Cour administrative d'appel de Lyon

Arrêt du 21 septembre 2023 n° 23LY00351

21/09/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B A a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 8 janvier 2023 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme l'a assigné à résidence pendant une durée de quarante-cinq jours dans l'arrondissement de Clermont-Ferrand et l'a obligé à se présenter tous les jours à 11 h, y compris les dimanches et jours fériés, à l'hôtel de police, situé au 106 avenue de la République à Clermont-Ferrand.

Par un jugement n° 2300049 du 12 janvier 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête et des mémoires enregistrés les 26 janvier, 6 juillet, 26 et 29 août 2023, M. A, représenté par Me Gauché, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et l'arrêté du 8 janvier 2023 ;

2°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, au titre de la procédure de première instance ;

3°) de mettre la somme de 1 500 euros à la charge de l'État, au titre de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ou de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre de la procédure de première instance et la même somme, et dans les mêmes conditions, au titre de la procédure d'appel.

Il soutient que :

- les premiers juges ont omis de statuer sur ses conclusions tendant à ce qu'une mesure d'instruction soit prescrite afin de se faire communiquer le dossier ; le jugement est insuffisamment motivé en ce qui concerne le rejet de l'aide juridictionnelle provisoire ; les premiers juges ont insuffisamment motivé leur rejet du moyen tiré de l'erreur de fait sur la perspective raisonnable d'éloignement ; le rejet de la demande d'aide juridictionnelle provisoire établit l'absence d'impartialité du tribunal et le tribunal a commis une erreur de fait ;

- la décision portant assignation à résidence est entachée d'une erreur de fait ; il n'existe pas de perspective d'éloignement raisonnable ; elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; elle est entachée d'un défaut d'examen ;

- le tribunal ne pouvait pas se fonder sur l'article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 pour rejeter l'aide juridictionnelle provisoire ; l'aide juridictionnelle à titre provisoire ne pouvait être refusée sans commettre une erreur de fait au regard de l'argumentation à l'appui des moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 731-1 du code de l'entrée, du séjour et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

- les dispositions de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 sont inconstitutionnelles et inconventionnelles en tant qu'il est dans l'impossibilité de contester la décision par laquelle le magistrat désigné du tribunal a refusé de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle ; ces dispositions méconnaissent le droit à un recours effectif et les droits de la défense issus de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; un refus d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle est de nature à faire obstacle à ce qu'un justiciable puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat en vue de porter sa contestation devant la juridiction compétente pour en connaître ; ces dispositions portent une atteinte substantielle au droit d'exercer un recours juridictionnel effectif.

Par un mémoire enregistré le 29 août 2023, le préfet du Puy-de-Dôme conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.

Par un mémoire distinct enregistré le 6 juillet 2023, M. A, représenté par Me Gauché, demande de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 au regard des dispositions de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.

Il soutient que :

- l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 fait écran entre les dispositions de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020 et la Constitution, le juge constitutionnel étant, dans ces conditions, seul compétent pour contrôler la constitutionnalité de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020 ;

- les trois conditions prévues par l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 sont réunies, les dispositions de l'article 20 de la loi et de l'article 62 du décret étant applicables au litige ; il a notamment interjeté appel du jugement attaqué en tant que ce jugement a rejeté ses conclusions tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ; les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel ; la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ; l'aide juridictionnelle participe au respect du droit à un recours effectif qui assure la garantie des droits et libertés prévue par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 sont entachées d'une incompétence négative affectant le droit à un recours juridictionnel effectif ; elles ne prévoient aucune voie de recours permettant de contester la légalité d'une décision refusant une admission à titre provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle, qui est une décision juridictionnelle ; il en est de même des dispositions de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020 ; ces dispositions portent une atteinte substantielle au principe du contradictoire dès lors qu'une telle décision n'est précédée d'aucune procédure contradictoire ;

- une décision de refus d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle peut affecter les droits d'un justiciable et priver son avocat de l'indemnité à laquelle il aurait eu droit, alors même que le justiciable remplissait les conditions pour obtenir l'aide juridictionnelle et que l'intégralité des diligences nécessaires a été accomplie par son avocat ; pour refuser de faire droit à une telle demande, le magistrat peut être conduit à porter une appréciation sur le bien-fondé même du recours soumis à son examen, faisant alors application, en plus des dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, de celles de l'article 7 ; cette appréciation est susceptible d'orienter le sens de la décision qui sera prise par le président du bureau d'aide juridictionnelle compétent et d'inciter ce dernier à rejeter la demande d'aide juridictionnelle ; le justiciable peut se trouver dissuadé d'introduire une action.

Par une intervention du 23 août 2023 présentée à l'appui d'une part, des conclusions de M. A tendant à l'annulation et à la réformation du jugement et d'autre part à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité, le syndicat des avocats de France représenté par Me Demars demande à la cour d'admettre son intervention et de faire droit aux conclusions de M. A.

Il soutient que :

- le juge administratif est parfaitement compétent pour contrôler la constitutionnalité d'une disposition à caractère règlementaire dans la mesure où elle contient des mesures propres et ne se borne pas à tirer les conséquences nécessaires d'une loi ; l'article 62 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 constitue une disposition règlementaire autonome ;

- la décision par laquelle le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a refusé de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle est de nature juridictionnelle ;

- le bien-fondé du moyen tiré de l'inconstitutionnalité et de l'inconventionnalité des dispositions de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020, pour méconnaissance de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des stipulations combinées des articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elles ont pour objet et pour effet de priver M. A de toute possibilité de contester, devant une juridiction, la légalité de la décision par laquelle le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand a refusé de l'admettre, à titre provisoire, au bénéfice de l'aide juridictionnelle et qu'elles ne prévoient l'aménagement d'aucune phase contradictoire préalable permettant à M. A d'être informé de ce qu'une telle décision est susceptible d'intervenir et d'être mis à même de présenter, de manière utile et effective, des observations en vue d'influer sur celle-ci ;

- il soutient que les conditions de la transmission au Conseil d'État de la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'inconstitutionnalité de l'article 20 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, pour méconnaissance de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen sont remplies.

Par un courrier du 31 août 2023, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la cour était susceptible de se fonder sur le moyen, relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité de la demande du requérant tendant à la contestation du jugement attaqué en tant qu'il rejette sa demande d'admission provisoire à l'aide juridique dès lors que la décision statuant sur la demande d'admission provisoire n'est pas susceptible de recours en application de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020.

Par un mémoire enregistré le 4 septembre 2023, M. A a produit des observations au moyen d'ordre public.

M. A a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution et notamment son article 61-1 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Djebiri, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Gauché, pour M. A, ainsi que celles de Me Demars pour le syndicat des avocats de France ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 10 septembre 2023, présentée pour le syndicat des avocats de France ;

Considérant ce qui suit :

1.Outre une obligation de quitter le territoire français avec fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français prise à l'encontre de M. A le 3 août 2022, le préfet du Puy-de-Dôme a assigné à résidence ce dernier par une décision du 8 janvier 2023. Par la présente requête, M. A relève appel du jugement du 12 janvier 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Clermont-Ferrand qui a rejeté sa demande d'admission à l'aide juridictionnelle provisoire ainsi que d'annulation de cette assignation à résidence.

Sur la recevabilité de l'intervention du syndicat des avocats de France :

2.Eu égard à son objet, le syndicat des avocats de France justifie d'un intérêt suffisant pour intervenir à l'appui des conclusions de M. A dirigées contre le refus opposé par le premier juge à sa demande d'aide juridictionnelle provisoire. Dès lors, son intervention au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A à l'appui de sa demande doit être admise pour l'examen de cette question.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3.Le tribunal, qui dirige seul l'instruction, n'était pas tenu de répondre aux conclusions du requérant tendant à ordonner la production de pièces, une telle mesure relevant des pouvoirs propres du juge.

4.Par ailleurs, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Le magistrat désigné a exposé, par renvoi à la suite de son jugement, les motifs sur lesquels il s'est fondé pour refuser d'accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Il a répondu en son point 7 sur la perspective raisonnable d'éloignement et l'erreur de fait commise sur la situation de sa fille. Ce jugement est suffisamment motivé.

5.Enfin, aux termes de l'article L. 231-1-1 du code de justice administrative : " Les magistrats des tribunaux administratifs () exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard. / Ils s'abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions () ". En toute hypothèse, le rejet de la demande d'aide juridictionnelle provisoire ne saurait suffire à caractériser à lui seul une éventuelle partialité du magistrat désigné.

6.Aucune des irrégularités ainsi invoquées ne saurait donc être retenue.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

7.L'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 prévoit que : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". L'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, modifiée par la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution prévoit que : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État () le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel () ". Selon l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

8.En premier lieu, aux termes de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020 : " () La décision statuant sur la demande d'admission provisoire n'est pas susceptible de recours ". Ces dispositions, qui présentent un caractère réglementaire, ne sont pas au nombre des dispositions législatives visées par l'article 61-1 de la Constitution et l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, et ne peuvent, par conséquent, faire l'objet d'une question prioritaire de constitutionnalité.

9.En second lieu, et d'une part, aux termes de l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution. " Aux termes de l'article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958 : " La loi fixe les règles concernant : / -les droits civiques et les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ; () ".

10.D'autre part, aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 : " Dans les cas d'urgence, sous réserve de l'application des règles relatives aux commissions ou désignations d'office, l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président. / L'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut également être accordée lorsque la procédure met en péril les conditions essentielles de vie de l'intéressé, notamment en cas d'exécution forcée emportant saisie de biens ou expulsion. / L'aide juridictionnelle est attribuée de plein droit à titre provisoire dans le cadre des procédures présentant un caractère d'urgence dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État. "

11.M. A soutient que ces dernières dispositions seraient de nature à faire obstacle à ce qu'un justiciable puisse bénéficier de l'assistance d'un avocat en vue de porter sa contestation devant la juridiction compétente pour en connaître et à priver l'avocat constitué pour un justiciable de l'indemnité allouée au titre de l'aide juridictionnelle, alors même que les conditions pour prétendre à cette aide seraient remplies et que cet avocat aurait accompli l'intégralité des diligences lui incombant. Toutefois ces dispositions ont seulement pour effet, spécialement en situation d'urgence, comme c'est le cas en matière d'assignation à résidence, et sans dessaisir le bureau d'aide juridictionnelle qui, en toute hypothèse, devra ultérieurement se prononcer sur l'attribution de l'aide juridictionnelle et dont la décision pourra faire l'objet d'un éventuel recours, de permettre à la juridiction compétente d'accorder ou non provisoirement le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, et alors même qu'elles ne prévoient aucune procédure contradictoire ni voie de recours en cas de refus d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, les dispositions de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, qui n'interdisent pas, en tant que telles, à un justiciable de se faire assister d'un avocat, sont insusceptibles de porter atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui assure la garantie des droits et libertés prévue par l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Aucune incompétence négative du législateur, faute pour ce dernier d'avoir précisé, dans le cadre de l'article 34 de la Constitution, les conditions de contestation d'un refus d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, ne saurait donc ici être retenue. Il suit de là que la question prioritaire de constitutionnalité dont M. A a saisi la cour est dépourvue de caractère sérieux.

12.Il n'y a dès lors pas lieu de transmettre cette question au Conseil d'État.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le refus d'aide juridictionnelle provisoire :

Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité des conclusions à fin d'annulation de ce refus :

13.En premier lieu, et comme il a déjà été dit, la décision statuant sur la demande d'admission provisoire ne dessaisit pas le bureau d'aide juridictionnelle qui, en toute hypothèse, doit ultérieurement se prononcer sur la demande d'aide juridictionnelle présentée par le justiciable, avec la possibilité pour ce dernier d'exercer un recours contre sa décision. Si, en vertu de l'article 62, précité, du décret du 28 décembre 2020, l'admission ou le refus provisoire est insusceptible de recours, une telle circonstance ne prive pas le justiciable de la possibilité de bénéficier de l'assistance d'un avocat et, également, d'obtenir le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par ailleurs, la décision se prononçant sur la demande d'admission provisoire demeure sans incidence sur celle prise finalement par le bureau d'aide juridictionnelle, qui n'est pas lié par l'appréciation portée initialement. Ainsi, et alors que l'assignation à résidence est un cas d'urgence au sens de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991, les dispositions de l'article 62 du décret du 28 décembre 2020, qui ne méconnaissent pas le droit à un recours effectif et les droits de la défense, ne sont de toutes les façons pas contraires aux stipulations des articles 6 § 1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni à l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

14.En second lieu, l'article 7 de la loi du 10 juillet 1991 dispose que : " l'aide juridictionnelle est accordée à la personne dont l'action n'apparaît pas, manifestement, irrecevable ou dénuée de fondement () ". Ces dispositions ont pour objet d'éviter que soient mises à la charge de l'État les dépenses afférentes aux actions qui, de manière manifeste, apparaissent dépourvues de toute chance de succès et pour apprécier si les conditions prévues par ces dispositions sont remplies, l'autorité saisie se livre, au vu des seules indications figurant dans la demande d'aide juridictionnelle, à un examen nécessairement sommaire des éléments de l'espèce. Si l'intéressé soutient que le magistrat désigné ne pouvait, sans commettre une erreur de fait au regard de l'argumentation à l'appui des moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 731-1 du code de l'entrée, du séjour et du droit d'asile et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, se fonder sur ces dispositions pour lui refuser l'attribution, à titre provisoire, de l'aide juridictionnelle, la possibilité d'accorder ou non le bénéfice de cette aide en application de l'article 20, déjà cité, de la loi du 10 juillet 1991 est prévue sous réserve de l'intervention ultérieure du bureau d'aide juridictionnelle, sans faire obstacle à l'application des conditions posées, notamment, par son article 7. Par suite et alors que, comme l'a jugé le magistrat désigné, l'action de M. A apparait manifestement infondée, le moyen ici invoqué ne peut, en toute hypothèse, qu'être écarté.

En ce qui concerne l'assignation à résidence :

15.Il ne ressort ni des termes de la décision attaquée, ni des pièces du dossier, que le préfet n'aurait pas pris en considération l'ensemble de la situation de M. A avant de l'assigner à résidence. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen particulier de son dossier doit être écarté.

16.Aux termes de l'article L. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut assigner à résidence l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, dans les cas suivants : 1° L'étranger fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français, prise moins d'un an auparavant, pour laquelle le délai de départ volontaire est expiré ou n'a pas été accordé ; () ".

17.Si la fille mineure du requérant, Stephania, née le 27 février 2018, a déposé une demande d'asile, en cours d'examen et pour laquelle elle a obtenu une attestation le 5 septembre 2022 en procédure accélérée, valable jusqu'au 4 mars 2023, une telle circonstance ne saurait suffire pour démontrer que l'éloignement de l'intéressé ne demeurait pas une perspective raisonnable à la date de la décision contestée du 8 janvier 2023, alors que cette demande, qui tendait au réexamen de sa demande d'asile après le rejet de la demande initiale de ses parents par décision du 27 janvier 2022 de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) devenue définitive, a été rejetée comme irrecevable par une décision du 27 septembre 2022 de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA), confirmée postérieurement à l'acte en litige par une ordonnance du 30 janvier 2023 de la CNDA. Par suite le moyen tiré de l'absence de perspective raisonnable d'éloignement doit être écarté.

18.La décision en litige n'a ni pour objet, ni pour effet de renvoyer l'intéressé et ses filles dans leur pays d'origine. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

19.Il y a lieu d'écarter par les motifs retenus par le tribunal, et qu'il y a lieu pour la cour d'adopter, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant, que M. A s'est borné à reproduire en appel.

20.Il résulte de tout ce qui précède que la requête de M. A doit, dans l'ensemble de ses conclusions, être rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er :L'intervention du syndicat des avocats de France, y compris au soutien de la question prioritaire de constitutionnalité, est admise.

Article 2 :Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'État la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 3 :La requête de M. A est rejetée.

Article 4 :Le présent arrêt sera notifié à M. B A, au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au syndicat des avocats de France.

Copie en sera adressée au préfet du Puy-de-Dôme.

Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente-assesseure ;

Mme Djebiri, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 septembre 2023.

 

La rapporteure,

C. DjebiriLe président,

V.-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

 

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

Pour expédition,

La greffière,al

Code publication

C