Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 9 octobre 2023 n° 23LY02066

09/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A C épouse B a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler la décision du 2 juin 2023 par laquelle le préfet du Puy-de-Dôme a renouvelé son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, d'enjoindre au préfet de mettre fin à cette assignation à résidence et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2301189 du 13 juin 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a refusé d'admettre Mme C au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 juin 2023, Mme C, représentée par Me Demars, demande à la cour d'annuler, ou à titre subsidiaire de réformer, le jugement n° 2301189 du 13 juin 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand et la décision du 2 juin 2023 du préfet du Puy-de-Dôme, de faire droit aux conclusions de sa demande et de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 21 juin 2023, Mme C, représentée par Me Demars, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

Elle soutient que :

- l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 prévoit l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, en distinguant les cas d'admission de plein droit des cas d'admission sous conditions, et que l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 fixe les modalités de notification de la décision concernant l'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle et dispose que cette décision n'est pas susceptible de recours ;

- le juge constitutionnel est seul compétent pour contrôler la constitutionnalité de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020 ;

- les trois conditions prévues par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 sont réunies, les dispositions de l'article 20 de la loi et de l'article 62 du décret étant applicables au litige, dès lors qu'il a notamment interjeté appel du jugement attaqué en tant que ce jugement a rejeté ses conclusions tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 n'ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel et la question n'étant pas dépourvue de caractère sérieux, l'aide juridictionnelle participant au respect du droit à un recours effectif qui assure la garantie des droits et libertés prévue par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;

- les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 sont entachées d'une incompétence négative affectant le droit à un recours juridictionnel effectif dès lors qu'elles ne prévoient aucune voie de recours permettant de contester la légalité d'une décision refusant une admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;

- une décision de refus d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle peut affecter les droits d'un justiciable et priver son avocat de l'indemnité à laquelle il aurait eu droit, alors même que le justiciable remplissait les conditions pour obtenir l'aide juridictionnelle et que l'intégralité des diligences nécessaires a été accomplie par son avocat.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 et son préambule ;

- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A C épouse B a demandé l'annulation de l'arrêté du 2 juin 2023 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme a renouvelé son assignation à résidence pour une durée de quarante-cinq jours et elle a sollicité son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire pour cette instance enregistrée au greffe du tribunal administratif de Clermont-Ferrand. Par un jugement n° 2301189 du 13 juin 2023 le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a refusé de l'admettre à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle et a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. Par une requête enregistrée le 18 juin 2023 sous le n° 23LY02066 Mme C demande à la cour l'annulation de ce jugement et l'arrêté du préfet du Puy-de-Dôme en litige et, par un mémoire distinct, enregistré le 21 juin 2023, elle demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question de la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution () peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Enfin aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 61-1 de la Constitution et de celles de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 qu'une question prioritaire de constitutionnalité doit concerner une disposition législative. La requérante n'est par suite pas recevable à contester les dispositions de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 par la voie d'une question prioritaire de constitutionnalité et il n'y a dès lors pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question concernant la constitutionnalité des dispositions de ce décret.

4. En deuxième lieu, il doit être procédé à la transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition législative à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. D'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. ". D'autre part, aux termes de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. / L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut également être accordée lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l'intéressé, notamment en cas d'exécution forcée emportant saisie de biens ou expulsion. / L'aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d'urgence dont la liste est fixée par décret en Conseil d'Etat. / L'aide juridictionnelle provisoire devient définitive si le contrôle des ressources du demandeur réalisé a posteriori par le bureau d'aide juridictionnelle établit l'insuffisance des ressources. " et aux termes de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 : " La décision d'admission provisoire est immédiatement notifiée à l'intéressé, selon le cas, par le secrétaire du bureau ou de la section, ou par le secrétaire ou le greffier de la juridiction. / Lorsque l'intéressé est présent, la décision peut être notifiée verbalement contre émargement au dossier. / La décision statuant sur la demande d'admission provisoire n'est pas susceptible de recours. ".

6. Les dispositions de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ont été appliquées à la procédure par laquelle Mme C a contesté l'arrêté pris à son encontre par le préfet du Puy-de-Dôme et elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. Il convient dès lors d'examiner le caractère sérieux de la question soulevée.

7. Si Mme C soutient que les dispositions de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 sont de nature à faire obstacle à ce qu'un justiciable puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat en vue de porter sa contestation devant la juridiction compétente pour en connaître et à priver un avocat de l'indemnité allouée au titre de l'aide juridictionnelle, alors même que le justiciable remplirait les conditions pour y prétendre et que l'intégralité des diligences incombant à cet avocat aurait été accomplie, il résulte des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 qu'elles ont pour seul effet de permettre à la juridiction compétente d'accorder, dans les cas d'urgence, le bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire, sous réserve de la vérification ultérieure des conditions de ressources du demandeur, ou de refuser ce bénéfice, sans faire obstacle à l'application des dispositions des autres articles de la même loi et notamment celles de l'article 7, concernant les actions manifestement irrecevables, dénuées de fondement ou abusives, des articles 12 et 22, concernant l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de l'article 19-1 concernant la rétribution des avocats commis ou désignés d'office, et de l'article 23 concernant les recours susceptibles d'être présentés contre les décisions prises en application des articles 12 et 22 de cette loi. Par suite, les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 sont insusceptibles de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui assure la garantie des droits et libertés prévue par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et la requérante ne peut dès lors pas se prévaloir d'une incompétence négative du législateur portant atteinte à ce droit. Dès lors, la question de la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen et notamment du droit au recours ne présente pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789.

ORDONNE :

Article 1er : Les conclusions de Mme C aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité susvisée au Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme A C épouse B, à Me Demars et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.

Fait à Lyon, le 9 octobre 2023.

Le président de la 6ème chambre,

François Pourny

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2 QPC

Code publication

C