Cour administrative d'appel de Lyon

Ordonnance du 28 septembre 2023 n° 23LY01932

28/09/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A B a demandé au tribunal administratif de Lyon de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'annuler les décisions du 25 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a fixé un pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au profit de son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Par un jugement n° 2303385 du 2 mai 2023, la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a admis M. B au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 5 juin 2023, M. A B, représenté par l'AARPI Ad'Vocare agissant par Me Gauché, demande à la cour :

1°) de réformer le jugement n° 2303385 du 2 mai 2023 de la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon, d'annuler les décisions du 25 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a fixé un pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans ;

2°) d'enjoindre au préfet du Puy-de-Dôme de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen et de lui délivrer un récépissé dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 18 juin 2023, M. A B, représenté par Me Gauché, demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 en tant qu'ils ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale.

Il soutient que :

- il résulte de la combinaison des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un étranger peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français et d'une interdiction de retour alors même qu'il est convoqué devant une juridiction pénale et que l'exécution d'office de la mesure d'éloignement a pour effet de l'empêcher de comparaître personnellement devant le juge pénal ;

- avant la codification prévue par l'ordonnance n° 2020-1733 du 17 juin 2020 ces décisions étaient prévues par l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- les dispositions des articles L. 611-1, L.612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont applicables au litige et la convocation devant une juridiction pénale n'entre pas dans les impossibilités prévues par l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le Conseil constitutionnel a déjà eu à connaître des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais ne s'est pas prononcé sur la constitutionnalité des dispositions contestées en ce qu'elles peuvent concerner une personne convoquée par la justice pénale ;

- une disposition déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel peut de nouveau être soumise à son examen lorsqu'un tel réexamen est justifié par les changements intervenus depuis la précédente décision ;

- par un arrêt rendu le 15 septembre 2022 la Cour de justice de l'Union européenne a jugé dans l'affaire C420/20 que l'article 8, paragraphe 2 de la directive 2016/343 doit être interprété comme s'opposant à une réglementation d'un Etat membre permettant la tenue d'un procès en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, alors que cette personne se trouve en dehors de cet Etat membre et dans l'impossibilité d'entrer sur le territoire de celui-ci, en raison d'une interdiction d'entrée adoptée à son égard par les autorités compétentes dudit Etat membre, cette décision constituant un changement de circonstances en ce qui concerne le prononcé d'une interdiction de retour ;

- l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen garantit le droit à un procès équitable, ainsi que les droits de la défense lorsqu'est en cause une sanction ayant le caractère d'une punition, dès lors une mesure administrative qui compromet le droit au procès équitable et les droits de la défense méconnaît cette norme constitutionnelle.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 et son préambule ;

- la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la décision n° 2011-631 DC du 9 juin 2011 du Conseil constitutionnel ;

- la décision n° 2018-770 DC du 6 septembre 2018 du Conseil constitutionnel ;

- la décision C420/20 du 15 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. M. A B, ressortissant algérien né le 19 avril 2000, convoqué devant le procureur de la République près le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand le 10 novembre 2023 en vue d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 25 avril 2023 par lesquelles le préfet du Puy-de-Dôme lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, lui a fixé un pays de destination et l'a interdit de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans. Par un jugement n° 2303385 du 2 mai 2023 la magistrate désignée par la présidente du tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par une requête enregistrée le 5 juin 2023 sous le n° 23LY01932 M. B demande à la cour l'annulation de ce jugement et, par un mémoire distinct, enregistré le 18 juin 2023, il demande à la cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 en tant qu'ils ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale.

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution () peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. () ". Aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. / () / La décision de transmettre la question est adressée au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou les conclusions des parties. Elle n'est susceptible d'aucun recours. Le refus de transmettre la question ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige ". Enfin aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

3. Il doit être procédé à la transmission au Conseil d'Etat d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant une disposition législative à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. D'une part, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution. ".

5. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; / 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; / 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; / 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. / Lorsque, dans le cas prévu à l'article L. 431-2, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la décision portant obligation de quitter le territoire français peut être prise sur le fondement du seul 4°. ", aux termes de l'article L. 611-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; / 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; / 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; / 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; / 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; / 7° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessée depuis le mariage ; / 8° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ; / 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / Par dérogation au présent article, l'étranger mentionné aux 2° à 8° peut faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 s'il vit en France en état de polygamie. ", aux termes de l'article L. 612-2 de ce code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; / 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; / 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. " et enfin aux termes de l'article L. 612-6 dudit code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français ".

6. Le requérant conteste la question de la constitutionnalité des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, en tant qu'ils ne font pas obstacle au prononcé d'une mesure d'éloignement sans délai avec interdiction de retour alors que l'intéressé est convoqué devant une juridiction pénale, toutefois le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la constitutionnalité des dispositions dont sont issues les articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par des décisions 2011-631 DC du 9 juin 2011 et 2018-770 DC du 6 septembre 2018, en retenant que les mesures prises en application de ces dispositions ne constituent pas des sanctions mais des mesures de police. La décision de la Cour de justice de l'Union européenne C-420/20 du 15 septembre 2022, indiquant que l'article 8, paragraphe 2 de la directive 2016/343 doit être interprété comme s'opposant à une réglementation permettant la tenue d'un procès en l'absence du suspect ou de la personne poursuivie, concerne le déroulement des procédures pénales et est sans incidence sur la possibilité pour un Etat membre de prendre des mesures de police à l'encontre de ressortissants étrangers en situation irrégulière. Par suite, la question soulevée est dépourvue de caractère sérieux et il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

ORDONNE :

Article 1er : Les conclusions de M. B aux fins de transmission de la question prioritaire de constitutionnalité susvisée au Conseil d'Etat sont rejetées.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A B.

Fait à Lyon, le 28 septembre 2023.

Le président de la 6ème chambre,

François Pourny

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition,

La greffière,

2 QPC

Code publication

C