Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 25 septembre 2023 n° 22NT00143

25/09/2023

Renvoi partiel

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 23 juin 2023, M. et Mme B A, représentés par Me Le Derf-Daniel, demandent à la cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur requête d'appel formée contre le jugement du 19 novembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Rennes a rejeté leur demande tendant à l'annulation du certificat d'urbanisme opérationnel négatif qui leur a été délivré le 27 juillet 2018 par le maire de la commune du Relecq-Kerhuon pour le détachement d'un lot à bâtir pour la construction d'une maison à usage d'habitation individuelle sur la parcelle cadastrée section AH n° 391 située rue du Roch Du, ainsi qu'à l'annulation de la décision implicite, née le 26 novembre 2018, rejetant leur recours gracieux, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions des articles L. 5111-5 et L. 5111-6 du code de la défense, dans leur rédaction applicable à la date des décisions contestées.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, sont entachées d'incompétence négative, en méconnaissance de l'article 34 de la Constitution, et portent atteinte au droit de propriété, consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et au principe d'égalité, consacré par l'article 6 de cette même Déclaration.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment en son article 61-1 ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, notamment ses articles 2, 6 et 17 ;

- l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". Enfin, l'article R. 771-7 du même code dispose que : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article L. 5111-5 du code de la défense, dans sa rédaction en vigueur à la date des décisions contestées : " Si les circonstances l'exigent, en raison des risques mutuels de voisinage, le ministre de la défense peut, en outre, créer par décret un polygone d'isolement autour de chacun des établissements mentionnés à l'article L. 5111-1, après enquête conduite selon les modalités définies par les articles L. 1, L. 110-1, L. 110-2 et L. 122-4 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. ". Et aux termes de l'article L. 5111-6 de ce même code : " Aucune construction de nature quelconque ne peut être réalisée à l'intérieur du polygone d'isolement sans autorisation de l'autorité administrative. "

3. M. et Mme A soutiennent que, en ne soumettant pas à des conditions suffisamment précises la création du polygone d'isolement, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence, en violation de l'article 34 de la Constitution, dans des conditions affectant le droit de propriété, consacré par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et le principe d'égalité, consacré par l'article 6 de cette même déclaration.

4. Les dispositions des articles L. 5111-5 et L. 5111-6 du code de la défense sont applicables au litige. Il résulte de ces dispositions que, d'une part, le ministre de la défense peut créer par décret un polygone d'isolement autour des seuls établissements servant à la conservation, à la manipulation ou à la fabrication des poudres, munitions, artifices et explosifs, lesquels sont en application de l'article L. 5111-1 désignés par décret pris à enquête publique, si les circonstances l'exigent, en raison des risques mutuels de voisinage, et que, d'autre part, aucune construction de nature quelconque ne peut être réalisée à l'intérieur de ce polygone sans autorisation de l'autorité administrative. En outre, la création du polygone d'isolement doit être précédée d'une enquête publique organisée suivant les procédures prévues par le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ou celles prévues par le code des relations entre le public et l'administration. Il en résulte que cette faculté n'est ouverte que dans les circonstances et dans le respect des conditions et garanties procédurales prévues par la loi, et que dès lors, le législateur ne peut être regardé, en édictant les dispositions en cause, comme s'étant abstenu d'exercer pleinement sa compétence. Dans ces conditions, la question de la conformité des dispositions des articles L. 5111-5 et L. 5111-6 du code de la défense au droit de propriété, garanti par les articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et au principe d'égalité garanti par l'article 6 de cette même déclaration, ainsi que la question de la conformité de ces dispositions législatives à l'article 34 de la Constitution, en tant que le législateur aurait insuffisamment encadré le pouvoir de l'administration, ne présentent pas un caractère sérieux.

5. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. et Mme A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. et Mme B A, au ministre des armées et à la commune du Relecq-Kerhuon.

Fait à Nantes, le 25 septembre 2023.

Le président de la 5ème chambre,

J. FRANCFORT QPC1

Code publication

D