Tribunal administratif de Paris

Jugement du 17 octobre 2023 n° 2114853

17/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2021, M. B C, représenté par Me Colard, demande au tribunal :

1°) de prononcer la décharge partielle de la cotisation à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 2019 à hauteur de 95 991 euros et correspondant à la contribution sociale généralisée ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

-le montant de la CSG déductible au titre de l'année 2019 doit être porté à 930 766 euros en application du taux de 6,8 % prévu à l'article 154 quinquies II du code général des impôts ;

- les dispositions de l'article 154 quinquies II du code général des impôts sont contraires à l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combiné à l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention.

Par mémoires distincts, enregistrés les 13 juillet et 2 novembre 2021, M. C demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts dans sa rédaction telle que modifiée par l'article 67 de la loi de finances pour 2018 du 30 décembre 2017.

Il soutient que :

- la disposition contestée est applicable au litige ;

- le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcé sur la conformité de cette disposition aux droits et libertés garantis par la Constitution ;

- cette disposition est contraire au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, car son but est de limiter des effets d'aubaine liés à un cumul d'avantages fiscaux, lesquels sont au demeurant imaginaires, sans prendre en compte des critères objectifs et rationnels en lien avec le but poursuivi par la loi, car la déductibilité partielle de la contribution sociale généralisée (CSG) est contraire au principe même de la déductibilité de la CSG, dès lors que le rapport entre le montant soumis à l'impôt sur le revenu et le montant soumis à la CSG n'est pas pertinent et dès lors que ce rapport introduit un " effet de bord " contraire à la progressivité de l'impôt ; elle est également contraire au principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, dès lors qu'elle instaure une différence de traitement applicable à des contribuables se trouvant dans une situation identique et que cette différence de traitement n'est pas en rapport direct avec l'objet de la loi.

Par un mémoire, enregistré le 26 octobre 2021, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris fait valoir que la question prioritaire de constitutionnalité est dépourvue de caractère sérieux et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Par un mémoire en défense enregistré le 22 mars 2022, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de Mme Belle, rapporteure publique,

-et les observations de Me Colard pour M. C.

Considérant ce qui suit :

1.M. C a déclaré au titre de l'année 2018 avoir cédé des valeurs mobilières ayant dégagé une plus-value imposable à l'impôt sur le revenu, aux prélèvements sociaux et à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus pour un montant de 13 687 739 euros. En application du 2 de l'article 200A du code général des impôts, il a opté pour l'imposition de cette plus-value au barème progressif de l'impôt sur le revenu. En application de l'article

154 quinquies du code général des impôts, il a bénéficié au titre de l'année du paiement de la contribution sociale généralisée, soit en 2019, d'une déduction partielle de la contribution sociale généralisée assise sur les plus-values de cession de valeurs mobilières. Le montant de la contribution sociale généralisée déductible a été plafonné à 1, 02 % correspondant à un montant de 139 615 euros au lieu du montant de 930 766 euros déterminé selon le taux non plafonné de 6, 8 %. M. C, qui conteste ce montant de contribution sociale généralisée déductible, demande par la présente requête la décharge partielle de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti en 2019 à hauteur de 95 991 euros.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

4. Aux termes de l'article 154 quinquies du code général des impôts : " I. - Pour la détermination des bases d'imposition à l'impôt sur le revenu, la contribution prévue à l'article L. 136-1 du code de la sécurité sociale au titre des revenus d'activité et de remplacement est, à hauteur de 6,8 points ou, pour les revenus mentionnés au II de l'article L. 136-8 du même code, à hauteur de 3,8 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 3,8 % ou 6,2 %, à hauteur de 4,2 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 6,6 % et à hauteur de 5,9 points lorsqu'elle est prélevée au taux de 8,3 %, admise en déduction du montant brut des sommes payées et des avantages en nature ou en argent accordés, ou du bénéfice imposable, au titre desquels la contribution a été acquittée. La contribution prévue au 6° du II de l'article L. 136-2 du même code est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement. II. - La contribution afférente aux revenus mentionnés aux a à e et f du I et au II de l'article L. 136-6 du code de la sécurité sociale ainsi qu'aux premier alinéa et 1° du I de l'article L. 136-7 du même code, imposés dans les conditions prévues à l'article 197 du présent code, est admise en déduction du revenu imposable de l'année de son paiement, à hauteur de 6,8 points. La contribution est déductible, dans les conditions et pour la part définies au premier alinéa du présent II, à hauteur du rapport entre le montant du revenu soumis à l'impôt sur le revenu et le montant de ce même revenu soumis à la contribution pour : a) Les gains mentionnés à l'article 150-0 A qui bénéficient de l'abattement prévu au 1 quater de l'article 150-0 D ou de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ; b) Les avantages salariaux mentionnés au I de l'article 80 quaterdecies qui bénéficient des abattements prévus aux 1 ter ou 1 quater de l'article 150-0 D, dans sa rédaction antérieure au 1er janvier 2018, de l'abattement fixe prévu au 1 du I de l'article 150-0 D ter ou de l'abattement de 50 % prévu au 3 de l'article 200 A. "

5. M. C soutient que la différence de traitement prévue par les dispositions contestées, s'agissant de la déductibilité partielle de la contribution sociale généralisée, entre les contribuables qui bénéficient d'un abattement renforcé prévu au 1 quater de l'article

150-0 D et ceux qui bénéficient d'un abattement de droit commun prévu au 1 ter de l'article 150-0 D, alors qu'ils se trouvent dans la même situation est contraire aux article 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le critère de déductibilité retenu ne pouvant être en rapport avec l'objet de la loi, ni justifié par l'objectif de lutte contre la fraude ou les effets d'aubaine.

6.Toutefois, les contribuables qui ont bénéficié d'un abattement renforcé pour durée de détention au maximum de 85 % et ceux qui ont bénéficié d'un abattement de droit commun pour durée de détention de 65 % ne se trouvent pas dans une situation identique au regard de leur imposition sur le revenu, et la différence de traitement est en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit qui est de fixer un plafonnement du droit à déduction de la contribution sociale généralisée en tenant compte de manière globale des abattements dont le contribuable a bénéficié sur la plus-value imposable à l'impôt sur le revenu pour durée de détention. Il s'ensuit que les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme étant contraires aux article 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

7.Il résulte de tout ce qui précède qu'il y n'a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, qui ne présente pas un caractère sérieux.

Sur le bien-fondé des impositions :

8.M. C soutient que les dispositions du II de l'article 154 quinquies du code général des impôts sont contraires au principe de non-discrimination résultant des stipulations de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales combinées à celles de l'article premier du premier protocole additionnel à cette convention au motif que les contribuables placés dans une même situation ne feraient pas l'objet d'un traitement identique par la loi fiscale. Toutefois, comme il a été dit au point 6, les contribuables bénéficiant d'un abattement renforcé et ceux bénéficiant d'un abattement de droit commun ne se trouvent pas dans une même situation au regard de l'abattement sur le gain de cession d'actions ou de part de sociétés, de sorte que le moyen invoqué doit être écarté.

9.Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. C doit être rejetée.

D E C I D E:

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat, à fin de saisine du Conseil Constitutionnel, la question portant sur la conformité à la Constitution des dispositions figurant au II de l'article 154 quinquies du code général des impôts.

Article 2 : La requête de M. C est rejetée.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. C et au directeur régional des finances publiques d'Ile de France et de Paris.

Délibéré après l'audience du 4 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme A, présidente- rapporteure,

Mme Grossholz, premier conseiller,

M. Khansari, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2023.

La présidente-rapporteure,

S. A

L'assesseur le plus ancien,

C. Grossholz

La présidente-rapporteure,

S. ALa greffière,

S. Rubiralta

La République mande et ordonne au ministre de l'Economie, des finances et de la Souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2114853/1-1

Code publication

C