Tribunal administratif d'Orléans

Ordonnance du 19 septembre 2023 n° 2100696

19/09/2023

Renvoi partiel

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête n° 2100696, enregistrée le 23 février 2021, la commune d'Olivet, représentée par SCP Gaschignard, demande au tribunal d'annuler, d'une part, l'arrêté du 22 février 2020 par lequel la préfète du Loiret a prononcé la carence de la commune au regard de l'objectif de réalisation de logements sociaux pour la période triennale 2017-2019 et fixé à 150 % le taux de majoration du prélèvement fiscal correspondant, d'autre part, la décision en date du 22 décembre 2020, par laquelle la préfète du Loiret a fixé à 396 le nombre de logements sociaux à réaliser sur le territoire de la commune au titre de la période 2020-2022 et, enfin, l'arrêté en date du 3 février 2021 par lequel la préfète du Loiret a arrêté le montant du prélèvement au titre de l'article 55 de la loi SRU au titre de l'année 2020 pour la commune.

Par un mémoire distinct, enregistré le 30 mai 2023, la commune d'Olivet, représentée par SCP Gaschignard, demande au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 302-8 et L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, dans leur rédaction applicable au litige.

Elle soutient que :

- le dispositif prévu par ces dispositions est applicable au litige ;

- ce dispositif, qui dans sa rédaction applicable impose aux communes des objectifs impossibles à atteindre, porte une atteinte disproportionnée au principe de libre administration des collectivités territoriales et méconnait aussi bien le principe de nécessité des peines, que celui selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait ;

- depuis que le Conseil constitutionnel a jugé ce dispositif conforme à la Constitution, un changement dans les circonstances de fait est intervenu.

Par un mémoire, enregistré le 1er septembre 2023, la préfète du Loiret conclut qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité.

Elle soutient que :

- les alinéas 6 à 12 de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation ne sont pas applicables au litige ;

- les dispositions contestées ont déjà été déclarées conformes à la Constitution ;

- aucun changement des circonstances n'était intervenu à la date des décisions en litige.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la construction et de l'habitation et notamment ses articles L. 302-5 et suivants ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Aux termes de l'article R. 771-7 du même code : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. D'autre part, aux termes de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction résultant de la loi du 27 janvier 2017 : " I.- Pour atteindre le taux mentionné, selon le cas, aux I ou II de l'article L. 302-5, le représentant de l'Etat dans le département notifie à la commune un objectif de réalisation de logements locatifs sociaux par période triennale. Cet objectif ne peut être inférieur au nombre de logements locatifs sociaux nécessaires pour atteindre, au plus tard à la fin de l'année 2025, le taux mentionné, selon le cas, aux I ou II de l'article L. 302-5 () / VII.- Pour les communes mentionnées au premier alinéa du I du présent article, l'objectif de réalisation pour la cinquième période triennale du nombre de logements sociaux ne peut être inférieur à 25 % des logements sociaux à réaliser pour atteindre en 2025 le taux mentionné, selon le cas, aux I ou II de l'article L. 302-5. Cet objectif de réalisation est porté à 33 % pour la sixième période triennale, à 50 % pour la septième période triennale et à 100 % pour la huitième période triennale. Ces chiffres sont réévalués à l'issue de chaque période triennale () ". Aux termes de l'article L. 302-9-1 du même code : " Lorsque, dans les communes soumises aux obligations définies aux I et II de l'article L. 302-5, au terme de la période triennale échue, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser en application du I de l'article L. 302-8 n'a pas été atteint ou lorsque la typologie de financement définie au III du même article L. 302-8 n'a pas été respectée, le représentant de l'Etat dans le département informe le maire de la commune de son intention d'engager la procédure de constat de carence. Il lui précise les faits qui motivent l'engagement de la procédure et l'invite à présenter ses observations dans un délai au plus de deux mois. / En tenant compte de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut, par un arrêté motivé pris après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et, le cas échéant, après avis de la commission mentionnée aux II et III de l'article L. 302-9-1-1, prononcer la carence de la commune. Cet arrêté prévoit, pendant toute sa durée d'application, le transfert à l'Etat des droits de réservation mentionnés à l'article L. 441-1, dont dispose la commune sur des logements sociaux existants ou à livrer, et la suspension ou modification des conventions de réservation passées par elle avec les bailleurs gestionnaires, ainsi que l'obligation pour la commune de communiquer au représentant de l'Etat dans le département la liste des bailleurs et des logements concernés () Par le même arrêté et en fonction des mêmes critères, il fixe, pour une durée maximale de trois ans à compter du 1er janvier de l'année suivant sa signature, la majoration du prélèvement défini à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut être supérieur à cinq fois le prélèvement mentionné à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune figurant dans le compte administratif établi au titre du pénultième exercice. Ce plafond est porté à 7,5 % pour les communes dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur ou égal à 150 % du potentiel fiscal médian par habitant sur l'ensemble des communes soumises au prélèvement défini à l'article L. 302-7 au 1er janvier de l'année précédente () / L'arrêté du représentant de l'Etat dans le département peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction () "

3. En premier lieu, par l'arrêté contesté du 22 février 2020, la préfète du Loiret a, d'une part, renouvelé le constat de carence dressé à l'encontre de la commune d'Olivet en application de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, fixé à 150 % le taux de la majoration du prélèvement défini à l'article L. 302-7 du même code, fixé la typologie des logements locatifs sociaux exigés des constructions d'immeubles collectifs de plus de douze logements ou de plus de 800 m² de surface de plancher, transféré à l'Etat les droits de réservation mentionnés à l'article L. 441-1 du même code et le droit de préemption prévu à l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme. Par l'arrêté contesté du 3 février 2021, elle a, d'autre part, fixé à 294 848,92 euros le montant de la majoration prévue à l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation.

4. D'une part, la commune d'Olivet ne peut utilement prétendre que les dispositions de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation citées plus haut, qui se bornent à définir le principe et les modalités de fixation par le représentant de l'Etat dans le département du calendrier de réalisation par la commune des logements sociaux manquants, seraient applicables au litige dirigé contre les arrêtés mentionnés au point précédent.

5. D'autre part, la commune requérante ne peut utilement prétendre que les dispositions de l'article L. 302-9-1 citées au point 2 méconnaitraient les droits qui lui sont garantis par la Constitution au motif que l'objectif de construction des logements sociaux manquants serait inatteignable, dès lors que ces dispositions sont sans incidence sur la détermination de cet objectif. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de rechercher si des modifications ayant une incidence sur le litige ont été apportées à ces dispositions depuis les décisions du Conseil constitution n° 2001-452 DC du 6 décembre 2001, n° 2012-660 DC du 17 janvier 2013, n° 2013-309 QPC du 26 avril 2013 et n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017 les déclarant conformes à la Constitution, la question est dépourvue de caractère sérieux.

6. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la commune tirée de la méconnaissance de règles constitutionnelles par les articles précités du code de la construction et de l'habitation dans le cadre de ses conclusions dirigées contre les arrêtés du 22 février 2020 du 3 février 2021.

7. En second lieu, par la décision en date du 22 décembre 2020, la préfète du Loiret a fixé à 396 le nombre de logements sociaux à réaliser sur le territoire de la commune au titre de la période 2020-2022.

8. D'une part, l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation précitées n'est pas applicable à la détermination de l'objectif de construction de logements sociaux assigné à la commune. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces dispositions.

9. D'autre part, les dispositions de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation fondent la détermination par la préfète du Loiret de l'objectif de construction de logements sociaux. Elles sont donc applicables au litige. Elles n'ont, en outre, fait l'objet d'aucune décision du Conseil constitutionnel les déclarant conformes à la Constitution.

10. La commune d'Olivet soutient que, dans sa rédaction antérieure à la loi du 21 février 2022, le dispositif issu de l'article L. 302-8 imposait aux communes des objectifs excessifs, et portait ainsi atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales et méconnaissait aussi bien le principe de nécessité des peines, que celui selon lequel nul n'est punissable que de son propre fait. Cette question n'est pas dépourvue de tout caractère sérieux. Il y a donc lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

11. Il résulte de tout ce qui précède qu'il n'y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée à l'encontre de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation et présentée à l'appui des conclusions de la commune d'Olivet contre la détermination des objectifs de construction de logements sociaux assignés par la décision du 22 décembre 2020.

O R D O N N E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l'article L. 302-8 du code de la construction et de l'habitation est transmise au Conseil d'Etat.

Article 2 : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les autres questions prioritaires de constitutionnalité.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de la commune d'Olivet, jusqu'à la réception de la décision du Conseil d'Etat ou, s'il a été saisi, jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à commune d'Olivet et à la préfète du Loiret.

Fait à Orléans, le 19 septembre 2023.

Le président de la 2ème chambre,

Denis LACASSAGNE

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaire de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Code publication

D