Tribunal administratif de Lyon

Jugement du 23 octobre 2023 n° 2108850

23/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 5 novembre 2021 et le 16 février 2023, Mme A B, représentée par le cabinet d'avocats Asterio, demande au tribunal :

- d'annuler la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur général des Hospices civils de Lyon a prononcé sa suspension de fonctions ;

- de mettre à la charge des Hospices civils de Lyon la somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision attaquée est entachée d'un vice de procédure dès lors qu'elle n'a pas été précédée d'un entretien et d'une procédure contradictoire et que l'utilisation de jours de congés payés ne lui a pas été proposée ;

- la prise de congés payés jusqu'au 19 septembre 2021 et son placement en congé de maladie du 16 septembre 2021 jusqu'au 19 novembre 2021 faisaient obstacle à sa suspension de fonctions ;

- l'obligation vaccinale qui lui est opposée porte une atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution justifiant le renvoi au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle présente ;

- c'est à tort que la décision en litige prévoit que sa période de suspension ne sera pas prise en compte au titre de son avancement ;

- sa suspension de fonctions ne pouvait légalement prendre effet avant sa notification.

Par un mémoire enregistré le 9 novembre 2021, Mme B demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Elle soutient que les dispositions législatives en cause portent atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé et au droit à l'emploi découlant du 5e alinéa du Préambule de la Constitution.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 juillet 2022, les Hospices civils de Lyon, représentés par la Selarl Jean-Pierre et Walgenwitz Avocats associés, concluent au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu la décision attaquée et les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d'aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Gille,

- les conclusions de Mme Reniez,

- les observations de Me Teston pour Mme B, ainsi que celles de Me Allala pour les Hospices civils de Lyon.

Considérant ce qui suit :

1. Technicienne de laboratoire employée par les Hospices civils de Lyon (HCL), Mme B demande l'annulation de la décision du 15 septembre 2021 par laquelle le directeur général des HCL a prononcé sa suspension de fonctions à compter du même jour au motif qu'elle ne justifiait pas de la régularité de sa situation au regard de l'obligation de vaccination contre la covid-19 résultant de la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. - Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique () / (). / II. - Un décret, pris après avis de la Haute Autorité de santé, détermine les conditions de vaccination contre la covid-19 des personnes mentionnées au I du présent article. Il précise les différents schémas vaccinaux et, pour chacun d'entre eux, le nombre de doses requises. / Ce décret fixe les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal pour les personnes mentionnées au même I et les modalités de présentation de ce certificat sous une forme ne permettant d'identifier que la nature de celui-ci et la satisfaction aux critères requis. Il détermine également les éléments permettant d'établir le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à une contamination par la covid-19 et le certificat de rétablissement à la suite d'une contamination par la covid-19 () ". Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de l'article 12 () ; / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication (). / II. - Les personnes mentionnées au I de l'article 12 justifient avoir satisfait à l'obligation prévue au même I ou ne pas y être soumises auprès de leur employeur lorsqu'elles sont salariées ou agents publics (). / V.- Les employeurs sont chargés de contrôler le respect de l'obligation prévue au I de l'article 12 par les personnes placées sous leur responsabilité () ". Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. - () B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12 (). / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit () ".

En ce qui concerne la constitutionnalité de l'obligation vaccinale :

3. Pour contester la suspension de fonctions qui lui est opposée, Mme B soutient que les dispositions des articles 12 à 14 de la loi du 5 août 2021 dont il a été fait application méconnaissent l'exigence constitutionnelle de protection de la santé ainsi que le droit à l'emploi découlant du 5e alinéa du Préambule de la Constitution.

4. Il résulte des dispositions combinées des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, le tribunal administratif transmet la question prioritaire de constitutionnalité qui lui est soumise au Conseil d'Etat à la condition notamment que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

5. Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015, il est loisible au législateur de définir une politique de vaccination afin de protéger la santé individuelle et collective, ainsi que de modifier les dispositions relatives à cette politique de vaccination pour tenir compte de l'évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiques. Le droit à la protection de la santé garanti par le Préambule de la Constitution de 1946 n'impose pas de rechercher si l'objectif de protection de la santé que s'est assigné le législateur aurait pu être atteint par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

6. En adoptant, pour l'ensemble des personnes exerçant leur activité dans les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique, à l'exception de celles y effectuant une tâche ponctuelle, le principe d'une obligation vaccinale à compter du 15 septembre 2021, le législateur a entendu, dans un contexte de progression rapide de l'épidémie de Covid-19 accompagné de l'émergence de nouveaux variants et compte tenu d'un niveau encore incomplet de la couverture vaccinale de certains professionnels de santé, garantir le bon fonctionnement des services hospitaliers publics grâce à la protection offerte par les vaccins disponibles et protéger la santé des malades qui y étaient hospitalisés. Cette obligation vaccinale ne s'impose pas, en vertu de l'article 13 de la même loi du 5 août 2021, aux personnes qui présentent un certificat médical de contre-indication ainsi que, pendant la durée de sa validité, aux personnes disposant d'un certificat de rétablissement. Par ailleurs, le IV de l'article 12 contesté donne compétence au pouvoir réglementaire, compte tenu de l'évolution de la situation épidémiologique et des connaissances médicales et scientifiques et après avis de la Haute autorité de santé, pour suspendre cette obligation pour tout ou partie des catégories de personnes qu'elle concerne. Enfin, il est constant que la vaccination contre la Covid-19, dont l'efficacité au regard des objectifs rappelés ci-dessus n'est pas sérieusement contestée, n'est susceptible de provoquer, sauf dans des cas très rares, que des effets indésirables mineurs et temporaires. Dans ces conditions et alors même que, comme elle le relève, leur mise en œuvre est malheureusement susceptible de priver les établissements de santé des services de ceux qui n'entendent pas se soumettre à l'obligation de vaccination, Mme B n'est pas fondée à soutenir que les dispositions qu'elle conteste, qui sont justifiées par une exigence de santé publique et ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif qu'elles poursuivent, portent atteinte à l'exigence constitutionnelle de protection de la santé garantie par le Préambule de la Constitution de 1946.

7. L'obligation vaccinale critiquée ne porte par elle-même aucune atteinte au droit à l'emploi découlant du 5ème alinéa du préambule de la Constitution de 1946 et, s'agissant des personnes employées dans un établissement de santé qui refusent de se soumettre à l'obligation vaccinale en dehors des motifs prévus par la loi, les dispositions en litige ne prévoient pas la rupture de leur contrat de travail ou la cessation de leurs fonctions mais la suspension du contrat de travail ou des fonctions exercées jusqu'à ce que l'agent produise les justificatifs requis. Dans ces conditions et nonobstant les inconvénients d'ordre professionnel et matériel liés à une suspension de fonctions dont fait état la requérante, les dispositions critiquées opèrent une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles qui découlent du 5ème alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 et celles du droit à la protection de la santé rappelé ci-dessus

8. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que l'obligation vaccinale opposée à la requérante porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution ne présente pas de caractère sérieux et peut être écarté sans qu'il y ait lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qui est invoquée.

En ce qui concerne la légalité de la décision en litige :

S'agissant de la légalité externe :

9. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou réglementaire que la légalité de la mesure de suspension prévue par l'article 14 de la loi du 5 août 2021, qui définit les conditions d'édiction d'un tel acte, serait subordonnée au respect d'une procédure contradictoire, en particulier à la tenue préalable d'un entretien, ou à la délivrance d'une information spécifique quant à la possibilité pour les agents concernés de faire valoir leurs droits à congés payés. Par suite et alors qu'il est constant que la requérante a notamment été destinataire d'un courrier d'information du 12 août 2021 et d'une mise en demeure du 6 septembre suivant relatifs à sa situation à l'égard de son obligation vaccinale et aux conséquences susceptibles d'en être tirées, les moyens tirés par Mme B de l'absence de procédure contradictoire et d'un défaut d'information quant à la possibilité de prendre des congés doivent être écartés.

S'agissant de la légalité interne :

10. Si Mme B soutient que la décision en litige ne pouvait légalement prévoir que sa période de suspension ne sera pas prise en compte au titre de l'avancement, il résulte des termes mêmes de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 cités au point 2 que la suspension prévue par cet article ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Par suite, le moyen doit être écarté.

11. Alors qu'aux termes de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, le fonctionnaire en activité a droit à un congé annuel avec traitement et qu'en vertu de l'article 14 de la loi du 5 août 2021, l'agent public qui ne peut plus exercer son emploi en application du I de ce même article peut, avec l'accord de son employeur, utiliser des jours de congés payés, il est constant qu'à la date de la décision en litige, Mme B était en congés annuels depuis le 1er septembre précédent. Si cette circonstance ne faisait pas en elle-même obstacle à ce que l'autorité compétente prenne une mesure de suspension à l'égard de la requérante au motif qu'elle ne satisfaisait pas à l'obligation vaccinale contre la covid-19, cette mesure et la suspension de traitement qui lui est associée ne pouvaient toutefois entrer en vigueur avant l'expiration de la période de congé de l'intéressée. Dans ces conditions, Mme B est fondée à soutenir qu'étant en congés le 15 septembre 2021, la décision qu'elle conteste est entachée d'illégalité en tant qu'elle porte sur une période antérieure à la fin des congés auxquels elle avait droit.

12. Il résulte de ce qui précède que la décision du 15 septembre 2021 doit être annulée en tant qu'elle porte sur la période courant du 15 septembre 2021 jusqu'au terme des congés annuels de Mme B ayant débuté le 1er août 2021 ou de tout autre congé qui leur aurait été immédiatement consécutif.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions des HCL présentées à ce titre et dirigées contre la requérante, qui n'est pas partie perdante. Dans les circonstances de l'espèce et en application de ces mêmes dispositions, il y a lieu de mettre à la charge des HCL le versement à Mme B de la somme de 1 000 euros au titre des frais d'instance.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur général des HCL du 15 septembre 2021 est annulée en tant qu'elle porte sur la période courant du 15 septembre 2021 jusqu'au terme des congés annuels de Mme B ayant débuté le 1er août 2021 ou de tout autre congé qui leur aurait été immédiatement consécutif.

Article 2 : les HCL verseront à Mme B la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à Mme A B et aux Hospices civils de Lyon.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gille, président,

M. Richard-Rendolet, premier conseiller,

Mme de Mecquenem, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2023.

L'assesseur le plus ancien

F.-X. Richard-Rendolet

Le président, rapporteur

A. GilleLe greffier,

Y. Mesnard

La République mande et ordonne au préfet du Rhône en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier.

Code publication

C