Tribunal administratif de Melun

Jugement du 19 octobre 2023 n° 2003100

19/10/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 avril 2020, la société civile immobilière (SCI) Bonheur, représentée par Mes Michaud et Chabane, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été notifiés au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La requérante soutient que :

- c'est à tort qu'elle a été imposée à l'impôt sur les sociétés alors qu'elle n'a jamais opté pour un tel régime ;

- elle a été soumise à un rappel au titre de la taxe sur la valeur ajoutée collectée alors que les encaissements pris en compte par le service n'y étaient pas soumis ;

- elle est en droit de bénéficier d'une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 75 629 euros au titre de la période antérieure à la période vérifiée, ainsi que pour les factures dont le nom du destinataire a été modifié ;

- elle n'a jamais reçu de mise en demeure du 19 mai 2014 ;

- les majorations de l'article 1728 du code général des impôts sont inconstitutionnelles, en ce qu'elles sont contraires aux dispositions de l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 octobre 2020, le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne conclut au rejet de la requête, en faisant valoir que les moyens développés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Meyrignac ;

- et les conclusions de M. Philipbert, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. La société civile immobilière (SCI) Bonheur qui exerçait une activité de gestion de locaux immobiliers puis, à compter du 4 février 2012, une activité de construction-vente, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2013, à l'issue de laquelle elle a été rendue destinataire d'une proposition de rectification le 5 novembre 2014. Des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013 ont été mis en recouvrement à son encontre le 16 novembre 2015. La réclamation d'assiette présentée par la société le 8 janvier 2016 a été rejetée partiellement par décision du directeur départemental des finances publiques du Val-de-Marne du 10 mars 2020. Par la requête précitée, la SCI Bonheur demande la décharge de ces impositions.

Sur le bien-fondé des impositions contestées :

En ce qui concerne l'impôt sur les sociétés :

2. Aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts : " Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, même lorsqu'elles ne revêtent pas l'une des formes visées au 1, si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35. / () ". En vertu des dispositions du I de l'article 35 du même code : " Présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux, pour l'application de l'impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par les personnes physiques désignées ci-après : () 1° bis Personnes qui, à titre habituel, achètent des biens immeubles, en vue d'édifier un ou plusieurs bâtiments et de les vendre, en bloc ou par locaux () ". Aux termes du 3 de l'article 206 du même code : " Sont soumis à l'impôt sur les sociétés s'ils optent pour leur assujettissement à cet impôt dans les conditions prévues à l'article 239 : () b. Les sociétés civiles mentionnées au 1° de l'article 8 () ". Enfin, l'article 239 ter du même code prévoit que : " I. - Les dispositions du 2 de de l'article 206 ne sont pas applicables aux sociétés civiles créées après l'entrée en vigueur de la loi n° 64-1278 du 23 décembre 1964 et qui ont pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente, à la condition que ces sociétés ne soient pas constituées sous la forme de sociétés par actions ou à responsabilité limitée et que leurs statuts prévoient la responsabilité indéfinie des associés en ce qui concerne le passif social. Les sociétés civiles visées au premier alinéa sont soumises au même régime que les sociétés en nom collectif effectuant les mêmes opérations ; leurs associés sont imposés dans les mêmes conditions que les membres de ces dernières sociétés () ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'une société civile exerçant l'une des activités visées à l'article 35 du code général des impôts est en principe assujettie à l'impôt sur les sociétés à la double condition que les opérations procèdent d'une intention spéculative et présentent un caractère habituel, sauf à ce que, sous les conditions prévues à l'article 239 ter de ce code, elle ait pour objet la construction d'immeubles en vue de la vente. Dans ce dernier cas, les bénéfices qu'elle réalise sont soumis à l'impôt sur le revenu entre les mains des associés, lesquels sont réputés avoir personnellement réalisé chacun une part des bénéfices, proportionnelle à leurs droits dans la société. Par ailleurs, une société civile peut également être assujettie à l'impôt sur les sociétés si elle opte à l'assujettissement à cet impôt.

4. En outre, la condition d'habitude s'apprécie en principe en fonction du nombre d'opérations réalisées et de leur fréquence. L'existence d'une intention spéculative ne se présume pas du seul fait du caractère habituel des opérations d'achat et de revente. Une telle intention doit être recherchée à la date d'acquisition des immeubles ultérieurement revendus et non à la date de leur cession.

5. Il résulte de l'instruction que la SCI Bonheur a acquis en février 2006 un immeuble sur le territoire de la commune de L'Haÿ-les-Roses et a, après avoir démoli cet immeuble et obtenu un permis de construire le 14 octobre 2009, procédé à la construction d'un immeuble de quatre étages qui a été achevé le 20 avril 2012 et revendu par lots à des tiers notamment les 1er octobre, 2 octobre, 27 novembre 2012, 25 janvier et 8 février 2013. En raison de la continuité et du nombre de cessions réalisées, procédant de la division en lots d'un immeuble qu'elle a fait construire et alors même que cet immeuble constituait l'unique acquisition de la SCI requérante, les cessions consenties par cette dernière ont revêtu un caractère habituel au sens des dispositions précitées de l'article 35 du code général des impôts. Dans ces conditions, et alors même que la requérante n'a jamais opté à son assujettissement à l'impôt sur les sociétés en application du 3 de l'article 206 du code général des impôts, c'est à bon droit, dès lors par ailleurs qu'il n'est pas contesté que la société ne relève pas des dispositions de l'article 239 ter du même code, eu égard notamment à son objet social lors de l'acquisition de l'immeuble en litige et à la circonstance que l'occupation d'un des appartements en cause a été réservée au gérant de la société, sans avoir donc été mis en vente, que le service a considéré que celle-ci relevait du régime de l'impôt sur les sociétés sur le fondement du 2 de l' article 206.

En ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée :

S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée collectée :

6. Si la SCI soutient qu'une partie des crédits portés sur ses comptes bancaires correspondent à des loyers, des prêts et des apports qui ne sont pas soumis à la taxe sur la valeur ajoutée et indique qu'elle " réunit actuellement les justificatifs permettant de justifier de la nature de ces crédits ", elle n'a produit aucune pièce justificative depuis l'enregistrement de sa requête. Dans ces conditions, alors que la charge de la preuve lui incombe, la requérante n'établit pas que les sommes en cause ne seraient pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée.

S'agissant de la taxe sur la valeur ajoutée déductible :

7. En premier lieu, aux termes de l'article 208 de l'annexe II au code général des impôts : " I. - Le montant de la taxe déductible doit être mentionné sur les déclarations déposées pour le paiement de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, à condition qu'elle fasse l'objet d'une inscription distincte, la taxe dont la déduction a été omise sur cette déclaration peut figurer sur les déclarations ultérieures déposées avant le 31 décembre de la deuxième année qui suit celle de l'omission. Les régularisations prévues à l'article 207 doivent également être mentionnées distinctement sur ces déclarations () ".

8. Si la société soutient qu'elle est en droit de bénéficier d'une taxe sur la valeur ajoutée déductible de 75 629 euros au titre de la période antérieure à la période vérifiée, elle n'établit pas, d'une part, avoir porté cette somme sur la déclaration annuelle de taxe sur la valeur ajoutée au titre des années en cause, alors qu'il résulte des mentions de la proposition de rectification qu'elle n'avait jamais satisfait à ses obligations déclaratives ni, d'autre part, avoir procédé à une régularisation dans le délai prévu par les dispositions précitées.

9. En second lieu, aux termes de l'article 271 du code général des impôts : " () II. 1. Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de leurs opérations imposables, et à la condition que ces opérations ouvrent droit à déduction, la taxe dont les redevables peuvent opérer la déduction est, selon le cas : a) Celle qui figure sur les factures établies conformément aux dispositions de l'article 289 et si la taxe pouvait légalement figurer sur lesdites factures () ". Aux termes de l'article 289 du même code : " () II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les mentions obligatoires qui doivent figurer sur la facture. Ce décret détermine notamment les éléments d'identification des parties, les données concernant les biens livrés ou les services rendus et celles relatives à la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée ".

10. La SCI soutient qu'elle est en droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée portée sur des factures émises au nom de la SARL Sambat après avoir porté sur celles-ci un tampon précisant que les factures ont été effectivement réglées par ses soins. Toutefois, la requérante qui ne produit au demeurant aucune des factures en cause, ne peut sérieusement prétendre à la déduction de la taxe sur la valeur ajoutée apparaissant sur des factures établies au nom d'une autre société.

Sur les majorations :

11. Aux termes de l'article 1728 du code général des impôts : " 1. Le défaut de production dans les délais prescrits d'une déclaration () entraîne l'application, sur le montant des droits mis à la charge du contribuable ou résultant de la déclaration () d'une majoration de : a. 10 % en l'absence de mise en demeure ou en cas de dépôt de la déclaration ou de l'acte dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai ; b. 40 % lorsque la déclaration ou l'acte n'a pas été déposé dans les trente jours suivant la réception d'une mise en demeure, notifiée par pli recommandé, d'avoir à le produire dans ce délai () ".

12. En premier lieu, la requérante soutient que l'administration n'apporte pas la preuve de la notification de la mise en demeure du 19 mai 2014 justifiant l'application de la majoration de 40 % de l'article 1728 du code général des impôts. Toutefois, le directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne a produit à l'appui de son mémoire en défense la copie de cette mise en demeure, ainsi que celle de son avis de réception postal daté du 22 mai suivant. La majoration de 40 % appliquée au titre des impositions de l'année 2012 est donc justifiée.

13. En second lieu, il n'appartient pas au juge administratif, en dehors du cas prévu par les dispositions de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 prise pour l'application de l'article 61-1 de la Constitution et relatives à la question prioritaire de constitutionnalité, d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives. Par suite, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité des dispositions précitées de l'article 1728 du code général des impôts ne peut qu'être écarté, en l'absence de mémoire distinct soulevant une question prioritaire de constitutionnalité.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin de décharge des impositions en cause doivent être rejetées. Par voie de conséquence, les conclusions au titre des frais de justice doivent être également rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : La requête présentée par la SCI Bonheur est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société civile immobilière Bonheur et au directeur départemental des finances publiques de Seine-et-Marne.

Délibéré après l'audience du 5 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Le Broussois, président,

M. Freydefont, premier conseiller,

M. Meyrignac, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

Le rapporteur,

Signé : P. Meyrignac Le président,

Signé : N. Le Broussois

Le greffier,

Signé : G. Ngassaki

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution du présent jugement.

Pour expédition conforme,

Le greffier,