Tribunal administratif de Rennes

Ordonnance du 12 septembre 2023 n° 2205880

12/09/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1.Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Selon l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.

Le second alinéa de l'article 23-2 de la même ordonnance précise que : " En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat () ".

3. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

4. L'article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure prévoit que : " Nul ne peut être employé ou affecté pour participer à une activité mentionnée à l'article L. 611-1 : ()4° bis Pour un ressortissant étranger ne relevant pas de l'article L. 233-1 du même code, s'il n'est pas titulaire, depuis au moins cinq ans, d'un titre de séjour ;() ".

5. Ces dispositions sont applicables au litige et ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-

817 DC rendue le 20 mai 2021. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient M. A, l'article 12 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques qui

entrera en vigueur du 1er juillet 2024 au 15 décembre 2024 ne constitue pas un changement de circonstances de nature à remettre en cause la décision précitée du 20 mai 2021 dès lors qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le statut dérogatoire qui entrera en vigueur à partir du

1er juillet 2024 serait en contradiction avec les dispositions de l'article L. 612-20 en litige.

6. En effet, en prévoyant simplement qu' " un étranger titulaire d'un titre de séjour relevant des articles L. 422-1, L. 422-4 ou L. 422-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile peut être employé pour participer à l'exercice d'une activité privée de sécurité mentionnée à l'article L. 611-1 du code de la sécurité intérieure sans que le temps de travail accompli dans ce cadre soit pris en compte dans le décompte de la durée de travail maximale prévue aux articles L. 422-1, L. 422-4 et L. 422-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ", l'article 12 de la loi n° 2023-380 du 19 mai 2023 n'édicte aucune disposition contraire à l'article L. 612-20 4°bis du code de la sécurité intérieur.

7. Au surplus, cet article L. 612-20 4° bis qui prévoit que la carte professionnelle à laquelle est subordonné l'exercice d'une activité privée de sécurité sera délivrée, pour un ressortissant étranger autre qu'un citoyen de l'Union européenne, à la condition que celui-ci soit titulaire d'un titre de séjour depuis au moins cinq ans, permet au Conseil national des activités privées de sécurité, qui délivre la carte professionnelle, de pouvoir réaliser un contrôle plus sûr des antécédents judiciaires du demandeur puisque, lorsque celui-ci est récemment arrivé sur le territoire national, l'enquête administrative systématiquement réalisée ne permet pas de vérifier, avec un degré de fiabilité suffisant, que l'intéressé n'a pas subi de condamnations dans son pays d'origine. La mesure a donc pour objet de s'assurer que le demandeur n'a pas été pénalement condamné par les tribunaux français au cours des cinq années précédant la demande de carte professionnelle et vérifier qu'il remplit ainsi la condition mentionnée au 1° de l'article L. 612-20 du code de la sécurité intérieure, tenant à l'absence d'une " condamnation à une peine correctionnelle ou à une peine criminelle inscrite au bulletin n° 2 du casier judiciaire () pour des motifs incompatibles avec l'exercice des fonctions ".

8. En l'espèce, si selon l'article 6 de la Déclaration de 1789, la loi " doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ", le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établi. La condition tenant à l'absence de condamnation à une peine criminelle ou correctionnelle pour un motif incompatible avec l'exercice des fonctions d'agent privé de sécurité est aisée à vérifier pour les Français et les ressortissants d'un autre Etat membre de l'Union européenne. S'agissant d'étudiants étrangers originaires d'Etats non membres de l'Union européenne, cette condition est beaucoup plus difficile, voire parfois impossible à vérifier. Au regard de l'objet des dispositions de l'article

L. 612-20 du code de la sécurité intérieure, qui est de s'assurer de la moralité et de la probité des personnes appelées à exercer une activité privée de sécurité en France, ces derniers ne sont donc pas placés dans une situation identique à celle d'étudiants français ou originaires d'autres Etats

membres de l'Union européenne. Compte tenu de ce qui précède et eu égard aux motifs de la décision précitée n° 2021-817 DC rendue le 20 mai 2021, par le Conseil Constitutionnel, tant le grief tiré de la méconnaissance de ce principe d'égalité, que ceux selon lesquels, d'une part, les étudiants ressortissants étrangers auraient dû être traités différemment des autres ressortissants étrangers et, d'autre part, de ce que leur droit à la poursuite d'études dans des conditions décentes auraient été méconnues ne peuvent être regardés comme présentant un caractère sérieux.

9. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que l'article 12 de la loi n° 2023-380

du 19 mai 2023 relative aux Jeux Olympiques et Paralympiques qui entrera en vigueur du

1er juillet 2024 au 15 décembre 2024 ne saurait constituer un changement de circonstances de

fait survenu depuis cette décision, et d'autre part, que les dispositions contestées qui ont déjà

été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du

Conseil constitutionnel ne présentent pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité de M. A au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité de M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au Conseil national des activités privées de sécurité.

Fait à Rennes, le 12 septembre 2023.

Le président de la 6ème chambre,

G. Descombes

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.