Conseil d'Etat

Décision du 18 octobre 2023 n° 475842

18/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 10 juillet, 28 août et 5 octobre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société à responsabilité limitée (SARL) Forma-Cours demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a rejeté sa demande en date du 22 décembre 2022 tendant à l'abrogation du paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ;

- le code de l'éducation ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative, notamment son article R. 611-8 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 octobre 2023, présentée par la société Forma-Cours ;

Considérant ce qui suit :

1. La société à responsabilité limitée (SARL) Forma-Cours, qui exerce une activité commerciale de soutien scolaire, demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique a refusé d'abroger le paragraphe n° 45 des commentaires administratifs publiés le 16 octobre 2019 au bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-TVA-CHAMP-30-10-20-50. Ces commentaires énoncent que les prestations de soutien scolaire sont exonérées de taxe sur la valeur ajoutée dans les seuls cas où elles sont dispensées dans des établissements d'enseignement ou réalisées par des organismes privés sans but lucratif, répondant aux conditions des organismes d'utilité générale fixées au a et au b du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts.

Sur le cadre juridique applicable :

2. Aux termes du 1 de l'article 132 de la directive du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, les " États membres exonèrent les opérations suivantes : () / i) l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse, l'enseignement scolaire ou universitaire, la formation ou le recyclage professionnel, ainsi que les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectués par des organismes de droit public de même objet ou par d'autres organismes reconnus comme ayant des fins comparables par l'État membre concerné ; / j) les leçons données, à titre personnel, par des enseignants et portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire ; () ". Aux termes de l'article 133 de la même directive : " Les États membres peuvent subordonner, au cas par cas, l'octroi, à des organismes autres que ceux de droit public, de chacune des exonérations prévues à l'article 132, paragraphe 1, points b), g), h), i), l), m) et n), au respect de l'une ou plusieurs des conditions suivantes : / a) les organismes en question ne doivent pas avoir pour but la recherche systématique du profit, les bénéfices éventuels ne devant jamais être distribués mais devant être affectés au maintien ou à l'amélioration des prestations fournies ; / b) ces organismes doivent être gérés et administrés à titre essentiellement bénévole par des personnes n'ayant, par elles mêmes ou par personnes interposées, aucun intérêt direct ou indirect dans les résultats de l'exploitation ; / c) ces organismes doivent pratiquer des prix homologués par les autorités publiques ou n'excédant pas de tels prix ou, pour les opérations non susceptibles d'homologation des prix, des prix inférieurs à ceux exigés pour des opérations analogues par des entreprises commerciales soumises à la TVA ; / d) les exonérations ne doivent pas être susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence au détriment des entreprises commerciales assujetties à la TVA. () ". Il résulte de ces dispositions que, d'une part, elles imposent aux Etats membres d'exonérer de taxe sur la valeur ajoutée les leçons portant sur l'enseignement scolaire données par des enseignants à titre personnel et, d'autre part, qu'elles autorisent les Etats membres à subordonner à l'une ou plusieurs des conditions de non-lucrativité que l'article 133 énumère l'exonération dont peuvent bénéficier les organismes de droit privé que ces Etats reconnaissent comme ayant des fins comparables à celles des organismes d'éducation de l'enfance ou de la jeunesse, d'enseignement scolaire ou universitaire, de formation ou de recyclage professionnel de droit public.

3. Aux termes du 4 de l'article 261 du code général des impôts, sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée : " 4° a. les prestations de services et les livraisons de biens qui leur sont étroitement liées, effectuées dans le cadre : de l'enseignement primaire, secondaire et supérieur dispensé dans les établissements publics et les établissements privés régis par les articles L. 151-3, L. 212-2, L. 424-1 à L. 424-4, L. 441-1, L. 443-1 à L. 443-5 et L. 731-1 à L. 731-17 du code de l'éducation () / b. les cours ou leçons relevant de l'enseignement scolaire (), dispensés par des personnes physiques qui sont rémunérées directement par leurs élèves ; () ". Aux termes du 7 du même article, sont également exonérés : " 1° a. les services de caractère social, éducatif, culturel ou sportif rendus à leurs membres par les organismes légalement constitués agissant sans but lucratif, et dont la gestion est désintéressée () b. les opérations faites au bénéfice de toutes personnes par des œuvres sans but lucratif qui présentent un caractère social ou philanthropique et dont la gestion est désintéressée, lorsque les prix pratiqués ont été homologués par l'autorité publique ou que des opérations analogues ne sont pas couramment réalisées à des prix comparables par des entreprises commerciales, en raison notamment du concours désintéressé des membres de ces organismes ou des contributions publiques ou privées dont ils bénéficient ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. La société Forma-Cours soutient que les dispositions précitées du a du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts, en tant qu'elles n'exonèrent pas de taxe sur la valeur ajoutée les organismes privés à but lucratif délivrant des prestations de soutien scolaire, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques dès lors qu'elles créent, avec les personnes physiques rémunérées directement par les élèves auxquelles elles délivrent des cours ou leçons relevant de l'enseignement scolaire, une différence de traitement qui ne se fonde sur aucune raison objective ni motif d'intérêt général et qui ne saurait être regardée comme en rapport avec l'objet des dispositions mettant en place la taxe sur la valeur ajoutée.

6. En exonérant les cours et leçons dispensés par des personnes physiques mentionnées au b du 4° du 4 de l'article 261 du code général des impôts, tout en excluant les services, notamment de caractère éducatif, rendus par les organismes agissant dans un but lucratif du champ des exonérations prévues au a du 1° du 7 de l'article 261 du même code, le législateur s'est borné à tirer les conséquences nécessaires des dispositions précises et inconditionnelles de la directive du 28 novembre 2006 relatives à l'obligation pour les Etats membres d'exonérer les leçons, portant sur l'enseignement scolaire ou universitaire, données à titre personnel par des enseignants et à l'exercice par ces mêmes Etats membres de la faculté qui leur est ouverte de conditionner à l'une ou plusieurs des conditions que cette directive énumère l'exonération dont peuvent bénéficier les organismes de droit privé au titre, notamment, des prestations relevant de l'éducation de l'enfance ou de la jeunesse ou de l'enseignement scolaire ou universitaire qu'ils délivrent, sans mettre en cause aucune règle, ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France.

7. Il en résulte qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

8. Il résulte des dispositions rappelées au point 3 que les prestations de soutien scolaire sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles sont dispensées, d'une part, dans des établissements d'enseignement publics et privés régis par les articles L. 151-3, L. 212-2, L. 424-1 à L. 424-4, L. 441-1, L. 443-1 à L. 443-5 et L. 731-1 à L. 731-17 du code de l'éducation, d'autre part, par des organismes privés sans but lucratif qui répondent aux conditions prévues au a du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts. Il ne résulte en revanche d'aucune disposition législative que de telles prestations seraient exonérées lorsqu'elles sont dispensées par des organismes de droit privé à but lucratif. Par suite, en énonçant que " L'exonération s'applique dans les mêmes conditions aux prestations de soutien scolaire : / - lorsqu'elles sont dispensées dans des établissements d'enseignement publics et privés régis par les dispositions du code de l'éducation mentionnées au a du 4° du 4 de l'article 261 du CGI ; / - ou lorsqu'elles sont réalisées par des organismes privés sans but lucratif, qui répondent aux conditions des organismes d'utilité générale fixées au a et au b du 1° du 7 de l'article 261 du CGI ", le paragraphe n° 45 des commentaires attaqués se borne à éclairer, sans y ajouter, l'état du droit issu des dispositions législatives du code général des impôts.

9. Si la société requérante soutient que les commentaires contestés réitèreraient ce faisant des dispositions législatives contraire à la directive du 28 novembre 2006 en ce qu'elles excluent du bénéfice de l'exonération de taxe sur la valeur ajoutée les prestations de soutien scolaires dispensées par les organismes privés sans but lucratif, il ressort des dispositions rappelées aux points 2 et 3 que le législateur, en adoptant les dispositions du a du 1° du 7 de l'article 261 du code général des impôts limitant le bénéfice de l'exonération aux seuls organismes sans but lucratif, doit être regardé comme ayant mis en œuvre la faculté offerte aux Etats membres par les dispositions du a de l'article 133 de la directive du 28 novembre 2006. A cet égard, la circonstance que législateur aurait subordonné le bénéfice de l'exonération des organismes sans but lucratif au respect d'une condition non prévue par l'article 133 de la directive est sans incidence sur l'examen des conditions dans lesquelles il a mis en œuvre la faculté, prévue par ce même article, d'exclure les organismes à but lucratif du droit à exonération. Sont de même dépourvues d'incidence les circonstances que les dispositions de l'article 261 du code général des impôts sont antérieures à l'entrée en vigueur de la directive ou qu'elles ne seraient pas cohérentes avec l'intention qui aurait été celle du législateur en adoptant l'article 256 B du même code, pris également pour la transposition de cette directive.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Forma-Cours n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision de refus d'abrogation des commentaires qu'elle conteste.

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Forma-Cours.

Article 2 : La requête de la société Forma-Cours est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée Forma-Cours et au ministre de l'économie, des finances, et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 octobre 2023 où siégeaient : M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat, présidant ; M. Hervé Cassagnabère, conseiller d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 18 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jonathan Bosredon

La rapporteure :

Signé : Mme Ophélie Champeaux

La secrétaire :

Signé : Mme Michelle Bailleul