Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 4 octobre 2023 n° 22LY02812

04/10/2023

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Par une demande enregistrée sous le n° 2104304, la société La Bourse de l'Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 7 mai 2021 par laquelle le maire de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or l'a mise en demeure, sur le fondement de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, de régulariser la situation de son local commercial.

Par une demande enregistrée sous le n° 2106305, la société La Bourse de l'Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 1er mars 2021 par laquelle le maire de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or s'est opposé à la déclaration préalable qu'elle a déposée le 23 novembre 2020 en vue de remplacer les baies vitrées de son local commercial.

Par une demande enregistrée sous le n° 2106307, la société La Bourse de l'Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 10 juin 2021 par laquelle le maire de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or a prononcé une astreinte de 350 euros par jour jusqu'à satisfaction des termes de la décision de mise en demeure du 7 mai 2021.

Par une demande enregistrée sous le n° 2109210, la société La Bourse de l'Immobilier a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler le titre exécutoire émis le 26 octobre 2021 par le maire de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or en vue du recouvrement de l'astreinte prononcée le 10 juin 2021, pour la période allant du 19 juin au 19 septembre 2021, et de la décharger de l'obligation de payer la somme de 25 000 euros mise à sa charge.

Par un jugement n°s 2104304,2106305,2106307 et 2109210 du 19 juillet 2022 le tribunal administratif de Lyon a annulé la mise en demeure du 7 mai 2021 et les arrêtés des 10 juin 2021 et 26 octobre 2021, a déchargé la société La Bourse de l'Immobilier de l'obligation de payer la somme de 25 000 euros et a rejeté les conclusions en annulation de l'opposition à déclaration préalable du 1er mars 2021.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2022, la commune de Champagne-au-Mont-d'Or, représentée par Me Doitrand, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 juillet 2022 en tant qu'il a annulé la mise en demeure du 7 mai 2021 et les arrêtés des 10 juin 2021 et 26 octobre 2021 ;

2°) de mettre à la charge de la société La Bourse de l'Immobilier la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire, enregistré le 2 décembre 2022, la société La Bourse de l'Immobilier, représentée par l'AARPI Rivière Avocats Associés, conclut :

1°) à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or ;

2°) au titre de l'appel incident, à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Lyon du 19 juillet 2022 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 1er mars 2021 portant opposition à déclaration préalable ;

3°) à ce qu'il soit enjoint au maire de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or de lui délivrer une décision de non-opposition à déclaration préalable ou, à défaut, de procéder à une nouvelle instruction sur le fondement de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ;

4°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense distinct, enregistré le 7 juillet 2023, la société La Bourse de l'Immobilier, devenue la société Human Immobilier, demande à la cour, sur le fondement de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme.

Elle soutient que :

- le texte est applicable au litige ;

- il n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; en premier lieu, le législateur, en ne définissant pas les mesures nécessaires à la mise en conformité et en permettant au juge administratif de les interpréter comme y incluant la mesure de démolition, n'a pas épuisé sa compétence, et il est porté atteinte à l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; en second lieu, la démolition constitue une atteinte au droit de propriété qui ne peut relever que de l'autorité judiciaire, garante de la propriété en vertu du principe fondamental reconnu par les lois de la République.

Par un mémoire, enregistré le 11 septembre 2023, la commune de Champagne-au-Mont-d'Or, représentée par Me Doitrand, conclut au rejet de la demande de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité.

Elle soutient que :

- la condition relative à l'application de la disposition législative au litige n'est pas remplie ; la décision du Conseil d'Etat du 22 décembre 2022, rendue par le juge des référés, ne peut être regardée comme une interprétation jurisprudentielle constante et ne portait pas sur la démolition d'une construction, et la mise en demeure en litige n'impose qu'une remise en état et non une démolition ;

- la question est dépourvue de caractère sérieux ; en premier lieu, aucune incompétence négative ne saurait être reprochée au législateur et, en tout état de cause, l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, tel qu'interprété par le Conseil d'Etat, ne méconnaît pas l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, eu égard à l'objectif d'intérêt général poursuivi et aux garanties qui ont été apportées ; en second lieu, le principe fondamental reconnu par les lois de la République selon lequel l'autorité judiciaire est garante de la propriété, qui ne peut être regardé comme réservant au seul juge judiciaire une compétence en matière d'atteinte au droit de propriété, n'est pas méconnu, et le contrôle de proportionnalité exercé par le juge administratif est une condition suffisante pour assurer le respect de l'article 2 précité.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment son article 2 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. En vertu de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. / Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article. ". Aux termes de l'article L. 771-1 du code de justice administrative : " La transmission par une juridiction administrative d'une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat obéit aux règles définies par les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. ". Aux termes de l'article 23-1 de cette ordonnance : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office. () ". Aux termes de l'article 23-2 de cette loi organique : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ". I

3. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

4. La société Human immobilier, qui se substitue à la SAS Bourse de l'immobilier, demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, à fin de saisine du Conseil constitutionnel et en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, telles qu'interprétées par le Conseil d'Etat. Elle soutient que l'imprécision de ces dispositions, qui ne définissent pas les mesures pouvant être ordonnées et permettent ainsi d'y inclure une mesure de démolition, alors pourtant que le prononcé d'une telle mesure relève de la compétence de l'autorité judiciaire, conduit à une méconnaissance des exigences de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à une contrariété de la répartition des compétences juridictionnelles en cas d'atteinte au droit de propriété et des garanties, notamment de prescriptions, qui y sont attachées.

5. Aux termes de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme, créé par la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique : " I.- Lorsque des travaux mentionnés aux articles L.421-1 à L. 421-5 ont été entrepris ou exécutés en méconnaissance des obligations imposées par les titres Ier à VII du présent livre et les règlements pris pour leur application ainsi que des obligations mentionnées à l'article L. 610-1 ou en méconnaissance des prescriptions imposées par un permis de construire, de démolir ou d'aménager ou par la décision prise sur une déclaration préalable et qu'un procès-verbal a été dressé en application de l'article L.480-1, indépendamment des poursuites pénales qui peuvent être exercées pour réprimer l'infraction constatée, l'autorité compétente mentionnée aux articles L.422-1 à L. 422-3-1 peut, après avoir invité l'intéressé à présenter ses observations, le mettre en demeure, dans un délai qu'elle détermine, soit de procéder aux opérations nécessaires à la mise en conformité de la construction, de l'aménagement, de l'installation ou des travaux en cause aux dispositions dont la méconnaissance a été constatée, soit de déposer, selon le cas, une demande d'autorisation ou une déclaration préalable visant à leur régularisation. / II.- Le délai imparti par la mise en demeure est fonction de la nature de l'infraction constatée et des moyens d'y remédier. Il peut être prolongé par l'autorité compétente, pour une durée qui ne peut excéder un an, pour tenir compte des difficultés que rencontre l'intéressé pour s'exécuter. / III.- L'autorité compétente peut assortir la mise en demeure d'une astreinte d'un montant maximal de 500 € par jour de retard. / L'astreinte peut également être prononcée, à tout moment, après l'expiration du délai imparti par la mise en demeure, le cas échéant prolongé, s'il n'y a pas été satisfait, après que l'intéressé a été invité à présenter ses observations. / Son montant est modulé en tenant compte de l'ampleur des mesures et travaux prescrits et des conséquences de la non-exécution. / Le montant total des sommes résultant de l'astreinte ne peut excéder 25 000 €. ".

6. Ces dispositions sont, contrairement à ce que soutient la commune de Champagne-au-Mont-d'Or, applicables au présent litige au sens des dispositions précitées. Elles n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Le moyen tiré de ce qu'elles sont contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution pose une question qui n'est pas dépourvue de caractère sérieux. Il y a lieu, par suite, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée par la société Human Immobilier.

ORDONNE :

Article 1er : La question de la conformité des dispositions de l'article L. 481-1 du code de l'urbanisme aux droits et libertés garantis par la Constitution est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de la commune de Champagne-au-Mont-d'Or jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'a pas été expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Human Immobilier, à la commune de Champagne-au-Mont-d'Or, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Fait à Lyon, le 4 octobre 2023.

La présidente de la 1ère chambre

Mme A B

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

Code publication

C