Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 18 septembre 2023 n° 22/00821

18/09/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

 

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

COUR D'APPEL DE PARIS

 

Pôle 5 - Chambre 10

 

ARRÊT DU 18 SEPTEMBRE 2023

 

REQUÊTE EN QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

 

(n° , 5 pages)

 

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/00821 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGYMN

 

Décision déférée à la Cour :

 

Jugement du 31 Mai 2022 -TJ de PARIS RG n° 20/04302

 

DEMANDEUR A LA QPC

 

Monsieur [L] [S]

 

[Adresse 2]

 

[Localité 4]

 

Représenté par Me Bruno REGNIER de la SCP CHRISTINE LAMARCHE BEQUET- CAROLINE REGNIER AUBERT - BRUNO R EGNIER, AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : L0050

 

Représenté par Me Mathieu LE TACON, avocat au barreau de PARIS

 

DEFENDEUR A LA QPC

 

Monsieur LE DIRECTEUR RÉGIONAL DES FINANCES PUBLIQUES D'ILE DE FRANCE Le Directeur Régional des Finances Publiques d'Ile de France et du département de Paris qui élit domicile en ses bureaux du Pôle Fiscal Parisien 1, Pôle Juridictionnel Judiciaire, situés [Adresse 1])

 

[Adresse 1]

 

[Localité 3]

 

Représenté par Me Guillaume MIGAUD de la SELARL ABM DROIT ET CONSEIL AVOCATS E.BOCCALINI & MIGAUD, avocat au barreau de VAL-DE-MARNE, toque : PC430

 

COMPOSITION DE LA COUR :

 

L'affaire a été débattue le 22 Mai 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :

 

Monsieur Edouard LOOS, Président

 

Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Présidente

 

Monsieur Jacques LE VAILLANT, Conseiller

 

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l'audience par Monsieur Edouard LOOS, président dans les conditions prévues par l'article 804 du code de procédure civile.

 

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie MOLLÉ

 

ARRÊT :

 

- Contradictoire

 

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

 

- signée par Madame Christine SIMON-ROSSENTHAL, Président pour Edouard LOOS, Président empêché et par Sylvie MOLLE, Greffier présent lors du prononcé.

 

FAITS ET PROCEDURE

 

Dans leurs déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune au titre des années 2015 et 2016, M. et Mme [S] ont déterminé un plafonnement que les services fiscaux ont remis en cause après un contrôle sur pièces visant les déclarations d'impôts sur le revenu de 2014 et 2015, ayant conduit l'administration à tenir compte de revenus de capitaux mobiliers non déclarés, en l'espèce des contrats de capitalisation (31 949 euros pour 2014 et 43 964 euros pour 2015).

 

L'administration a adressé le 27 décembre 2018 une proposition de rectification aux époux [S], qu'elle a maintenue à la suite des observations formulées par les contribuables.

 

Le 15 mai 2019, elle a mis en recouvrement les sommes suivantes :

 

- Pour l'année 2015 : 19 946 euros de droits supplémentaires et 2 872 euros d'intérêts de retard;

 

- Pour l'année 2016 : 20 506 euros de droits supplémentaires et 1 969 euros d'intérêts de retard.

 

M. et Mme [S] ont contesté ces impositions par une réclamation en date du 18 juin 2019, laquelle a fait l'objet d'une décision de rejet le 12 novembre 2019.

 

Par acte d'huissier de justice en date du 21 novembre 2019, M. [S] a fait assigner la Direction Régionale des Finances Publiques d'Ile-de-France et de Paris devant le tribunal de grande instance de Paris afin d'obtenir le dégrèvement des impositions en question, outre la condamnation de l'administration à lui payer la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.

 

Par mémoire séparé du 27 avril 2020, M. [S] a sollicité la transmission à la cour de cassation d'une question prioritaire de constitutionnalité qui a été rejeté par ordonnance du 14 septembre 2021 du juge de la mise en état.

 

* * *

 

Vu le jugement prononcé le 31 mai 2022 par le tribunal judiciare de Paris qui a débouté M. [L] [S] de ses demandes et l'a condamné aux dépens ;

 

Vu l'appel déclaré le 08 juillet 2022 par M. [S],

 

Vu les conclusions signifiées le 7 décembre 2022 par M. [L] [S] sollicitant la transmission d'une question prioritaire de constitutonnalité (QPC),

 

Vu les dernières conclusions signifiées le 8 février 2023 par la Directrice régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris

 

M. [S] demande à la cour de statuer comme suit :

 

- Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les dispositions de l'article 125-0 A, I, 1° du code général de l'impôt pour violation des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

 

- Constater que la question soulevée est applicable au litige et constitue le fondement des poursuites dont est saisie la cour d'appel de Paris ;

 

- Constater que la question soulevée porte sur une disposition qui n'a pas été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du conseil constitutionnel dans des circonstances identiques ;

 

- Constater que la question soulevée présente un caractère sérieux ;

 

En conséquence :

 

- Transmettre sans délai à la Cour de cassation, afin que la haute juridiction judiciaire la renvoie au conseil constitutionnel pour l'inviter à y répondre, la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

 

L'article 125-0 A, I, 1° du code général des impôts tel qu'interprété par le Conseil d'Etat porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution du 4 octobre 1958 et en particulier par les 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 '

 

- Transmettre au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera,

 

La directrice régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris, demande à la cour de statuer comme suit :

 

- Confirmer l'ordonnance n° RG 21/07705 du 14 septembre 2021 ;

 

- Refuser de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité posée par M. [L] [S] ;

 

- Condamner M. [L] [S] aux dépens.

 

L'avis du ministère public a été déposé le 11 janvier 2023,

 

SUR CE, LA COUR,

 

M. [S] soutient que les dispositions de l'article 125-0 A, I, 1° du code général des impôts sont inconstitutionnelles au motif qu'elles violent celles des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Les dispositions contestées sont applicables au litige et n'ont pas été déclarées conformes à la constitution par une décision antérieure du Conseil constitutionnel. De plus, ces dispositions génèrent une rupture d'égalité ainsi qu'une différence de traitement non justifiée par un motif d'intérêt général entre les contribuables. Selon l'appelant, les dispositions contestées autorisent l'imputation des pertes de revenus de capitaux mobiliers provenant d'un support autre que le contrat de capitalisation. En retenant une définition restreinte des revenus de capitaux mobiliers qui serait fondée uniquement sur le mode de calcul de ces derniers, les dispositions contestées créent ainsi une rupture de l'égalité devant l'impôt entre les bénéficiaires de revenus de capitaux mobiliers, suivant que leurs revenus proviennent d'un contrat de capitalisation ou d'autres supports. Cette différence de traitement, selon que les pertes proviennent d'un contrat de capitalisation ou d'un autre type de placement, n'est ni objective, ni rationnelle, ni justifiée par aucun motif d'intérêt général.

 

La DRFIP soutient, au visa des articles R321-1 du code des assurances, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789, que les articles 156, I, 8° et 125-0-A-1 du code général des impôts ne sont pas inconstitutionnels au motif que le principe d'égalité devant la loi implique qu'à des situations semblables, il soit fait application de solutions semblables. Elle considère qu'il ressort des dispositions contestées, que les pertes en capital subies par le requérant ne sont pas imputables sur les produits des années postérieures au motif que les pertes en capital, générés lors du dénouement du contrat de capitalisation ne sauraient constituer des déficits imputables sur les revenus de capitaux mobiliers. Un déficit dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers ne peut résulter que de la déduction de frais qui ont, pour cette catégorie, le caractère de charges déductibles. Dès lors que les contrats de capitalisation ne génèrent pas de gain en capital, mais sont productifs de revenus, la perte occasionnée par le dénouement d'un contrat de capitalisation ne saurait être opposée aux revenus de ce contrat, mais seulement au capital lui-même. En conséquence, le principe d'égalité devant la loi n'est nullement remis en cause puisqu'étant, de nature distincte du produit imposable, les pertes du contrat de capitalisation ne peuvent s'imputer sur ledit produit.

 

Selon le Procureur Général, les conditions de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas réunies notamment le caractère sérieux de la question. Dès lors que la qualification juridique de la perte est différente, soit en l'espèce une perte en capital, elle ne peut être imputée sur des revenus de capitaux mobiliers. La question n'apparait donc pas sérieuse.

 

Ceci étant exposé le contenu de l'article 125-O A, I , I° du code général des impôts est le suivant :

 

'I. ' 1° Les produits attachés aux bons ou contrats de capitalisation ainsi qu'aux placements de même nature souscrits auprès d'entreprises d'assurance établies en France sont, lors du dénouement ou d'un rachat du bon, contrat ou placement et quelle que soit sa date de souscription, soumis à l'impôt sur le revenu.

 

Les produits en cause sont exonérés, quelle que soit la durée du contrat, lorsque celui-ci se dénoue par le versement d'une rente viagère ou que ce dénouement résulte du licenciement du bénéficiaire des produits ou de sa mise à la retraite anticipée ou de son invalidité ou de celle de son conjoint correspondant au classement dans la deuxième ou troisième catégorie prévue à l'article L. 341-4 du code de la sécurité sociale ;

 

Les produits en cause sont constitués par la différence entre, d'une part, les sommes remboursées au bénéficiaire et, d'autre part, le montant des primes versées, le cas échéant, depuis l'acquisition de ce bon ou contrat, augmenté, dans ce cas, du prix d'acquisition du bon ou contrat.

 

Pour les bons ou contrats souscrits avant le 1er janvier 1983 et, s'agissant de ceux souscrits à compter de cette même date, lorsque la durée du bon ou du contrat est égale ou supérieure à six ans pour les bons ou contrats souscrits entre le 1er janvier 1983 et le 31 décembre 1989 et à huit ans pour les bons ou contrats souscrits à compter du 1er janvier 1990, il est opéré, pour l'ensemble des bons ou contrats détenus par un même contribuable, un abattement annuel de 4 600 € pour les contribuables célibataires, veufs ou divorcés et de 9 200 € pour les contribuables mariés soumis à imposition commune sur la somme des produits imposables acquis à compter du 1er janvier 1998, ou constatés à compter de la même date pour les bons ou contrats en unités de compte visés au deuxième alinéa de l'article L. 131-1 du code des assurances.(...)'

 

En application de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité à la cour de cassation répond aux trois conditions suivantes :

 

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

 

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

 

Il est constant que le litige relève des dispositions de l'article 125-O A, I , I° du code général des impôts qui n'a pas déjà été déclaré conforme à la constitution.

 

Seule subsiste l'appréciation du caractére sérieux de la question dont la transmission est sollicitée.

 

Selon l'arrêt du Conseil d'Etat du 20 mars 2013, l'article 125-0 A du code général des impôts ne prévoit pas que la perte née de la difference entre le montant des versements ou cotisations reglés au jour du rachat, qu'il soit partiel ou total, et la valeur du contrat lors de son rachat, laquelle présente le caractère d'une perte en capital, peut être déduite des revenus de capitaux mobiliers.

 

Le principe d'égalité devant la loi ne fait pas obstacle à ce que le legislateur règle de facon differente des situations differentes, ni à ce qu'i1 déroge à 1'égalité pour des raisons d'intérêt général.

 

Ainsi que relevé par les services fiscaux et le ministère public M. Le Procureur Général, les contrats de capitalisation ne génèrent pas de gain en capital mais sont productifs de revenus.

 

La perte constatée lors du dénouement d'un contrat de capitalisation ne saurait être opposée aux revenus de ce contrat mais seulement au capital lui-même. La nature et la qualification juridique différente de la perte subie ne permet pas de l' imputer ou de la compenser avec les revenus des capitaux.

 

Cette différence de règime juridique autorise un traitement différencié avec notamment celui prévu à l'article 156, I-8 du code général des impôts qui autorise l'imputation des déficits antérieurs sur les revenus mobiliers des 6 années suivantes.

 

Il se déduit de ce qui précède que la rupture d'égalité des contribuables devant l'impôt n'est pas caractérisée.

 

La dénonciation de l'atteinte aux articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas établie.

 

Faute de caractère sérieux, la demande de transmission de la question prioritaire de contitutionnalité doit ainsi être rejetée.

 

PAR CES MOTIFS

 

La cour

 

REJETTE la demande de transmission question prioritaire de contitutionnalité ;

 

CONDAMNE M. [L] [S] aux dépens.

 

LE GREFFIER, P/ LE PRÉSIDENT EMPÊCHÉ

 

S.MOLLÉ C.SIMON-ROSSENTHAL