Cour administrative d'appel de Nantes

Ordonnance du 8 septembre 2023 n° 23NT01507

08/09/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire enregistré le 28 juillet 2023 présenté en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 M. B A, représenté par Me Crosnier-Martel, demande à la cour, à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du jugement n° 1908628 du 31 mars 2023 par lequel tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée assignés à la société Rea Immo et dont le paiement lui a été réclamé par application de l'article L.267 du livre des procédures fiscales, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux principes d'individualisation et personnalité des peines tels que garantis par les articles 8 et 9 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales.

Il soutient que :

- les dispositions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales sont applicables au litige et n'ont pas auparavant été déclarées conformes à la Constitution ;

- ces dispositions lorsqu'elles sont appliquées à des pénalités ou majorations s'analysent en une sanction de caractère pénal ; elles ne laissent aucune possibilité au juge judiciaire de moduler le quantum des impositions et pénalités mises à la charge du débiteur solidaire ; elles mettent à la charge du dirigeant des sanctions fiscales ayant initialement pour objet de sanctionner des agissements ou des manquements du débiteur principal et non du dirigeant concerné. Il en découle une méconnaissance des principes de personnalité et d'individualisation des peines garantis par la Constitution.

- la question posée présente un caractère sérieux.

Par un mémoire enregistré le 16 août 2023, le ministre l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Il fait valoir que :

- la disposition contestée n'est pas applicable à l'espèce ;

- la question posée ne revêt pas de caractère sérieux.

Vu la requête de M. A enregistrée le 23 mai 2023 au greffe de la cour sous le n°23NT01507.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son article 6-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. En vertu de l'article R. 771-5 du code de justice administrative : " Sauf s'il apparaît de façon certaine, au vu du mémoire distinct, qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité, notification de ce mémoire est faite aux autres parties. () ". Enfin, l'article R. 771-7 du même code dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel () les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales : " Lorsqu'un dirigeant d'une société, d'une personnes morale ou de tout autre regroupement, est responsable des manœuvres frauduleuses ou de l'inobservation grave et répétée des obligations fiscales qui ont rendu impossible le recouvrement des impositions et des pénalités dues par la société, la personne morale ou le groupement, ce dirigeant peut, s'il n'est pas déjà tenu au paiement des dettes sociales en application d'une autre disposition, être déclaré solidairement responsable du paiement de ces impositions et pénalités par le président du tribunal de grande instance () ".

3. M. A soutient que les dispositions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige, sont contraires aux principes d'individualisation et de personnalisation des peines tels que garanties par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en ce que ces dispositions lorsqu'elles sont appliquées à des pénalités ou majorations s'analysent en une sanction de caractère pénal, ne laissent aucune possibilité, pour le juge judiciaire, de moduler le quantum des impositions et pénalités mises à la charge du débiteur solidaire et mettent à la charge du dirigeant des sanctions fiscales ayant initialement pour objet de sanctionner les agissements ou les manquements du débiteur principal et non du dirigeant concerné.

4. Il résulte de l'instruction que c'est par un jugement du tribunal de grande instance de la Roche-sur-Yon du 19 septembre 2017 confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Poitiers du 5 février 2019 que M. A a été, par application des dispositions de l'article L. 267 du livre des procédures fiscales, déclaré solidairement responsable du paiement des impositions et pénalités dues par la société Rea Immo, ces deux juridictions ayant jugé que M. A, en sa qualité de gérant de fait, puis de droit, de la SARL Rea Immo, était responsable de l'inobservation répétée des obligations fiscales de l'entreprise, ces inobservations ayant rendu impossible le recouvrement des impositions et pénalités dues par l'entreprise. Devant le tribunal administratif de Nantes, M. A a soulevé un litige distinct tendant à la contestation des impositions et pénalités mises à sa charge solidaire, qui est sans lien avec le principe de solidarité acté par le juge judiciaire. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée devant la cour, qui concerne une disposition législative dont il n'a pas été fait application pour établir les impositions en litige, mais seulement pour en garantir le paiement par un recours distinct au juge judiciaire, est en l'espèce dépourvue d'objet.

5. Il résulte de ce qui précède que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A, qui ne remplit pas les conditions énoncées au point 1, ne peut qu'être rejetée. Il n'y a, par suite, pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Fait à Nantes, le 8 septembre 2023

I. Perrot

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°23NT01507

Code publication

D