Conseil d'Etat

Décision du 9 octobre 2023 n°475884

09/10/2023

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

M. Matthieu Vieira et M. Yves Durieux ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 2 mars 2023 par laquelle la préfète du Rhône a refusé de déclarer, en application du I de l'article L.O. 151 du code électoral, M. C D démissionnaire de son mandat de conseiller municipal de la commune de Rillieux-la-Pape à la date du 28 août 2022 en conséquence des règles d'incompatibilité prévues à l'article L.O. 141 du même code. Par une ordonnance du 12 juin 2023, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté leur protestation.

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 11 juillet, 5 et 27 septembre 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A et M. B demandent au conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) d'annuler la décision de la préfète du Rhône du 2 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code électoral ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi organique n° 2013-402 du 17 mai 2013 ;

- la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 ;

- les décisions du Conseil constitutionnel n° 85-205 DC du 28 décembre 1985, n° 2000-427 DC du 30 mars 2000 et n° 2013-668 DC du 16 mai 2013 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Saby, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'élection à l'Assemblée nationale de M. C D, précédemment élu conseiller municipal de la commune de Rillieux-la-Pape et conseiller métropolitain de Lyon, M. Matthieu Vieira, conseiller métropolitain de Lyon, et M. Yves Durieux, conseiller municipal de Rillieux-la-Pape, ont demandé à la préfète d'Auvergne-Rhône-Alpes, préfète du Rhône de constater que le mandat de conseiller municipal de M. D avait pris fin de plein droit et de pourvoir à son remplacement dans ce mandat. Par ordonnance du 12 juin 2023, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon a rejeté comme tardive leur protestation contre la décision de la préfète du Rhône rejetant leur demande, sans se prononcer sur la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils avaient soulevée relative à l'article L.O. 141 du code électoral. Par son ordonnance, le premier juge doit ainsi être réputé avoir refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité. M. A et M. B relèvent appel de cette ordonnance. Le mémoire distinct qu'ils ont présenté, dans le délai d'appel, doit être regardé comme contestant le refus implicite de transmission, par l'ordonnance attaquée, de la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils avaient soulevée devant le tribunal administratif.

Sur la recevabilité de la protestation de M. A et M. B :

2. Il résulte de l'instruction que la lettre par laquelle la préfète du Rhône a notifié aux requérants la décision administrative qu'ils contestent n'indique pas les voies et délais de recours. Par suite, en vertu des dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative, le délai de recours qui leur était imparti par les règles propres à la matière électorale ne leur était pas opposable. C'est donc à tort, ainsi qu'ils le soutiennent, que le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon s'est fondé sur ce motif pour rejeter comme tardive, et, par suite, irrecevable, leur protestation et ne pas transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité qu'ils soulevaient à l'appui de cette protestation.

Sur la contestation du refus de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Les dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance portant loi organique du 7 novembre 1958 prévoient que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative aux droits et libertés garantis par la Constitution, elle transmet au Conseil d'Etat la question de constitutionnalité ainsi posée à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Il résulte en outre des dispositions de l'article 23-5 de cette ordonnance que, lorsque le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat, le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral : " Le mandat de député est incompatible avec l'exercice de plus d'un des mandats énumérés ci-après : conseiller régional, conseiller à l'Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l'assemblée de Guyane, conseiller à l'assemblée de Martinique, conseiller municipal d'une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre ".

5. Les dispositions ainsi contestées, applicables au litige au sens et pour l'application de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, sont issues de dispositions de la loi organique du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires et de la loi organique du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de ses décisions n° 85-205 DC du

28 décembre 1985 et n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, et ont été modifiées par la loi organique du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, elle-même déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013. Toutefois, la création ultérieure de la métropole de Lyon et du mandat de conseiller métropolitain de Lyon, à la date du 1er janvier 2015 fixée par l'article 36 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, constitue un changement de circonstances, au sens des dispositions de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, justifiant que puisse être réexaminée la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution.

6. Il résulte des dispositions contestées du premier alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral que si le mandat de député est incompatible avec, notamment, l'exercice simultané d'un mandat de conseiller municipal d'une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du livre Ier du même code et d'un mandat de conseiller départemental, il ne l'est pas, en revanche, avec l'exercice simultané d'un tel mandat de conseiller municipal et d'un mandat de conseiller de la métropole de Lyon. Or, dès lors qu'en application des articles L. 3611-3 et L. 3641-2 du code général des collectivités territoriales, introduits dans ce code par la loi du 27 janvier 2014, et sauf disposition spéciale contraire, la métropole de Lyon exerce de plein droit, depuis le 1er janvier 2015, les compétences que les lois attribuent au département et s'administre dans les conditions fixées par la législation en vigueur relative au département, le mandat de conseiller de la métropole de Lyon comporte notamment les mêmes attributions que celui d'un conseiller départemental. Dans ces conditions, le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en tant qu'elles ne mentionnent pas le mandat de conseiller de la métropole de Lyon alors qu'y figure le mandat de conseiller départemental, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d'égalité devant la loi, soulève une question présentant un caractère sérieux. Il y a ainsi lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée et d'annuler l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a refusé la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Sur les autres moyens de la requête d'appel :

7. Il y a lieu de surseoir à statuer sur les autres moyens de la requête, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché cette question prioritaire de constitutionnalité.

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du 12 juin 2023 du président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lyon est annulée en tant qu'elle refuse de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1er alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral.

Article 2 : La question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du 1er alinéa de l'article L.O. 141 du code électoral est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur le surplus des conclusions de la requête de M. A et M. B jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Matthieu Vieira et M. Yves Durieux, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. C D.

Copie en sera adressée à la Première ministre et à la commune de Rillieux-la-Pape.

Délibéré à l'issue de la séance du 2 octobre 2023 où siégeaient :

M. Jacques-Henri Stahl, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et

M. Olivier Saby, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 9 octobre 2023.

Le président :

Signé : M. Jacques-Henri Stahl

Le rapporteur :

Signé : M. Olivier Saby

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Code publication

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