation de stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs de haute et moyenne activité à vie longue, sont conformes à la Constitution.

 

Article 2. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l’article 23-11 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

 

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 26 octobre 2023, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Jacqueline GOURAULT, M. Alain JUPPÉ, Mmes Corinne LUQUIENS, Véronique MALBEC, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET, Michel PINAULT et François SÉNERS.

 

Rendu public le 27 octobre 2023.

 

Abstracts

1.6.2

Préambule

Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard.

2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, paragr. 6

1.6.3

Article 1er - Droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé

Il découle de l’article 1er de la Charte de l’environnement éclairé par le septième alinéa de son préambule que, lorsqu’il adopte des mesures susceptibles de porter une atteinte grave et durable à un environnement équilibré et respectueux de la santé, le législateur doit veiller à ce que les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne compromettent pas la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins, en préservant leur liberté de choix à cet égard. Les limitations apportées par le législateur à l’exercice du droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.

2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, paragr. 6 7

4.11.1.1

Contrôle à l'aune des capacités des générations futures

L’article L. 542–10–1 du code de l’environnement fixe le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Les dispositions contestées de cet article prévoient que le stockage de déchets radioactifs dans un tel centre est soumis à une exigence de réversibilité, mise en œuvre selon des modalités précises et pendant une durée minimale. En permettant le stockage de déchets radioactifs dans une installation souterraine, ces dispositions sont, au regard de la dangerosité et de la durée de vie de ces déchets, susceptibles de porter une atteinte grave et durable à l’environnement. Toutefois, en premier lieu, il ressort des travaux préparatoires que, en les adoptant, le législateur a entendu, d’une part, que les déchets radioactifs puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Ce faisant, il a souhaité poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas, en l’état des connaissances scientifiques et techniques, manifestement inappropriées à ces objectifs. En deuxième lieu, il résulte des termes mêmes de l’article L. 542-1 du code de l’environnement que la gestion des déchets radioactifs doit être assurée dans le respect de la protection de la santé des personnes, de la sécurité et de l’environnement et que la mise en œuvre des moyens nécessaires à la mise en sécurité définitive des déchets radioactifs doit prévenir ou limiter les charges qui seront supportées par les générations futures. À cette fin, l’article L. 542–10-1 du même code entoure la création et l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de différentes garanties propres à assurer le respect de ces exigences. D’une part, le stockage en couche géologique profonde de tels déchets doit garantir la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l’exploitation des tranches successives du stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. Cette réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l’adaptabilité de la conception et la flexibilité d’exploitation du stockage, et inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d’exploitation et de fermeture du stockage. D’autre part, la création d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est soumise à une procédure d’autorisation particulière. La demande d’autorisation doit concerner une couche géologique ayant fait l’objet d’études au moyen d’un laboratoire souterrain. Le dépôt de cette demande doit être précédé d’un débat public sur la base d’un dossier réalisé par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. La demande doit également donner lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l’article L. 542-3 du code de l’environnement, à un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l’avis des collectivités territoriales intéressées. Elle est ensuite transmise à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l’évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l’Assemblée nationale et du Sénat. Lors de l’examen de la demande d’autorisation, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. L’autorisation délivrée fixe alors la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée, cette durée ne pouvant être inférieure à cent ans. En outre, l’autorisation de mise en service est limitée à une phase pilote qui doit permettre de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation, notamment par un programme d’essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase, qui comprend des essais de récupération. Les résultats de la phase pilote font l’objet d’un rapport de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, soumis aux mêmes autorités et personnes publiques que celles intervenant au cours de la procédure d’autorisation. Après la présentation d’un projet de loi adaptant les conditions d’exercice de la réversibilité du stockage, l’Autorité de sûreté nucléaire délivre l’autorisation de mise en service complète de l’installation, à la condition que la réversibilité du centre de stockage soit garantie dans les conditions prévues par la loi. Enfin, seule une loi peut autoriser la fermeture définitive du centre, qui consiste en l’achèvement de toutes les opérations et aménagements, y compris ceux qui resteront requis pour permettre les interventions éventuellement nécessaires à la maîtrise, après la fermeture définitive et à plus long terme, des risques et inconvénients que l’installation présente pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l’environnement. En dernier lieu, la participation des citoyens est assurée tout au long de l’activité du centre de stockage par le biais d’une mise à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l’ensemble des parties prenantes et le public, d’un plan directeur portant sur son exploitation. Rejet du grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 1er de la Charte de l’environnement tel qu’interprété à la lumière du septième alinéa de son préambule.

2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, paragr. 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21

11.6.3.5.1

Délimitation plus étroite de la disposition législative soumise au Conseil constitutionnel

Le Conseil constitutionnel juge que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur un champ plus restreint que la disposition renvoyée.

2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, paragr. 3

11.7.2.2.3

Référence aux travaux préparatoires de la loi déférée

Le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions de l'article L. 542-10-1 du code de l'environnement fixant le régime applicable à la création et à l’exploitation d’un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs. Il ressort des travaux préparatoires que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu, d’une part, que les déchets radioactifs puissent être stockés dans des conditions permettant de protéger l’environnement et la santé contre les risques à long terme de dissémination de substances radioactives et, d’autre part, que la charge de la gestion de ces déchets ne soit pas reportée sur les seules générations futures. Ce faisant, il a souhaité poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de protection de la santé.

2023-1066 QPC, 27 octobre 2023, paragr. 11

Références doctrinales

  • Rochfeld, Judith; Fontbaustier, Laurent, Le Conseil constitutionnel et les intérêts des générations futures : À propos de Cons. const., 27 oct. 2023, n° 2023-1066, QPC, La Semaine juridique. Édition générale, 11 décembre 2023, n°49, p. 2156-2162.
  • Salles, Sylvie, Constitutionnalisme vert et déchets nucléaires : consécration historique de la liberté de choix des « générations futures", La Gazette du Palais, 5 décembre 2023, n°40, p. 9-12.
  • Radisson, Laurent, Le Conseil constitutionnel affirme la liberté de choix des générations futures, Droit de l'environnement, décembre 2023, n°327, p. 419-420.
  • Brenot, Vincent, Exercice d’équilibriste du Conseil constitutionnel entre préservation de l’environnement et redynamisation de l’industrie, La Semaine juridique. Édition générale, 20 novembre 2023, n°46, p. 2002.