Cour d'Appel de Montpellier

Arrêt du 19 octobre 2023 n° 22/05807

19/10/2023

Non renvoi

COUR D'APPEL

 

DE MONTPELLIER

 

1 Rue Foch

 

34023 MONTPELLIER Cedex1

 

2e chambre civile

 

ARRÊT DU 19/10/2023

 

REFUS DE TRANSMISSION

 

DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

N° RG 22/05807 - N° Portalis DBVK-V-B7G-PTTS

 

N° Minute :

 

Demandeur à la question prioritaire :

 

La société VOLTA DEVELOPPEMENT, société par actions simplifiée dont le siège social est sis [Adresse 1], immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Paris sous le numéro 792 005 357, prise en la personne de son représentant légal,

 

[Adresse 1]

 

[Localité 4]

 

Représentée par Me Aude DARDAILLON, avocat au barreau de MONTPELLIER

 

Défendeur :

 

La société Comeca Investissement, SAS prise en la personne de son Président en exercice la société JF DEVELOPPEMENT, demeurant es qualité au siège social situé

 

[Adresse 2]

 

[Localité 3]

 

Représentée par Me François BORIE de la SCP DORIA AVOCATS, avocat au barreau de MONTPELLIER

 

COMPOSITION :

 

L'affaire a été débattue le 04 SEPTEMBRE 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

 

Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre

 

Madame Myriam GREGORI, Conseiller

 

Madame Nelly CARLIER, Conseiller

 

Greffier, lors des débats : M. Salvatore SAMBITO

 

Ministère public :

 

l'affaire a été communiquée au ministère public qui a fait connaître son avis le 24 novembre 2022

 

ARRET :

 

- Contradictoire ;

 

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile ;

 

- signé par Mme Michelle TORRECILLAS, Présidente de chambre, et par M. Salvatore SAMBITO, Greffier.

 

***********

 

Exposé du litige

 

Faisant valoir que Monsieur [E] [N] est le fondateur du groupe industriel COMECA, qu'en 2013, la société JF DÉVELOPPEMENT, contrôlée par [E] [N], a cédé à la société COMECA FINANCES, renommée ensuite SAS VOLTA DÉVELOPPEMENT, la participation majoritaire qu'elle détenait dans le capital de la SAS COMECA, et que les actionnaires majoritaires de la société VOLTA DÉVELOPPEMENT sont :

 

- la société COMPAGNIE FINANCIÈRE DU GUYOUX, société anonyme de droit luxembourgeois, dont le président est M. [J],

 

- la SAS VOLTAVEST, dont le président est M. [V] [C],

 

- la société VIGIE, détenue majoritairement par M. [J] et M. [C],

 

Faisant valoir qu'elle est associée minoritaire comme détenant encore 20,4% de la société VOLTA DÉVELOPPEMENT, qu'elle a constaté une forte dégradation des résultats du Groupe COMECA en 2020 qui ne pouvait être justifié par le contexte de pandémie, qu'elle a sollicité auprès de la société VOLTA DÉVELOPPEMENT plusieurs informations relatives aux comptes sociaux et aux comptes consolidés de l'exercice comptable 2020, et faisant valoir qu'elle n'avait reçu aucune réponse à ses demandes, la SAS COMECA INVESTISSEMENT a sollicité, par assignation en référé du 1er avril 2022, l'organisation d'une expertise de gestion, sur le fondement de l'article L.225-231 du code de commerce.

 

Par ordonnance du 30 juin 2022, le juge des référés a :

 

- dit que la présente juridiction a compétence pour statuer sur le litige opposant les parties,

 

- rejeté la demande de sursis à statuer,

 

- ordonné une mesure d'expertise de gestion et désigné à cet effet Madame [W] [S] - [R], avec mission de présenter un rapport sur l'opération de gestion ayant consisté à transférer vers une autre société les remises d'achat obtenues par la société SCHNEIDER, précédemment perçues par la société COMECA INVESTISSEMENT, et dit que pour ce faire l'expert pourra se faire communiquer par la société VOLTA DEVELOPPEMENT et tous tiers sachant les informations et documents utiles à l'exercice de sa mission, et notamment ceux relatifs :

 

~ aux versements récurrents de la société SCHNEIDER ELECTRIC à la société VOLTA DEVELOPPEMENT au titre des remises sur achats, pour les exercices 2013 à 2019,

 

~ à l'analyse des motifs de la cessation de la comptabilisation de ces remises sur achats versés par SCHNEIDER ELECTRIC, dans les comptes annuels de la société VOLTA DEVELOPPEMENT établis au 31 décembre 2020,

 

~ à la détermination du sort qui a été réservé postérieurement a l'exercice 2020 à ces remises sur achats, et du ou des nouveaux bénéficiaires de ces remises,

 

~ plus généralement, se faire communiquer par la société VOLTA DEVELOPPEMENT ou toute autre personne qualifiée tous documents qu'il estimera pertinents pour remplir efficacement sa mission.

 

Par acte reçu au greffe de la Cour le 19 juillet 2022, la SAS VOLTA DÉVELOPPEMENT a relevé appel de cette décision.

 

Par mémoire distinct du 17 novembre 2022 la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT a présenté une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ainsi rédigée : L'absence de définition d''opérations de gestion' par l'article L.225-231 du Code de commerce porte-t-elle atteinte au principe de clarté de la loi et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi découlant respectivement de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, ainsi qu'au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre découlant respectivement des articles 2 et 17 et de l'article 4 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789.

 

Elle demande à la Cour de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation pour renvoi devant le Conseil constitutionnel et de surseoir à statuer dans l'attente.

 

Dans son mémoire n°2 au soutien de sa question prioritaire de constitutionnalité, la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT entend voir transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

 

L'absence de définition de la notion d'«opérations de gestion» par l'article L.225-231 du Code de commerce porte-t-elle atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre garantis aux articles 2, 4 et 17 de la Constitution du 4 octobre 1958, ainsi qu'au principe de clarté de la loi et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi découlant respectivement de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 et des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, permettant le respect du droit de propriété et de la liberté d'entreprendre.

 

Elle fait valoir les moyens suivants :

 

- la question de la définition de la notion d'opération de gestion est essentielle à la résolution du litige dont est saisie la Cour d'appel, notamment au regard de la jurisprudence des juges du fond, qui exigent une désignation précise et clairement déterminés des opérations de gestion objet de la demande d'expertise,

 

- la disposition contestée n'a à ce jour fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel la déclarant conforme à la Constitution,

 

- le Conseil constitutionnel tire des articles 4, 5, 6 et 16 de la DDHC et 34 de la Constitution un objectif à valeur constitutionnel d'intelligibilité de la loi ainsi qu'un principe de clarté de la loi, imposant au législateur d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques,

 

- le Conseil constitutionnel considère que le législateur ne peut déléguer aux autorités administratives ou juridictionnelles le soin d'élaborer les règles dont la détermination lui a été confiée par la Constitution,

 

- ni l'article L.225-231 du Code de commerce, ni aucune autre disposition légale, ne prévoit de définition de la notion d'opération de gestion, et cette carence empêche le justiciable d'identifier les actes ou événements pouvant faire l'objet de la mesure d'expertise de gestion prévue par l'article L.225-231 du Code de commerce, faisant courir le risque d'une extension illégitime du champ d'application de ce texte, ou au contraire d'une appréciation trop restrictive.

 

Elle avance qu'elle justifie du caractère sérieux de la question prioritaire de constitutionnalité qu'elle entend soulever.

 

Par conclusions transmises par voie électronique le 27 février 2023 la SAS COMECA INVESTISSEMENT demande à la Cour de :

 

- déclarer la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable,

 

- juger que la question est dépourvue de tout caractère sérieux,

 

- juger n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation,

 

- rejeter les demandes de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation et de sursis à statuer,

 

- condamner la société VOLTA DÉVELOPPEMENT à lui payer la somme de 15.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

 

Elle avance que seuls les griefs tirés de la méconnaissance d'un droit ou d'une liberté que la Constitution garantit sont recevables au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité, et qu'en l'espèce, la requérante vise tout à la fois le principe de clarté de la loi et l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, et ce alors que le principe de clarté de la loi n'est plus reconnu par le Conseil constitutionnel, comme ayant été remplacé par l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi, dont la méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

Elle ajoute que la méconnaissance de l'objectif à valeur constitutionnelle d'accessibilité et d'intelligibilité peut uniquement être invoquée de manière 'confortative', en sus d'un autre grief d'inconstitutionnalité, alors qu'en l'espèce il ressort du mémoire de la société VOLTA DÉVELOPPEMENT que les supposées atteintes au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre ne sont invoquées que comme des conséquences de la supposée inintelligibilité de l'article L.225-231 du code de commerce, au vu de l'absence de définition des opérations de gestion.

 

Elle avance enfin d'une part que les dispositions contestées ne sont pas inintelligibles, l'article L. 225-231 du code de commerce encadrant précisément les conditions et la mise en 'uvre de l'expertise de gestion d'autre part que, en tout état de cause, la question proposée est manifestement dépourvue de caractère sérieux, au regard tant de l'intelligibilité de la disposition attaquée que de l'absence d'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre en résultant.

 

Le ministère public, par conclusions du 24 novembre 2022, conclut à la non transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT.

 

Il expose que, si la demande paraît recevable, en revanche elle n'apparaît pas comme étant transmissible en raison de son caractère non sérieux.

 

Il avance en effet que d'une part le législateur fixe les règles concernant le régime de propriété et détermine ce qui relève du pouvoir législatif et ce qui relève du pouvoir réglementaire, d'autre part que si le parlement estime qu'il n'a pas à aller plus en avant dans l'élaboration des normes ou si un texte est imprécis, il appartient à l'autorité judiciaire de l'interpréter.

 

MOTIFS DE LA DECISION

 

Sur la recevabilité de la question posée :

 

En application de l'article 23-1 de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution, devant les juridictions relevant du Conseil d'État ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présentée dans un écrit distinct et motivé.

 

Dans la présente procédure, le moyen tiré de l'absence de définition de la notion d'opérations de gestion par l'article L.225-231 du Code de commerce, portant atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre, ainsi qu'au principe de clarté de la loi et à l'objectif à valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, a été présenté par la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT dans un écrit motivé, distinct des conclusions au fond.

 

Il est donc recevable en la forme.

 

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

 

L'article 23-2 de la loi organique précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

 

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il n'est pas contesté par les défendeurs au moyen que la disposition dont la constitutionnalité est contestée, à savoir l'article L.225-231 du Code de commerce, est applicable au litige opposant les parties et qu'aucune décision du Conseil Constitutionnel n'a déclaré cet article conforme à la Constitution.

 

Les deux premières conditions posées à l'article 23-2 de la loi du 10 décembre 2009 sont donc réunies.

 

Cependant, à juste titre la SAS COMECA INVESTISSEMENT fait valoir que la méconnaissance de l'objectif de clarté et d'intelligibilité de la loi ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.

 

En l'espèce, il n'est pas contestable que la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT n'invoque l'atteinte au droit de propriété et à la liberté d'entreprendre que comme étant la conséquence, selon elle, de l'absence de définition, par l'article L.225-231 du code de commerce, des opérations de gestion.

 

Cet article dispose :

 

Une association répondant aux conditions fixées à l'article L. 22-10-44, ainsi que un ou plusieurs actionnaires représentant au moins 5% du capital social, soit individuellement, soit en se groupant sous quelque forme que ce soit, peuvent poser par écrit au président du conseil d'administration ou au directoire des questions sur une ou plusieurs opérations de gestion de la société, ainsi que, le cas échéant, des sociétés qu'elle contrôle au sens de l'article L. 233-3. Dans ce dernier cas, la demande doit être appréciée au regard de l'intérêt du groupe. La réponse doit être communiquée aux commissaires aux comptes, s'il en existe.A défaut de réponse dans un délai d'un mois ou à défaut de communication d'éléments de réponse satisfaisants, ces actionnaires peuvent demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.Le ministère public et le comité d'entreprise peuvent également demander en référé la désignation d'un ou plusieurs experts chargés de présenter un rapport sur une ou plusieurs opérations de gestion.S'il est fait droit à la demande, la décision de justice détermine l'étendue de la mission et des pouvoirs des experts. Elle peut mettre les honoraires à la charge de la société.Le rapport est adressé au demandeur, au ministère public, au comité d'entreprise, au commissaire aux comptes et, selon le cas, au conseil d'administration ou au directoire et au conseil de surveillance. Ce rapport doit, en outre, être annexé à celui établi par les commissaires aux comptes, s'il en existe, en vue de la prochaine assemblée générale et recevoir la même publicité.

 

Il doit être observé que cet article encadre de façon précise les conditions et la mise en oeuvre de l'expertise de gestion et ne met en péril aucune atteinte au droit de propriété ou au droit d'entreprendre, en sorte qu'il convient de juger que la question de la constitutionnalité du texte au regard des dispositions des articles 34 de la Constitution et 4, 5,6 et 16 de la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789 est, en conséquence, dépourvue de caractère sérieux.

 

La 3ème condition de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'étant pas remplie en l'espèce, il n'y a pas lieu à transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour, statuant par arrêt contradictoire et dans les conditions de l'article 23-2 alinéa 3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

 

Rejette la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS VOLTA DEVELOPPEMENT, et enregistrée sous le numéro RG 22/05807.

 

LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE