Tribunal administratif de Rouen

Jugement du 26 octobre 2023 n° 2104438

26/10/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 novembre 2021, 27 juillet 2022 et 16 février 2023, Mme A B, représentée par Me Alves Da Costa, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 22 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Rouvray l'a suspendue de ses fonctions à compter du 22 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la covid-19 ;

2) d'enjoindre au directeur du centre hospitalier de procéder à la reconstitution de sa carrière pour la période de suspension et de lui verser la rémunération afférente dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement à intervenir;

3) de mettre à la charge du centre hospitalier du Rouvray la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- il y a lieu de statuer sur sa requête dès lors qu'elle n'a été réintégrée qu'à compter du 26 novembre 2021 ;

- la décision a été signée par un auteur ne justifiant pas de sa compétence ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle ne pouvait prendre effet qu'à l'issue de son congé maladie ;

- la loi créé une rupture d'égalité entre les fonctionnaires d'une part et entre les fonctionnaires et les agents du secteur privé, d'autre part.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2022, le centre hospitalier du Rouvray conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme B ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n°86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n°2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code général de la fonction publique ;

- le décret n°2021-699 du 1er juin 2021 ;

- la décision n°2021-824 DC du Conseil constitutionnel du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mulot, premier conseiller ;

- et les conclusions de Mme Cazcarra, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. L'émergence d'un nouveau coronavirus, responsable de la maladie à coronavirus 2019 ou covid-19 et particulièrement contagieux, a été qualifiée d'urgence de santé publique de portée internationale par l'Organisation mondiale de la santé le 30 janvier 2020, puis de pandémie le 11 mars 2020. Celle-ci prend la forme de vagues soudaines, difficiles à prévenir et entraînant dans un délai très bref des conséquences particulièrement graves, y compris un nombre significatif de décès et la saturation des capacités hospitalières. Ce risque s'est aggravé avec l'apparition d'un nouveau variant, encore plus contagieux.

2. La loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a notamment prévu l'obligation, sur laquelle il sera revenu infra, pour les personnels exerçant dans les structures qu'elle énonce, d'être vaccinés contre la covid-19, et instauré en cas de non-respect de cette obligation une mesure de suspension sans traitement.

3. Mme B a exercé les fonctions d'infirmière au centre hospitalier du Rouvray sous couvert de contrats et a été nommée fonctionnaire stagiaire le 29 juin 2021. Par une décision du 22 septembre 2021, le directeur dudit centre hospitalier a prononcé sa suspension à compter du même jour. Mme B, qui a été réintégrée à compter du 26 novembre 2021, demande à titre principal au tribunal l'annulation de cette mesure de suspension.

4. D'une part, aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière applicable au litige et désormais repris aux articles L. 822-1 et suivants du code général de la fonction publique : " Le fonctionnaire en activité à droit : () 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. Le fonctionnaire conserve, en outre, ses droits à la totalité du supplément familial de traitement et de l'indemnité de résidence. Le bénéfice de ces dispositions est subordonné à la transmission par le fonctionnaire, à son administration, de l'avis d'arrêt de travail justifiant du bien-fondé du congé de maladie, dans un délai et selon les sanctions prévues en application de l'article 42 ".

5. D'autre part, aux termes du I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () ". Et aux termes du III de l'article 14 de la même loi : " Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ".

6. En premier lieu, il résulte des articles L. 6143-7 et D. 6143-33 et suivants du code de la santé publique que le directeur d'un établissement public de santé peut déléguer sa signature dans les conditions définies par ces dispositions. Par une décision du 1er avril 2021 publiée le 16 avril suivant au recueil des actes administratifs, le directeur du centre hospitalier du Rouvray a consenti à l'adjointe au directeur des ressources humaines, signataire de l'acte attaqué, délégation aux fins de signer, notamment, tous les " actes de gestion courante () de gestion administrative et carrière du personnel non médical ". Il s'ensuit que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte doit être écarté.

7. En deuxième lieu, il résulte des dispositions citées aux points 4 et 5 du présent jugement que si le directeur d'un établissement de santé public peut légalement prendre une mesure de suspension à l'égard d'un agent qui ne satisfait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19 alors que cet agent est déjà en congé de maladie, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne peuvent toutefois entrer en vigueur qu'à compter de la date à laquelle prend fin le congé de maladie de l'agent en question ou de tout autre congé qui lui aurait été immédiatement consécutif.

8. Mme B s'est vu délivrer par un médecin un avis d'arrêt de travail du 14 septembre 2021 au 21 septembre 2021, du 21 septembre au 27 septembre, du 27 septembre au 11 octobre 2021, du 11 octobre au 24 octobre, et enfin du 25 octobre au 28 novembre 2021, soit sans aucune interruption. Il n'est pas contesté qu'elle adressé ces documents dans les quarante-huit heures de leur établissement au service des ressources humaines.

9. Il suit de ce qui vient d'être dit que Mme B est fondée à soutenir que la décision attaquée ne pouvait prendre effet qu'à l'issue de ses congés, qui étaient immédiatement consécutifs.

10. En dernier lieu, si Mme B soutient que les dispositions citées au point 5 méconnaissent le principe constitutionnel d'égalité, en dehors de la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité instituée à l'article 61-1 de la Constitution, il n'appartient pas au juge administratif de porter une appréciation sur la constitutionnalité de la loi. Par suite, ce moyen n'est pas recevable et doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme B est seulement fondée à demander l'annulation de la décision attaquée en tant qu'elle prend effet avant la fin de ses congés de maladie.

12. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public () prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".

13. Le présent jugement implique nécessairement que le directeur du centre hospitalier du Rouvray verse à Mme B le traitement dont elle a été privée pendant la période durant laquelle la mesure de suspension était en vigueur et procède à la reconstitution de sa carrière pour ladite période. Un délai de deux mois sera accordé pour l'exécution de cette mesure.

14. Enfin il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier du Rouvray une somme de 500 euros au titre des frais exposés par Mme B et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er: La décision du 22 septembre 2021 par laquelle le directeur du centre hospitalier du Rouvray a suspendu Mme B de ses fonctions à compter du 22 septembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la covid-19 est annulée en tant qu'elle prend effet avant l'expiration des congés de maladie de l'intéressée.

Article 2 : Il est enjoint au directeur du centre hospitalier du Rouvray de verser à Mme B la rémunération dont elle a été privée durant la période de suspension effective et de reconstituer sa carrière, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le centre hospitalier du Rouvray versera à Mme B une somme de 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la requête sont rejetées pour le surplus.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et au centre hospitalier du Rouvray.

Délibéré après l'audience du 12 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Gaillard, présidente,

MM. Bouvet et Mulot, premiers conseillers,

Assistés de M. Tostivint, greffier.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 octobre 2023.

Le rapporteur,

Robin Mulot

La présidente,

Anne Gaillard

Le greffier,

Henry Tostivint

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2104438