Tribunal administratif de Clermont-Ferrand

Ordonnance du 24 octobre 2023 n° 2301925

24/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 9 août 2023, la société Esbrat Roche, représentée par Me Labasse, demande au tribunal, à l'appui de sa requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2018, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts :

Elle soutient que :

- la question prioritaire de constitutionnalité répond aux conditions de recevabilité requises pour faire l'objet d'une transmission au Conseil constitutionnel dès lors que le 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts est applicable au litige, que cette disposition n'a pas été déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel et que la question présente un caractère sérieux compte tenu de ce que l'article 19 de la loi de finances pour 2022 a supprimé la deuxième condition antérieurement requise afin de pouvoir bénéficier de l'exonération des plus-values de cession de fonds exploités en location-gérance ;

- le 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts méconnaît la liberté d'entreprendre dès lors que cette disposition constitue une entrave au libre choix du mode d'exploitation d'un fonds de commerce ;

- le 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts méconnaît le principe de l'égalité devant la loi fiscale dès lors qu'une personne physique ou morale propriétaire d'un fonds de commerce est traitée fiscalement différemment lors de la cession dudit fonds selon qu'elle l'a ou non donné précédemment en location-gérance et selon qu'elle le cède à son locataire-gérant ou à un tiers ; cette différence de traitement fiscal n'est pas justifiée par une différence de situation ou par des motifs d'intérêt général.

Le directeur départemental des finances publiques du Puy-de-Dôme, auquel la question prioritaire de constitutionnalité a été transmise, n'a pas produit d'observation.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts, notamment l'article 238 quindecies ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () Les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine des conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat (). Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ".

3. Aux termes de l'article 238 quindecies du code général des impôts dans sa version applicable : " I. - Les plus-values soumises au régime des articles 39 duodecies à 39 quindecies et réalisées dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole à l'occasion de la transmission d'une entreprise individuelle ou d'une branche complète d'activité autres que celles mentionnées au V sont exonérées pour 1° La totalité de leur montant lorsque la valeur des éléments transmis servant d'assiette aux droits d'enregistrement mentionnés aux articles 719,720 ou 724 ou des éléments similaires utilisés dans le cadre d'une exploitation agricole est inférieure ou égale à 300 000 € ; (). VII. - La transmission d'une activité qui fait l'objet d'un contrat de location-gérance ou d'un contrat comparable peut bénéficier du régime défini au I si les conditions suivantes sont simultanément satisfaites : 1° L'activité est exercée depuis au moins cinq ans au moment de la mise en location ; 2° La transmission est réalisée au profit du locataire. Pour l'appréciation des seuils mentionnés aux 1° et 2° du I, il est tenu compte de la valeur des éléments de l'activité donnée en location servant d'assiette aux droits d'enregistrement mentionnés aux articles 719,720 ou 724 ou de la valeur des éléments similaires utilisés dans le cadre d'une exploitation agricole mise en location. "

4. La société Esbrat Roche soutient que le 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts méconnaît le principe de l'égalité devant l'impôt aux motifs qu'une personne physique ou morale propriétaire d'un fonds de commerce est traitée fiscalement différemment lors de la cession dudit fonds selon qu'elle l'a ou non donné précédemment en location-gérance et selon qu'elle le cède à son locataire-gérant ou à un tiers et que cette différence de traitement fiscal n'est pas justifiée par une différence de situation ou par des motifs d'intérêt général.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse () ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité devant les charges publiques, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. Il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 2005-1720 du 30 décembre 2005 de finances rectificatives pour 2005 que le législateur a entendu, en adoptant l'article 238 quindecies du code général des impôts, pérenniser en le renforçant le dispositif temporaire d'exonération des plus-values professionnelles en étendant son champ d'application à toutes les transmissions, selon des modalités particulières qu'il a définies, en particulier pour la transmission d'activités faisant l'objet d'une location-gérance ou d'un régime comparable. Le locataire d'un fonds exploité sous un régime répondant aux caractéristiques de la location-gérance prévue aux articles L. 144-1 à L. 144-13 du code de commerce, fondé notamment sur l'exploitation à ses risques et périls, se trouve dans une situation différente de celle d'un autre repreneur potentiel de ce fonds de commerce, quel que soit le mode selon lequel la poursuite de cette activité sera mise en œuvre. Par suite, le moyen selon lequel la différence de traitement résultant de ces dispositions, qui reposent sur un critère objectif et rationnel en rapport avec le mode d'exploitation de l'activité transmise, constituerait une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ne peut être regardé comme posant une question sérieuse.

7. Les dispositions du 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts n'ont pas pour effet de restreindre la liberté d'entreprendre. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elles méconnaîtraient la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ne présente pas un caractère sérieux.

8. La question soulevée ne présentant ainsi pas un caractère sérieux, peu important à cet égard la circonstance que l'article 19 de la loi n° 2021-1900 du 31 décembre 2021 de finances pour 2022 a modifié le 2° du VII de l'article 238 quindecies du code général des impôts en prévoyant que l'exonération des plus-values réalisées lors de la cession d'une activité qui fait l'objet d'un contrat de location-gérance n'était plus limitée au cas où la transmission était réalisée au profit du locataire, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par la société Esbrat Roche.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Esbrat Roche.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Esbrat Roche et au directeur départemental des finances publiques du Puy-de-Dôme.

Fait à Clermont-Ferrand, le 24 octobre 2023.

La présidente de la 1er chambre,

R. CARAËS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2301925

Code publication

D