Tribunal administratif de Bordeaux

Jugement du 5 octobre 2023 n° 2300515

05/10/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 1er février 2023 et le 5 juin 2023, la société par actions simplifiées EMMI Energie Distribution, représentée par Me Ramon, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision du 9 novembre 2022 du directeur départemental de la protection des populations de la Gironde par laquelle il lui a infligé une amende de 45 000 euros en application de l'article L. 522-1 du code de la consommation ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le directeur de la protection des populations de la Gironde a commis une erreur d'appréciation, sa pratique ne contrevient pas aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation dès lors qu'elle s'est réorganisée depuis la promulgation de la loi du 24 juillet 2020, ses téléconseillers proposent exclusivement des diagnostics énergétiques gratuits que les particuliers sont libres d'accepter ou de refuser et elle ne facture pas aux particuliers de prestations d'installation ou d'équipements ;

- la sanction qui lui est infligée est disproportionnée compte tenu de sa situation économique et des efforts qu'elle a fournis pour se réorganiser ;

- l'interdiction totale de démarchage téléphonique pour les entreprises du secteur de l'énergie contrevient aux articles 4 et 6 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire en défense enregistré le 31 mars 2023, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par la société EMMI Energie Distribution ne sont pas fondés.

Par un mémoire distinct et un mémoire en réplique, enregistrés le 1er février 2023 et le 2 mai 2023, la société par actions simplifiées EMMI Energie Distribution représentée par Me Ramon demande au tribunal, à l'appui de sa requête enregistrée sous le n° 2300515, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du 3ème alinéa de l'article L. 223-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que l'interdiction générale et absolue de réaliser des démarchages téléphoniques pour les professionnels issus du secteur des énergies renouvelables instituée par l'alinéa 3 de l'article L.223-1 du Code de la consommation n'est pas conforme aux dispositions combinées des articles 4 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen qui consacrent le principe d'égalité devant la loi et de liberté d'entreprendre.

Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, le préfet de la Gironde, conclut à la non-transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Il fait valoir que la question soulevée par le requérant n'est ni nouvelle ni sérieuse et qu'il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

Par une ordonnance n° 2300515 du 11 septembre 2023, le président de la 3ème chambre du présent tribunal a, en application de l'article R. 771-7 du code de justice administrative, décidé qu'il n'y avait pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité posée par le requérant.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution et son préambule,

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée,

- la décision n° 372426 du 27 mars 2015 du Conseil d'Etat, statuant au contentieux,

- l'ordonnance n° 2300515 du 11 septembre 2023 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Bordeaux,

- le code de la consommation,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Fazi-Leblanc, rapporteure,

- les conclusions de M. Willem, rapporteur public,

- et les observations de M. A, représentant le préfet de la Gironde.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiées EMMI Energie Distribution, créée en 2010 et dont le siège est à Martillac en Gironde, a pour objet la commercialisation de solutions photovoltaïques, thermiques, ou tout autre forme de production et d'utilisation d'énergies renouvelables et l'étude et le conseil en matière de marketing, relations clientèle, organisations d'évènements, réalisation de projets utilisant les énergies renouvelables. Elle exerce son activité, avec la société EMMI Energie Durable, sous la marque commerciale Amilys. A la suite de la plainte d'un consommateur, la société EMMI Energie Distribution a fait l'objet, les 3 et 4 mars 2022, d'un contrôle sur place à l'issue duquel le directeur départemental de la protection des populations de la Gironde lui a fait part le 7 septembre 2022 de son intention de lui infliger une amende de 60 000 euros sur le fondement de l'article L. 522-1 du code de la consommation, pour démarchage téléphonique de consommateurs pour la réalisation de travaux d'économie d'énergie constituant un manquement aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 223-1 du code de la consommation. Tenant compte des observations formulées par la société, l'autorité administrative a ramené l'amende à 45 000 euros par décision du 9 novembre 2022. Celle-ci a fait l'objet d'un recours gracieux de la société par courrier du 15 décembre 2022 rejeté par le directeur départemental de la protection des populations de la Gironde le 24 janvier 2023. Par la présente requête, la société EMMI Energie Distribution demande au tribunal l'annulation de la décision du 9 novembre 2022, ensemble le rejet de son recours gracieux. Par un mémoire distinct enregistré le même jour, la société demande au tribunal de transmettre au Conseil d'État une question prioritaire de constitutionnalité.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes de l'article R. 771-10 du code de justice administrative : " Le refus de transmission dessaisit la juridiction du moyen d'inconstitutionnalité. La décision qui règle le litige vise le refus de transmission. / La formation de jugement peut, toutefois, déclarer non avenu le refus de transmission et procéder à la transmission, lorsque ce refus a été exclusivement motivé par la constatation que la condition prévue par le 1° de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel n'était pas remplie, si elle entend fonder sa décision sur la disposition législative qui avait fait l'objet de la question qui n'a pas été transmise ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " () 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; () ".

3. Par une ordonnance du 11 septembre 2023, le président de la 3ème chambre du tribunal a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 223-1 du code de la consommation aux motifs que le Conseil d'Etat, saisi d'une question identique par une ordonnance n° 2106470 du tribunal administratif de Rennes a, par décision n° 468510 du 5 janvier 2023 décidé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer cette question au Conseil constitutionnel. Par suite, les conclusions à fin de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'alinéa 3 de l'article L. 223-1 du code de la consommation doivent être, de manière certaine, rejetées.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 9 novembre 2022 :

4. Aux termes de l'article L. 223-1 du code de la consommation, dans leur rédaction issue de la loi n° 2020-901 du 24 juillet 2020 applicables aux présent litige : " Le consommateur qui ne souhaite pas faire l'objet de prospection commerciale par voie téléphonique peut gratuitement s'inscrire sur une liste d'opposition au démarchage téléphonique. Il est interdit à un professionnel, directement ou par l'intermédiaire d'un tiers agissant pour son compte, de démarcher téléphoniquement un consommateur inscrit sur cette liste, sauf lorsqu'il s'agit de sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours et ayant un rapport avec l'objet de ce contrat, y compris lorsqu'il s'agit de proposer au consommateur des produits ou des services afférents ou complémentaires à l'objet du contrat en cours ou de nature à améliorer ses performances ou sa qualité. Toute prospection commerciale de consommateurs par des professionnels, par voie téléphonique, ayant pour objet la vente d'équipements ou la réalisation de travaux pour des logements en vue de la réalisation d'économies d'énergie ou de la production d'énergies renouvelables est interdite, à l'exception des sollicitations intervenant dans le cadre de l'exécution d'un contrat en cours au sens du deuxième alinéa du présent article () ".

5. En premier lieu, pour décider de prendre une sanction à l'encontre de la société EMMI Energie Distribution, le directeur de la protection des populations de la Gironde s'est fondé sur le procès-verbal établi par deux inspectrices de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DCCRF) agissant sous son autorité, établi après leurs visites sur place le 3 mars 2022 au siège social des sociétés EMMI Energie Distribution et EMMI Energie Durable puis le 4 mars à l'agence EMMI Energie Distribution. Le procès-verbal clôturé le 2 mai 2022 conclut qu'en démarchant téléphoniquement des prospects pour leur proposer un bilan énergétique, dans l'objectif de leur proposer ensuite des travaux d'amélioration de leur habitat, la société EMMI Energie Distribution a commis un manquement aux dispositions de l'article L. 223-1 du code de la consommation.

6. La société requérante soutient qu'elle a réorganisé son activité pour prendre en compte les dispositions de la loi du n°2020-901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux, qui a modifié l'article L. 223-1 du code de la consommation. Elle précise qu'elle a réduit le nombre de ses téléconseillers et que ces derniers se bornent désormais à proposer un diagnostic énergétique gratuit aux particuliers et que ce n'est que si ce diagnostic est accepté et que si à l'issue de la visite sur place des mesures d'optimisation s'avèrent pouvoir être envisagées, qu'elle propose d'établir un devis. Elle ajoute que si le particulier accepte, ce sont les salariés d'EMMI Energie Durable qui se chargent de revenir au domicile pour établir le devis. Ainsi, la société EMMI Energie Distribution soutient qu'elle ne facture ni équipements, ni installation aux particuliers contactés par ses téléconseillers. Toutefois, il résulte de l'instruction que le document de formation des téléconseillers saisi par les deux inspectrices au moment du contrôle en mars 2021 indique clairement que l'objectif du téléconseiller est la vente et qu'ils perçoivent une prime par équipement vendu. Si la société requérante indique dans son mémoire que ses téléconseillers ne sont pas rémunérés en fonction des ventes, elle ne verse au débat aucun élément probant susceptible de contredire les éléments en ce sens figurant sans ambiguïté dans les documents saisis par les inspectrices lors du contrôle. En outre, il résulte de l'instruction que les produits de la société EMMI Energie Distribution résultent majoritairement de la facturation des prestations qu'elle effectue pour des sociétés qui commercialisent les produits vendus pour les énergies renouvelables et en premier lieu pour EMMI Energie Durable. Au surplus, il résulte également de l'instruction que les auteurs de la plainte à l'origine de l'inspection ont signalé qu'après avoir accepté la réalisation d'un audit gratuit, le commercial qui s'est présenté leur a proposé la vente de panneaux photovoltaïques, ce que la société requérante ne dément pas. Dès lors, c'est à bon droit que le directeur départemental de la protection des populations de la Gironde a estimé que la société EMMI Energie Distribution réalisait de la prospection commerciale par voie téléphonique prohibée par les dispositions de l'alinéa 3 de l'article L. 223-1 du code de la consommation.

7. En second lieu, la société EMMI Energie Distribution soutient que la sanction est disproportionnée dès lors qu'elle a enregistré une perte sur l'année 2020 du fait de la crise sanitaire, que l'amende est supérieure à son bénéfice 2021 de 34 676 euros et qu'elle a fait d'importants efforts de réorganisation pour tenir compte des nouvelles dispositions de la loi du 24 juillet 2020. Toutefois, il ressort du document de formation des téléconseillers saisi par les inspectrices de la DCCRF que la société forme les téléconseillers à mettre en avant une réforme gouvernementale relative au " bonus-malus " en matière environnementale qui n'est pas engagée, en entretenant l'ambigüité vis-à-vis des particuliers. En outre, les résultats de la société sont en progression, passant d'un déficit de -138 767 euros en 2020, année marquée par l'épidémie de Covid 19 à un excédent de + 34 676 euros en 2020, le chiffre d'affaires de la société EMMI Energie Distribution représentant 3,7 millions d'euros en 2021 et, aux dires du directeur commercial des deux sociétés EMMI Energie Distribution et EMMI Energie Durable, le chiffre d'affaires global représente 9 millions en 2021, dont environ 10% de produits des ventes découlant des appels passés en amont du processus par les téléprospecteurs. Dans ces conditions et au regard de l'importance de l'infraction, la sanction de 45 000 euros n'apparaît pas disproportionnée. Par suite, ce moyen est écarté.

Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de la justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société EMMI Energie Distribution demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société EMMI Energie Distribution est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société par actions simplifiées EMMI Energie Distribution et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Région Nouvelle-Aquitaine, préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Ferrari, président,

Mme B et Mme Fazi-Leblanc, premières conseillères,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.

La rapporteure,

S. FAZI-LEBLANC

Le président,

D. FERRARI

La greffière,

E. SOURIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,