Conseil d'Etat

Décision du 13 octobre 2023 n° 464138

13/10/2023

Irrecevabilité

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 mai 2022 et 16 janvier 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B C demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 janvier 2022 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a déclaré irrecevable sa candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire, ainsi que sa décision du 17 mars 2022 rejetant son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice, de transmettre sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature dans un délai de cinq jours à compter de la présente décision, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard, puis, en cas d'avis conforme de ce dernier, de proposer au Président de la République sa nomination aux fonctions de magistrat à titre temporaire, dans un délai de quinze jours, sous une astreinte de 100 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 ;

- la loi organique n° 2016-1090 du 8 août 2016 ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le décret n° 93-21 du 7 janvier 1993 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 29 septembre 2023, présentée par M. C ;

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes des premier et dernier alinéas de l'article 41-10 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 modifiée portant loi organique relative au statut de la magistrature : " Peuvent être nommés magistrats exerçant à titre temporaire, pour exercer des fonctions de juge des contentieux de la protection, d'assesseur dans les formations collégiales des tribunaux judiciaires, de juge du tribunal de police ou de juge chargé de valider les compositions pénales, les personnes âgées d'au moins trente-cinq ans que leur compétence et leur expérience qualifient particulièrement pour exercer ces fonctions. () / Les magistrats exerçant à titre temporaire ne peuvent demeurer en fonctions au-delà de l'âge de soixante-quinze ans ". Aux termes du premier alinéa de l'article 41-12 de la même ordonnance : " Les magistrats recrutés au titre de l'article 41-10 sont nommés pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois, dans les formes prévues pour les magistrats du siège. Six mois au moins avant l'expiration de leur premier mandat, ils peuvent en demander le renouvellement. Le renouvellement est accordé de droit sur avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Il est de droit dans la même juridiction ".

2. D'autre part, la loi organique du 8 août 2016 relative aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu'au Conseil supérieur de la magistrature a abrogé, à compter du 1er juillet 2017, les dispositions relatives aux juges de proximité figurant au chapitre V quinquies de l'ordonnance du 22 décembre 1958 précitée. Aux termes du II de l'article 50 de cette même loi organique : " Les juges de proximité dont le mandat est en cours à la date de publication de la présente loi organique peuvent être nommés, à leur demande, pour le reste de leur mandat, comme magistrats exerçant à titre temporaire dans le tribunal de grande instance du ressort dans lequel se trouve la juridiction de proximité au sein de laquelle ils ont été nommés, dans les formes prévues à l'article 41-12 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 précitée, dans sa rédaction résultant de la présente loi organique. Leur demande doit intervenir dans le mois suivant la publication de la présente loi organique. Les dispositions du premier alinéa dudit article 41-12, concernant la nomination pour un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire, leur sont applicables ".

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C a été nommé au tribunal de proximité de Boulogne-Billancourt, par un décret du Président de la République du 14 février 2011, pour y exercer les fonctions de juge de proximité pour un mandat de sept ans non renouvelable, en vertu des dispositions alors applicables de l'article 41-19 de l'ordonnance du 22 décembre 1958. Ayant demandé à bénéficier des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, du fait de l'abrogation des dispositions relatives au statut des juges de proximité au cours de son mandat, M. C a été nommé, par un décret du Président de la République du 26 décembre 2017, magistrat à titre temporaire au tribunal de grande instance de Nanterre pour le reste de son mandat, puis pour y exercer un nouveau mandat de cinq ans, arrivant à échéance le 14 février 2023. Par un décret du 26 octobre 2018, M. C a été muté, à sa demande, au tribunal de grande instance de Nanterre, en sa qualité de magistrat à titre temporaire, pour y exercer notamment les fonctions de juge d'instance au tribunal d'instance de Vanves. Le 27 octobre 2021, il a présenté sa candidature à une nouvelle nomination dans les fonctions de magistrat à titre temporaire. Par une décision du 4 janvier 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice a déclaré sa candidature irrecevable, au motif qu'il avait déjà effectué deux mandats en qualité de magistrat exerçant à titre temporaire. M. C demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision, ainsi que de celle du 17 mars 2022 rejetant son recours gracieux contre cette même décision.

S'agissant de la légalité externe :

4. En premier lieu, le décret du 7 janvier 1993 pris pour l'application de l'ordonnance mentionnée au point 1 dispose, en son article 35-1, que : " Tout candidat aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire () doit transmettre sa demande, adressée au garde des sceaux, aux chefs de la cour d'appel dans le ressort de laquelle il réside, qui procèdent à l'instruction de sa candidature ". Ce même décret précise, en son article 35-2, que : " Le dossier de candidature, assorti de l'avis motivé des chefs de cour, est transmis au garde des sceaux, ministre de la justice, qui procède, le cas échéant, à une instruction complémentaire. / Le garde des sceaux, ministre de la justice, saisit la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à l'égard des magistrats du siège des projets de nomination aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire. / Il lui transmet, avec chaque projet de première nomination, la liste de tous les candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire dans la même juridiction. / Les dossiers de l'ensemble des candidats aux fonctions de magistrats exerçant à titre temporaire sont tenus à la disposition de la formation compétente du Conseil supérieur de la magistrature ".

5. M. C soutient qu'en déclarant sa candidature irrecevable sans attendre l'achèvement de l'instruction de sa candidature au sein de la cour d'appel de Paris, le garde des sceaux, ministre de la justice, a entaché sa décision d'incompétence. Il résulte toutefois des dispositions rappelées au point précédent que le garde des sceaux, ministre de la justice, dispose d'un pouvoir d'instruction propre pour s'assurer de la recevabilité des dossiers de candidature qui lui sont adressés, avant d'en saisir le cas échéant le Conseil supérieur de la magistrature, assortis des avis motivés des chefs de cour. Dès lors, en statuant sur la recevabilité de la candidature de M. C sans attendre les avis sollicités, le ministre n'a pas méconnu l'étendue de sa compétence.

6. En deuxième lieu, si le requérant soutient qu'il n'est pas établi que Mme A D avait compétence pour prendre la décision de rejet de son recours gracieux, il ressort des pièces du dossier que celle-ci avait été nommée sous-directrice des ressources humaines de la magistrature par un arrêté du 26 janvier 2021, pour une durée de trois ans à compter du 1er février 2021, qu'elle avait valablement reçu délégation, en vertu de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement, pour signer " l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous [son] autorité " et que, dans les circonstances de l'espèce, l'absence de mention de son titre n'était pas de nature à affecter la légalité de cette décision.

7. En troisième lieu, M. C soutient que les décisions litigieuses sont insuffisamment motivées en droit et en fait. Si, en vertu de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration doivent être motivées les décisions qui " refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ", tel n'est pas le cas des décisions attaquées, dont aucune autre disposition ni aucun principe n'imposent par ailleurs la motivation. Dès lors, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ces décisions, qui sont en tout état de cause suffisamment explicites pour permettre à l'intéressé d'en comprendre les motifs, ne peut qu'être écarté.

8. En quatrième lieu, aucun texte ni aucun principe ne prescrit la mise en œuvre d'une procédure contradictoire préalable à l'examen d'une candidature aux fonctions de magistrat exerçant à titre temporaire. En particulier, le rejet d'une telle candidature n'est pas au nombre des décisions qui, en application des articles L. 122-1 et L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, ne peuvent légalement intervenir " qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales ". Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie ne peut donc qu'être écarté.

S'agissant de la légalité interne :

9. En vertu des dispositions transitoires du II de l'article 50 de la loi organique du 8 août 2016 rappelées au point 2, les juges de proximité dont le statut a été abrogé au cours de leur mandat de sept ans non renouvelable et qui ont été, à leur demande, nommés, pour le reste de leur mandat, magistrats à titre temporaire, doivent être regardés comme l'ayant été au titre d'un premier mandat exercé en cette nouvelle qualité, et ce quelle que soit la durée restant à courir de leur mandat initial. Ces mêmes dispositions prévoient que, s'ils la sollicitent, leur nomination au titre d'un second mandat de magistrat exerçant à titre temporaire est soumise aux dispositions du premier alinéa de l'article 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 rappelées au point 1, lesquelles précisent notamment que le mandat de magistrat à titre temporaire n'est renouvelable qu'une fois.

10. La possibilité pour un magistrat exerçant à titre temporaire ayant déjà accompli deux mandats de faire l'objet d'un nouveau recrutement en cette qualité, qui n'est prévue par aucun texte, aurait pour effet de priver de leur portée ces dispositions. Par suite, c'est sans se méprendre sur l'interprétation des articles 41-10 et 41-12 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 et en en faisant une exacte application que le garde des sceaux, ministre de la justice, a opposé un refus à la candidature de M. C au motif qu'il avait déjà exercé deux mandats et ne pouvait donc prétendre à un nouveau mandat.

11. Le moyen tiré de ce que les décisions litigieuses porteraient atteinte au principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics, en créant une différence de traitement injustifiée entre les magistrats titulaires et ceux exerçant à titre temporaire, conduit à apprécier la constitutionnalité des dispositions législatives mentionnées aux deux points précédents. Or, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, il n'appartient pas au juge administratif d'apprécier la constitutionnalité de dispositions législatives. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque et que doivent être également rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. B C et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré à l'issue de la séance du 20 septembre 2023 où siégeaient : Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, Mme Rozen Noguellou, conseillères d'Etat et Mme Nathalie Destais, conseillère d'Etat-rapporteure.

Rendu le 13 octobre 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

La rapporteure :

Signé : Mme Nathalie Destais

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse

Code publication

B