Cour administrative d'appel de Paris

Arrêt du 20 octobre 2023 n° 22PA03108

20/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par un arrêté conjoint du 21 novembre 2019, la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de la culture ont désigné les représentants des organisations professionnelles et syndicales et les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale et les représentants des organismes de gestion collective (OGC) pour siéger au sein de la commission professionnelle des artistes-auteurs instituée par l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale. Le comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP), le syndicat des écrivains de langue française (SELF), le syndicat solidarité maison des artistes-CFDT (SMDA-CFDT), le syndicat national des artistes-auteurs-FO (SNAA-FO), le syndicat national des artistes plasticiens-CGT (SNAP-CGT), le syndicat national des photographes (SNP) et l'union nationale des peintres illustrateurs (UNPI) ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cet arrêté et de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale dans sa version modifiée par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et les dispositions de l'article L. 321-2, alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version modifiée par l'ordonnance n°2016-1823 du 22 décembre 2016 portant transposition de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur.

Par jugement n° 2001130 du 3 mai 2022, le tribunal administratif de Paris a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le CAAP, le SELF, le SMDA-CFDT, le SNAA-FO, le SNAP-CGT, le SNP et l'UNPI et a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire enregistrés les 7 juillet et 29 septembre 2022 et le 17 mars 2023, le comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP), le syndicat des écrivains de langue française (SELF), le syndicat solidarité maison des artistes (SMDA-CFDT), le syndicat national des artistes-auteurs-FO (SNAA-FO), le syndicat national des photographes (SNP) et l'union nationale des peintres illustrateurs (UNPI), représentés par Me Haas, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2001130/6-2 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) à titre subsidiaire de transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne une question préjudicielle relative à la directive n° 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 21 novembre 2019 ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 600 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il est insuffisamment motivé ;

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la minute n'a pas été signée ;

- le jugement se fonde sur un texte inconstitutionnel ;

- le jugement est entaché d'une erreur de droit au regard des dispositions des articles L. 382-1 du code de la sécurité sociale et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle qui s'opposent à ce que deux sièges de la commission professionnelle des écrivains soient attribués à des organismes de gestion collective, alors qu'ils ne répondent pas à l'exigence de représentativité exposée à l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle ;

- l'arrêté attaqué ne pouvait désigner la société des gens de lettres au titre des organisations professionnelles et syndicales appelées à siéger au sein de la commission professionnelle des écrivains, excluant ainsi tous les autres organismes professionnels et syndicaux représentant les artistes-auteurs, sans méconnaître les dispositions des articles R. 382-4 du code de la sécurité sociale et L. 2121-1 du code du travail;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que les représentants des organismes de gestion collective ne peuvent être intégrés dans des commissions professionnelles destinées à se prononcer sur l'affiliation obligatoire des artistes-auteurs au régime général de la sécurité sociale alors que l'article 3 de la directive n° 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 réserve leur rôle à la gestion du droit d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur pour le compte de plusieurs titulaires de droits et que les dispositions des articles L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle et L. 382-1 du code de la sécurité sociale sur lesquels l'arrêté est fondé méconnaissent la directive qu'ils devaient transposer ;

- si l'issue du litige imposait une interprétation des textes européens, la cour pourrait transmettre à la Cour de justice de l'Union européenne la question préjudicielle suivante : " La directive n° 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur ne s'oppose-t-elle pas à ce que les organismes de gestion collective soient intégrés dans les commissions professionnelles destinées à se prononcer sur l'affiliation des artistes-auteurs, et plus généralement de professionnels, au régime général de sécurité sociale ' " ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que le critère de la représentativité n'est pas applicable à organismes de gestion collective ce qui les écarte nécessairement des commissions professionnelles ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur de droit dès lors que la société des gens de lettres n'est pas une " organisation professionnelle " au sens de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et qu'elle est dépourvue de toute indépendance ;

- l'arrêté attaqué en désignant des organisations professionnelles porte atteinte au droit syndical des artistes-auteurs ;

- la SGDL ne répond pas aux critères de la représentativité énoncés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 6° et 7° de l'article L. 2121-1 du code du travail.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 février 2023, la ministre de la culture, représentée par Me Magnaval, conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

La requête a été transmise à la société des gens de lettres, la société des auteurs et compositeurs dramatiques et à la société civile des auteurs multimédia qui n'ont pas produit d'observations.

Par mémoires distincts portant question prioritaire de constitutionnalité enregistrés les 7 juillet 2022 et 17 mars 2023, le comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP), le syndicat des écrivains de langue française (SELF), le syndicat solidarité maison des artistes (SMDA-CFDT), le syndicat national des artistes-auteurs-FO (SNAA-FO), le syndicat national des photographes (SNP) et l'union nationale des peintres illustrateurs (UNPI), représentés par Me Haas, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 2001130/6-2 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale dans sa version modifiée par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et les dispositions de l'article L. 321-2, alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version modifiée par l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 portant transposition de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur.

Ils soutiennent que :

- les dispositions de l'article L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale, visées par l'arrêté contesté et les dispositions de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle sont applicables au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité de l'article 23 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018 ; l'article L. 321-2, alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle n'a jamais fait l'objet d'un contrôle de constitutionalité ;

- le Conseil constitutionnel juge qu'il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes énoncés par le Préambule de la Constitution de 1946, les modalités de la mise en œuvre de la liberté syndicale selon le sixième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ; le huitième alinéa du même Préambule consacre un droit aux travailleurs, par l'intermédiaire de leurs délégués, à la participation et à la détermination collective de leurs conditions de travail ;

- les artistes-auteurs et les exploitants des œuvres constituent entre eux une communauté de travail et l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle définit le champ d'intervention des organismes de gestion collective ;

- la présence des organismes de gestion collective au sein de la commission professionnelle des écrivains évince les syndicats représentatifs des artistes et auteurs porte atteinte à la liberté syndicale ;

- les dispositions de l'article L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale et de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle méconnaissent les sixième, huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 qui sont bien applicables aux artistes-auteurs et portent atteinte à leurs droits syndicaux, à leur possibilité de participer à la détermination collective de leurs conditions de travail et à leurs droits à la protection sociale.

Par un mémoire, enregistré le 9 février 2023 la ministre de la culture conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité posée par le CAAP et autres.

Elle soutient que la question soulevée ne présente pas de caractère sérieux au sens de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1607 du 7 novembre 1958.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution du 27 octobre 1946 et notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-5 ;

- la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution ;

- la directive n° 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014

- le code de la propriété intellectuelle ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le code du travail ;

- la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Collet,

- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,

- les observations de Me Bonichot, avocat du comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs et autres ;

- et les observations de Me Magnaval, avocat de la ministre de la culture

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 21 novembre 2019, la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de la culture ont désigné les représentants des organisations professionnelles et syndicales et les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale et les représentants des organismes de gestion collective (OGC) pour siéger au sein de la commission professionnelle des artistes-auteurs instituée par l'article L. 381-1 du code de la sécurité sociale.. Six sièges ont été attribués à des organisations professionnelles et syndicales des artistes-auteurs, deux à des représentants du syndicat national de l'édition au titre des personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 382-4 du code de la sécurité sociale, un à la société des auteurs et compositeurs dramatiques et un à la société civile des auteurs multimédia au titre des organismes de gestion collective et enfin deux à des représentants de l'Etat. Par jugement n° 2001130 du 3 mai 2022, dont le comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs (CAAP), le syndicat des écrivains de langue française (SELF), le syndicat solidarité maison des artistes (SMDA-CFDT), le syndicat national des artistes-auteurs-FO (SNAA-FO), le syndicat national des photographes (SNP) et l'union nationale des peintres illustrateurs (UNPI) relèvent appel, le tribunal administratif de Paris a considéré qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale dans sa version modifiée par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et les dispositions de l'article L. 321-2, alinéa 2 du code de la propriété intellectuelle, dans sa version modifiée par l'ordonnance n°2016-1823 du 22 décembre 2016 portant transposition de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur et a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, en se bornant à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier en la forme à défaut d'être suffisamment motivé sans apporter aucun élément à l'appui de ce moyen permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé, les requérants n'établissent pas que ledit jugement serait irrégulier pour ce motif.

3. En second lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " () la minute est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".

4. Il ressort des pièces du dossier de première instance transmis à la cour que la minute du jugement attaqué comporte l'ensemble des signatures prévues par les dispositions précitées de l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par ailleurs, si l'expédition du jugement du tribunal administratif de Paris notifié aux requérants ne comporte pas ces signatures, cette circonstance n'est pas de nature à entacher la régularité du jugement attaqué.

Sur la légalité de l'arrêté du 21 novembre 2019 :

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité :

5. D'une part, aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

6. D'autre part, aux termes du quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version modifiée par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 : " L'affiliation est prononcée par les organismes agréés mentionnés à l'article L. 382-2, s'il y a lieu après consultation, à leur initiative ou à celle de l'intéressé, de commissions, instituées par branches professionnelles. Ces commissions comprennent des représentants des organisations syndicales et professionnelles des artistes. En application de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, elles peuvent également comprendre des représentants des organismes de gestion collective. Le nombre des représentants des organisations syndicales et professionnelles des artistes et, le cas échéant, des organismes de gestion collective doit être supérieur à la moitié du nombre des membres de ces commissions ". Le deuxième alinéa de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, modifié par l'ordonnance n° 2016-1823 du 22 décembre 2016 indique que : " Les organismes de gestion collective () ont également qualité pour siéger au sein des organes compétents pour délibérer en matière de protection sociale, prévoyance et formation des titulaires de droits qu'ils représentent, sous réserve des règles applicables à la représentation des syndicats professionnels conformément aux dispositions du code du travail ".

7. Le CAAP et autres soutiennent que les dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle portent atteinte aux droits syndicaux des artistes-auteurs, à leur possibilité de participer à la détermination collective de leurs conditions de travail et à leurs droits à la protection sociale qui sont protégés par les sixième, huitième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

8. Ces dispositions, qui sont applicables au présent litige, n'ont pas déjà fait l'objet d'une déclaration de conformité à la Constitution.

S'agissant de la liberté syndicale :

9. Aux termes du sixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ".

10. La commission professionnelle des écrivains instituée par l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale n'est pas une instance de négociation collective mais a pour rôle de donner un avis technique facultatif sur la qualification à apporter aux activités exercées par un demandeur qui sollicite son affiliation ou son maintien d'affiliation au régime de sécurité sociale en appréciant si son activité relève ou non de la branche en question. Par suite, la liberté syndicale des écrivains n'est pas affectée par la circonstance que le quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale, dans sa version modifiée par la loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018, ait donné la possibilité de désigner au sein de cette commission des organismes de gestion collective (OGC) qui sont des sociétés civiles qui ont pour but d'assurer la collecte et la répartition aux artistes adhérents ou à leurs ayants-droits, des droits d'auteur et redevances qui leurs sont dus au titre de l'exploitation de leurs œuvres. De plus, des représentants des syndicats peuvent également être désignés au sein de cette commission en application du même article. Il s'en suit qu'en permettant aux ministres concernés de désigner au sein de cette commission des représentants à la fois des organisations syndicales et professionnelles des artistes et à la fois et des organismes de gestion collective, les dispositions des articles L. 382-1, alinéa 4 du code de la sécurité sociale et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle ne font pas obstacle à la liberté des artistes-auteurs d'adhérer au syndicat de leur choix ou à leur liberté d'action syndicale.

S'agissant du droit à la protection sociale :

11. Aux termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ".

12. Les quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, en donnant aux ministres concernés la possibilité de désigner au sein de la commission professionnelle des écrivains à la fois des représentants des organisations syndicales et professionnelles des artistes et des représentants des OGC, n'ont pas remis en cause le droit à la protection sociale des écrivains dès lors que cette commission a pour seul rôle de donner un avis technique facultatif sur les activités exercées par le demandeur pour lui permettre d'accéder ou de maintenir son affiliation au régime de sécurité sociale.

S'agissant du principe de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail :

13. Aux termes du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : " Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ".

14. Pour les mêmes motifs que ceux développés au point 10 du présent arrêt, dès lors que la commission professionnelle des écrivains n'est pas une instance de négociation collective dans laquelle sont déterminées collectivement les conditions de travail des écrivains, la circonstance que le quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle aient donné aux ministres concernés la possibilité de désigner au sein de cette commission professionnelle à la fois des représentants des organisations syndicales et professionnelles des artistes et des représentants des OGC n'est pas de nature à porter atteinte au principe de participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail.

15. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité invoquée est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a pas lieu, par suite, de la transmettre au Conseil d'État. Les conclusions du CAAP et autres tendant à l'annulation de l'article 1er du jugement n° 2001130 du 3 mai 2022 du tribunal administratif de Paris ne peuvent, ainsi, qu'être rejetées.

En ce qui concerne les autres moyens :

16. Il ressort de ce qui a été dit précédemment que le CAAP et autres ne peuvent exciper de l'inconstitutionnalité des dispositions du quatrième alinéa de l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale et du deuxième alinéa de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle.

S'agissant de l'attribution de deux sièges à des organismes de gestion collective :

17. En premier lieu, aux termes de l'article 1er de la directive 2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 concernant la gestion collective du droit d'auteur et des droits voisins et l'octroi de licences multiterritoriales de droits sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne dans le marché intérieur : " Objet / La présente directive définit les exigences nécessaires pour assurer le bon fonctionnement de la gestion du droit d'auteur et des droits voisins par les organismes de gestion collective. Elle définit également les conditions d'octroi, par les organismes de gestion collective, de licences multiterritoriales de droits d'auteur sur des œuvres musicales en vue de leur utilisation en ligne ". Selon l'article 3 de la même directive : " Définitions / Aux fins de la présente directive, on entend par : a) " organisme de gestion collective ", tout organisme dont le seul but ou le but principal consiste à gérer le droit d'auteur ou les droits voisins du droit d'auteur pour le compte de plusieurs titulaires de droits, au profit collectif de ces derniers, qui y est autorisé par la loi ou par voie de cession, de licence ou de tout autre accord contractuel, et qui remplit les deux critères suivants ou l'un d'entre eux : i) il est détenu ou contrôlé par ses membres ; ii) il est à but non lucratif () ; ".

18. La participation d'organismes de gestion collectives dans des commissions professionnelles destinées à se prononcer sur l'affiliation obligatoire des artistes-auteurs au régime général de la sécurité sociale est une mission secondaire non exclue par les articles précités de la directive 2014/26/UE et est exercée en plus de leur mission principale de gestion de droits d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur. Dès lors, la circonstance que ces organismes de gestion collectives soient définis par la directive 2014/26/UE précitée comme ayant pour seul but ou pour but principal la gestion de droit d'auteur ou des droits voisins du droit d'auteur ne permet pas de considérer, contrairement à ce que soutiennent les requérants, qu'ils auraient une mission exclusive de toute autre faisant obstacle à ce qu'ils puissent être intégrés dans ces commissions professionnelles pour donner un avis facultatif sur ces questions particulières d'affiliation. Par suite, et sans qu'il soit nécessaire de faire application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et de poser une question préjudicielle à la cour de justice de l'Union européenne, le moyen selon lequel l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur de droit au regard de la directive n°2014/26/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ne peut qu'être écarté.

19. En deuxième lieu, dès lors qu'en application des articles précités L. 382-1 du code de la sécurité sociale et du deuxième alinéa de l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle, des représentants des OGC peuvent être désignés par les ministres compétents pour siéger au sein des organes pour délibérer notamment en matière de protection sociale des titulaires de droits qu'ils représentent, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que seuls des syndicats professionnels pourraient être désignés au sein de la commission professionnelle des écrivains. Par ailleurs, en permettant la présence de ces organismes au sein des organes compétents pour délibérer en matière de protection sociale " sous réserve des règles applicables à la représentation des syndicats professionnels conformément aux dispositions du code du travail ", l'article L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle limite la possibilité de désignation de ces organismes par les ministres compétents aux seuls cas dans lesquels le code du travail n'impose pas la désignation de représentants des syndicats professionnels pour siéger dans les commissions concernées c'est-à-dire lorsque les titulaires de droits n'ont pas le statut de salariés. Dès lors que les OGC n'ont pas à remplir les critères de représentativité imposés aux syndicats professionnels, le CAAP et autres ne peuvent utilement soutenir que l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur de droit au motif que les OGC ne répondraient pas à l'exigence de représentativité. Par suite, le moyen selon lequel l'arrêté attaqué serait entaché d'une erreur de droit pour ces motifs au regard des dispositions des articles L. 382-1 du code de la sécurité sociale et L. 321-2 du code de la propriété intellectuelle n'est pas fondé. La circonstance que les premiers juges ont souligné l'imprécision du moyen soulevé par les requérants en indiquant qu'" au demeurant, ils n'établissent pas quels critères de représentativité ces OGC ne respectaient pas " est sans incidence sur leur appréciation portée à bon droit sur l'inopérance de ce moyen résultant de l'inapplicabilité des critères de représentativité aux OGC.

S'agissant du siège de la commission professionnelle des écrivains attribué à la société des gens de lettres (SGDL) :

20. Aux termes de l'article R. 382-4 du code de la sécurité sociale : " Les commissions instituées par l'article L. 382-1 sont composées de représentants de l'Etat, de représentants des organisations professionnelles et syndicales des artistes-auteurs, de représentants des personnes mentionnées à l'article L. 382-4 et peuvent comprendre également des représentants des organismes de gestion collective. Elles sont composées au plus de quatorze membres, y compris les représentants de l'Etat. Plus de la moitié de ces membres représentent les organisations professionnelles et syndicales des artistes-auteurs et, le cas échéant, les organismes de gestion collective. /Un arrêté conjoint du ministre chargé de la culture et du ministre chargé de la sécurité sociale désigne, pour une durée de trois ans, les organisations professionnelles et syndicales représentant les artistes-auteurs et les personnes mentionnées au premier alinéa de l'article L. 382-4 ainsi que les organismes de gestion collective qui sont appelés à siéger au sein de ces commissions, en tenant compte des critères mentionnés aux 1°, 2°, 3°, 4°, 6° et 7° de l'article L. 2121-1 du code du travail ". Aux termes de l'article L. 2121-1 du code du travail : " La représentativité des organisations syndicales est déterminée d'après les critères cumulatifs suivants : 1° Le respect des valeurs républicaines ; / 2° L'indépendance ; / 3° La transparence financière ; / 4° Une ancienneté minimale de deux ans dans le champ professionnel et géographique couvrant le niveau de négociation. Cette ancienneté s'apprécie à compter de la date de dépôt légal des statuts ; () / 6° l'influence, prioritairement caractérisée par l'activité et l'expérience ; / 7° Les effectifs d'adhérents et les cotisations. ".

21. En premier lieu, les articles L. 382-1 et R. 382-4 du code de la sécurité sociale, prévoient expressément que la commission professionnelle des écrivains est notamment composée " de représentants des organisations professionnelles () des artistes-auteurs ", organisations professionnelles notamment constituées sous la forme d'association reconnue d'utilité publique comme la SGDL en raison de ses missions d'intérêt général visant la défense et la représentation de l'ensemble des auteurs auxquels elle offre ses services, qu'ils soient membres ou non. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent les requérants, il ne résulte pas des dispositions précitées que seules des organisations syndicales pourraient être désignées au sein de cette commission . De plus, si l'article L. 382-1 du code de la sécurité sociale indique que peuvent être désignés dans les commissions concernées des représentants des organisations syndicales et professionnelles, l'emploi de la conjonction de coordination " et " ne signifie aucunement que ces organisations doivent à la fois être syndicales et professionnelles mais au contraire que des représentants des organisations syndicales et des représentants des organisations professionnelles peuvent faire l'objet d'une telle désignation.

22. En deuxième lieu, la commission professionnelle des écrivains n'est pas une instance de négociation collective mais a pour rôle de donner un avis technique sur la qualification à apporter aux activités exercées par un auteur indépendant qui sollicite son affiliation ou son maintien d'affiliation au régime général de sécurité sociale. Par suite, en attribuant un siège à la SGDL, l'arrêté attaqué n'a porté aucune atteinte à la liberté syndicale des artistes-auteurs.

23. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que la SGDL a été fondée le 28 avril 1838 et qu'elle a notamment pour missions de défendre le droit d'auteur à l'échelle nationale, européenne et internationale, ainsi que les intérêts moraux et patrimoniaux des auteurs de livres, de défendre la liberté de création et d'expression des auteurs de livres et de favoriser le rayonnement de la langue française, de soutenir la création littéraire, dans tous les secteurs de l'édition, et de favoriser sa diffusion sous toutes ses formes et une rémunération juste et équitable des auteurs de livres. De plus, elle représente et défend notamment les intérêts des auteurs de l'écrit et a un rôle d'information, de conseil et d'assistance juridique à leur égard. Ainsi, elle ne représente pas ses seuls adhérents mais également l'intérêt collectif des artistes-auteurs. Si le CAAP et autres contestent le nombre de 6 000 membres qu'elle revendique, ils n'apportent aucun élément à l'appui de leurs allégations permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par ailleurs, les seules circonstances que la SGDL perçoive des subventions allouées par le ministère de la culture, de l'emploi desquelles elle doit justifier, et que ses statuts prévoient que le rapport annuel et ses comptes sont adressés chaque année au préfet de Paris, au ministre de l'intérieur et au ministre chargé de la culture et qu'elle bénéficierait d'un bail emphytéotique signé avec l'Etat ne sauraient caractériser un rapport de dépendance par rapport à l'Etat. Le CAAP et autres ne peuvent, au surplus, pour dénier toute indépendance de la SGDL se prévaloir utilement de ce qu'elle a, postérieurement à l'arrêté contesté, été chargée de la distribution de l'aide d'urgence dans le cadre de la crise sanitaire ni de ce que ses rapports financiers, lesquels sont au demeurant transmis à l'Etat, ne sont pas publiés pour lui dénier toute transparence financière. Il s'ensuit que, contrairement à ce que soutiennent le CAAP et autres, dès lors que la SGDL remplit les critères fixés aux points 1 à 4, 6 et 7 de l'article L. 2121-1 du code du travail et qu'elle représente l'intérêt collectif des artistes-auteurs, la ministre des solidarités et de la santé, le ministre de l'action et des comptes publics et le ministre de la culture pouvaient sans méconnaître cet article du code du travail attribuer un siège à la SGDL au sein de la commission professionnelle des écrivains.

24. Il résulte de tout ce qui précède que le CAAP, le SELF, le SMDA-CFDT, le SNAA-FO, le SNP et l'UNPI ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.

Sur les frais de l'instance :

25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser aux CAAP, SELF, SMDA-CFDT, SNAA-FO, SNP et à l'UNPI la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du CAAP, SELF, SMDA-CFDT, SNAA-FO, SNP et de l'UNPI est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au comité pluridisciplinaire des artistes-auteurs, au syndicat des écrivains de langue française, au syndicat solidarité maison des artistes, au syndicat national des artistes-auteurs-FO, au syndicat national des photographes, à l'union nationale des peintres illustrateurs, au ministre des solidarités et de la santé, au ministre de l'action et des comptes publics, à la ministre de la culture et à la société des gens de lettres, la société des auteurs et compositeurs dramatiques et à la société civile des auteurs multimédia.

Délibéré après l'audience du 2 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Menasseyre, présidente,

- M. Ho Si Fat, président assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2023.

La rapporteure,

 

 

A. COLLET La présidente,

A. MENASSEYRE

Le greffier,

 

P. TISSERAND

La République mande et ordonne à la ministre de la culture en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

C