Tribunal judiciaire de Créteil

Ordonnance de référé du 5 septembre 2023, n° 23/00673

05/09/2023

Non renvoi

MINUTE N° 23/2012

ORDONNANCE DU 05 Septembre 2023

DOSSIER N° N° RG 23/00673 -N° Portalis DB3T-W-B7H-UDE2

CODENAC 97Z-0A

AFFAIRE Association ROBIN DES LOIS C/ L'ETAT FRANCAIS pris en la personne du Ministre de l'Intérieur

 

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE CRETEIL

Section des Référés ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ

 

LE JUGE DES REFERES : Monsieur Benjamin VERNOTTE, Vice-Président LE GREFFIER : Lors des débats: Madame Audrey GALOP, Greffier Lors du délibéré : Madame Stéphanie GEULIN, Greffier

 

PARTIES:

 

DEMANDEUR

Association ROBIN DES LOIS, dont le siège social est sis 14 place du comte Haymon - 91100 CORBEIL ESSONNES

représentée par Me Emmanuel LUDOT, avocat au barreau de REIMS, avocat plaidant et Me Marc LESZEK, avocat au barreau de PARIS, vestiaire: D0587, avocat postulant

DEFENDEUR

L'ETAT FRANCAIS pris en la personne du Ministre de l'Intérieur - Place Beauvau - 75008 PARIS et 11 rue des Saussaies - 75008 PARIS

non représenté

INTERVENANT

Monsieur le Procureur de la République près le Tribunal Judiciaire de Créteil, Place du Palais - 94000 CRETEIL

non comparant à l'audience, pris en son avis du 29 Juin 2023 Débats tenus à l'audience du : 22 Août 2023 Date de délibéré indiquée par le Président : 05 Septembre 2023 Ordonnance rendue par mise à disposition au greffe le 05 Septembre 2023

 

                                                 EXPOSE DU LITIGE :

Monsieur [A] [B] est né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 2] en […], et dispose de la nationalité […]. Il est le fondateur de [3].

En raison d'une demande d'extradition formulée par les Etat -Unis, où il a fait l'objet de poursuites judiciaires, il a vécu réfugié à l'ambassade d'Equateur à Londres entre 2012 et 2019.

Monsieur [A] [B] a vu sa nationalité […] suspendue par les autorités […], ce qui a entraîné la fin de son droit d'asile et son appréhension par la police britannique.

Il est aujourd'hui détenu à la prison de Belmarsh Western Way à Londres, au Royaume-Uni.

Monsieur [A] [B] a présenté officiellement à l'État français une demande d'asile qui a fait l'objet d'un rejet par le Président de la République en 2017.

C'est dans ces conditions que par acte, d'huissier en date du 9 mars 2023, l'Association ROBIN DES LOIS a fait assigner l'Etat français, pris en la personne de monsieur le Ministre de l'Intérieur, devant le Juge des référés du Tribunal Judiciaire de Créteil, aux fins de:

- voir renvoyer les parties à se pouvoir ainsi qu'elles aviseront,

- déclarer que l'Association ROBIN DES LOIS a, de par ses statuts, qualité à agir pour obtenir de l'Etat français pris en la personne de monsieur le Ministre de l'Intérieur et par dérogation aux dispositions des articles L.723-1 et suivants du CESEDA, la possibilité pour tout demandeur d'asile privé de liberté de formaliser sa demande de son lieu de détention ;

- désigner Maître Marc LESZEK au titre de l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle ;

 

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

- donner acte à l'Association ROBIN DES LOIS qu'elle notifie un mémoire aux fins de questions prioritaires de constitutionnalité,

Dans l'hypothèse où les questions prioritaires de constitutionnalité seraient déclarées recevables et transmises à a Cour de Cassation aux fins de transmission au Conseil Constitutionnel, surseoir à statuer sur les demandes présentées ;

 

Sur le fond:

- contraindre l'État Français à mettre en place toutes les mesures nécessaires pour permettre à [A] [B] d'enregistrer au guichet unique sa demande d'asile politique;

Statuer ce que de droit quant aux dépens.

L'Association ROBIN DES LOIS soutient notamment que la procédure française de demande d'asile impose de faire enregistrer personnellement la demande auprès du Guichet Unique rattaché au lieu de résidence et qu'il ne peut y avoir représentation ou substitution; qu'en raison de son incarcération au Royaume-Uni, monsieur [A] [B] ne peut se présenter personnellement et formuler auprès de l'OFPRA le bénéfice du statut de réfugié ; qu' en outre, aucune prise en charge de cette demande ne peut être faite par un autre Etat Membre et que la Grande-Bretagne s'est refusée à toute demande d'asile; qu'en vertu du règlement DUBLIN III et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union Européenne, l'Etat français peut être désigné comme Etat responsable en charge de l'examen de la procédure d'asile.

Par mémoire aux fins de questions prioritaires de constitutionnalité annexé a l'assignation susvisée, l'Association ROBIN DES LOIS a demandé au Président du Tribunal Judiciaire de CRETEIL de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité suivante à la Cour de cassation aux fins de saisine du Conseil Constitutionnel :

« Les dispositions des articles L723-1 à L723-9 du CESEDA sont-elles contraires au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 qui rappellent l'attachement de la France aux conventions internationales et notamment aux dispositions des articles 2,3 et 5 de la Convention Européenne des droits de l'Homme en ce qu'elles instituent une discrimination et une rupture d'égalité entre les demandeurs d'asile: ceux qui peuvent se présenter personnellement au guichet unique de l'OFPRA et ceux qui sont dans l'impossibilité de s'y présenter pour des raisons indépendantes de leur volonté?»

L'Association ROBIN DES LOIS a fait valoir que les dispositions L723-1 à L723-9 du CESEDA susvisées ne prévoyaient pas de procédure dérogatoire lorsqu'un demandeur d'asile est détenu dans un pays étranger; qu'elles étaient en ce sens contraire au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 et aux conventions internationales.

Le mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité a été transmis au Procureur de la République du Tribunal Judiciaire de Créteil qui, par avis du 29 juin 2023, a requis du Juge des référés de :

- dire n'y avoir lieu à transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité relative aux articles L723-1 à L723-9 du CESEDA posée par l'association ROBIN DES LOIS.

Le Ministère Public a notamment affirmé :

- que les dispositions contestées figurant aux articles L723-1 à L723-9 du CESEDA qui constituent le fondement des poursuites ont été abrogés ;

- que la différence de traitement, la discrimination et la rupture d'égalité entre les demandeurs d'asile au regard des articles L723-l à L723-9 du CESEDA abrogés ne paraît pas sérieusement établie ;

- que dès lors la question posée par l'Association ROBIN DES LOIS ne présente pas le caractère sérieux nécessaire et ne doit pas être transmise à la Cour de cassation.

L'affaire a été appelée à l'audience du 15 mai 2023, renvoyée à l'audience du 3 juillet 2023 pour que le contradictoire entre les parties soit respecté, puis a été renvoyée en raison d'une grève au 22 août 2023.

A l'audience du 22 août 2023, l'association Robin Des Lois a maintenu ses prétentions et moyens.

L'Etat français, pris en la personne de Monsieur le Premier Ministre, n’a pas comparu ni constitué avocat.

Le Procureur de la République n'a pas comparu.

A l'issue des débats il a été indiqué aux parties quel'affaire était mise en délibéré et que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la qualité à agir de l'association Robin Des Lois :

En vertu de l'article 31 du code de procédure civile, « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé »

En application de ce texte, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social

En l'espèce, il résulte de la consultation des statuts de L'association Robin Des Lois versés à la procédure, et de sa déclaration en préfecture de l 'Essonne publiée le 24 mars 2012, que l'association a pour objet de :

- défendre les libertés publiques et les droits de l'Homme notamment dans les prisons ;

- lutter contre l'allongement des peines ;

- s'opposer aux usines carcérales ;

- défendre concrètement les personnes détenues (famille, travail, aide à la réinsertion, etc.);

- faire respecter la dignité des personnes détenues ;

- instaurer le numerus clausus ;

- promouvoir le droit à la formation, au travail et aux soins.

L'association a donc pour objet de défendre le sort des détenus quels qu'ils soient dans le monde ; il s'agit là de la défense d'un intérêt collectif. Il n'est pas contesté que Monsieur [A] [B] est détenu au Royaume-Uni. Dès lors, L'association Robin Des Lois entendant faire valoir le droit pour les détenus de déposer depuis leur lieu de détention des demandes d'asile, elle est légitime à saisir le juge pour savoir si Monsieur [A] [B] peut ou non former une demande d'asile auprès de l'Etat Français.

Il convient donc de retenir que L'association Robin Des Lois a qualité pour agir.

 

Sur les conditions de recevabilité de la OPC :

L'article 61-1 de la Constitution dispose que lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Selon l'article 126-2 du code de procédure civile, à peine d'irrecevabilité, la partie qui soutient qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présente ce moyen dans un écrit distinct et motivé.

L'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel précise qu'il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

Le Juge des référés apprécie ces mêmes critères pour décider de la transmission à la Cour de cassation.

L'Association ROBIN DES LOIS conteste la constitutionnalité des articles L723-1 à L723-9 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

 

Sur l'existence d'une instance en cours et d'une atteinte aux droits et libertés constitutionnellement garantis :

La question prioritaire de constitutionnalité est présentée par l'Association ROBIN DES LOIS à l'occasion d'une instance en cours devant le Juge des référés du Tribunal judiciaire de Créteil, l'opposant à l'Etat français pris en la personne de Monsieur le Ministre de l'Intérieur.

L'Association ROBIN DES LOIS soulève comme moyen l'atteinte par les articles L723-1 à L723-9 du CESEDA, aux droits et libertés garantis par la Constitution du 4 octobre 1958 qui rappellent l'attachement de la France aux conventions internationales et notamment aux dispositions des articles 2, 3 et 5 de la Convention Européenne des droits de l'Homme en ce qu'elles instituent une discrimination et une rupture d'égalité entre les demandeurs d'asile.

 

Sur l'existence d'un écrit distinct et motivé:

Conformément aux dispositions précitées, l'Association ROBIN DES LOIS a présenté sa QPC dans un mémoire aux fins de question prioritaire de constitutionnalité transmise par dépôt au greffe de la DACIPP (parquet civil du tribunal judiciaire de Créteil), lequel constitue un écrit distinct de l'assignation en référé devant le tribunal judiciaire de Créteil en date du 9 mars 2023, et motivé. Ce mémoire a été rectifié le 22 août 2023 avant l'audience, afin de tenir compte de la renumérotation des articles du CESEDA intervenue depuis le 01 mai 2021, sur lesquels il se fonde.

 

Sur l'applicabilité de la dis position au litige :

L'Association ROBIN DES LOIS soutient que les dispositions des articles L52 l-1 à 7 (anciennement L723-1 à L723-9) du CESEDA sont contraires au Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 en ce qu'elles instituent une discrimination et une rupture d'égalité entre les demandeurs d'asile.

Ces articles sont placés dans la section I du chapitre 1 du titre II du livre V du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et concernent l'« enregistrement de la demande d'asile». Ils disposent:

- article L521-1 : « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement. »

- article L521-2 : « Tout demandeur reçoit, dans une langue qu'il comprend ou dont il est raisonnable de supposer qu'il la comprend, une information sur les droits et obligations qui découlent de l'application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, dans les conditions prévues à son article 4. » 5

- article L521-3: « Lorsque la demande d'asile est présentée par un étranger qui se trouve en France accompagné de ses enfants mineurs, elle est regardée comme présentée en son nom et en celui de ses enfants. »

- article L521-4: « L'enregistrement a lieu au plus tard trois jours ouvrés après la présentation de la demande d'asile à l'autorité administrative compétente, sans condition préalable de domiciliation. Toutefois, ce délai peut être porté à dix jours ouvrés lorsqu'un nombre élevé d'étrangers demandent l'asile simultanément.»

- article L521-5 : « Lorsque l'autorité administrative estime que l'examen d'une demande d'asile relève de la compétence d'un autre Etat qu'elle entend requérir, il est fait application des dispositions du titre VII. »

- article L521-6 : « Lorsque l'examen de la demande d'asile relève de la compétence de la France, l'étranger est informé lors de l'enregistrement de sa demande d'asile des langues dans lesquelles il peut être entendu lors de l'entretien personnel mené par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.

Il indique celle dans laquelle il préfère être entendu.

Il est informé que ce choix lui est opposable pendant toute la durée d'examen de sa demande, y compris en cas de recours devant la Cour nationale du droit d'asile, et que, à défaut de choix de sa part ou dans le cas où sa demande ne peut être satisfaite, il peut être entendu dans une langue dont il a une connaissance suffisante.

Le présent article ne fait pas obstacle à ce que, à tout instant, l'étranger puisse à sa demande être entendu en français.

La contestation du choix de la langue de procédure ne peut intervenir qu'à l'occasion du recours devant la Cour nationale du droit d'asile contre la décision de l'office, dans les conditions prévues aux articles L. 532-2 et L. 532-3. Les modalités d'application du présent article sont définies par décret en Conseil d'Etat. »

article L521-7 : « Lorsque l'enregistrement de sa demande d'asile a été effectué, l'étranger se voit remettre une attestation de demande d'asile dont les conditions de délivrance et de renouvellement sont fixées par décret en Conseil d'Etat. La durée de validité de l'attestation est fixée par arrêté du ministre chargé de l'asile.

La délivrance de cette attestation ne peut être refusée au motif que l'étranger est démuni des documents et visas mentionnés à l'article L. 311-1. Elle ne peut être refusée que dans les cas prévus aux c ou d du 2° de l'article L. 542-2.

Cette attestation n'est pas délivrée à l'étranger qui demande l'asile à la frontière ou en rétention. »

Ces dispositions, en ce qu'elles posent les conditions dans lesquelles les demandeurs d'asile doivent formuler leurs requêtes, sont naturellement applicables au présent litige.

 

Sur la nouveauté de la question prioritaire de constitutionnalité :

Il ressort des dispositions du Conseil Constitutionnel que la question prioritaire de constitutionnalité présentée n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.

 

Sur le caractère sérieux de la question :

L'Association prétend que la législation française en vigueur, imposant de faire enregistrer personnellement sa demande d'asile auprès du Guichet Unique du lieu de résidence créée une discrimination entre les demandeurs d'asile : ceux qui peuvent se présenter personnellement au guichet unique de l'OFPRA et ceux qui sont dans l'impossibilité de s'y présenter pour des raisons indépendantes de leur volonté.

L'association Robin Des Lois pose plus particulièrement la question de l'impossibilité pour les demandeurs d'asile se trouvant détenus contre leur volonté dans un Etat non-membre de l'Union Européenne, de pouvoir faire enregistrer en France une demande d'asile.

La procédure de demande d'asile est définie :

- en droit français : par la Loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, modifiée principalement par la Loin° 2003-1176 du 10 décembre 2003, puis par les lois n°2015-925 du 29 juillet 2015, n° 2018-187 du 20 mars 2018, n°2018-778 du 10 septembre 2018 et enfin par !'Ordonnance n°2020-l 733 du 16 décembre 2020;

- en droit européen : par le Règlement (UE) n ° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, dite « Convention Dublin III» établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

L'article L. 521-1 du CESEDA dispose que « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande... »

Cet article est la version codifiée de l'article 10 de la loi du 25 juillet 1952 (devenu article 8, par l'effet de l'article 5 de la loin° 2003-1176 du 10 décembre 2003), selon lequel « Lorsqu'un étranger, se trouvant à l'intérieur du territoire français, demande à bénéficier de l'asile, l'examen de sa demande d'admission au séjour relève du préfet compétent... ».

La loi n° 2003-1176 du 10 décembre 2003, notamment son article 5, a été déférée devant le Conseil Constitutionnel. La condition de la présence préalable sur le territoire français du demandeur d'asile n'a pas soulevé de contestation à l'occasion de la formulation du recours devant le Conseil Constitutionnel.

Dans sa décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les articles Ier, 2, 4, 5, 6 et 10 de la loi modifiant la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d'asile, sous les réserves énoncées aux considérants 17 et 62 qui ne concernent pas la question litigieuse de la présence préalable sur le territoire français du demandeur d'asile.

La loi française est conforme au droit européen. En effet, la présence du demandeur d'asile à l'intérieur du territoire où sa demande a vocation à être examinée, ou à sa frontière ou dans une zone de transit, est également posée comme condition préalable à l'examen de sa demande par la réglementation européenne. L'article 3 du le Règlement (UE) n ° 604/2013 dispose que « les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. »

En outre, le règlement Dublin III impose, dans son article 5, un entretien individuel avec le demandeur d'asile, en sa présence physique, et ne dispense d'entretien que pour des raisons qui n'incluent pas la détention de celui-ci dans un pays tiers à l'UE. La réglementation européenne impose donc au demandeur d'asile de se présenter personnellement au guichet de l'Etat membre concerné par sa demande d'asile pour la soutenir.

L'une des raisons de l'imposition de la présence préalable sur le territoire de l'Union Européenne du demandeur d' asile, est la nécessité de procéder à un entretien individuel entre un agent assermenté de l'Etat membre responsable chargé d'instruire la procédure, et le demandeur d'asile. Cet entretien individuel est prévu par l'article L. 522-1 du CESEDA et par l'article 5 du Règlement (UE) n ° 604/2013. Cet entretien ne peut se réaliser que sur le territoire où l'Etat chargé d'examiner la demande d'asile exerce sa souveraineté. Cet entretien individuel sert en outre à recueillir les empreintes digitales du demandeur d'asile pour les enregistrer dans le fichier EURODAC. Si le demandeur n'est pas présent, il est impossible de prélever ses empreintes. Et il est impossible pour un Etat d'imposer à un autre Etat souverain sur le territoire duquel se trouve le candidat à l'asile, de recevoir ses agents assermentés à la prise d'empreintes.

Il s'en déduit que la notion de demandeur d'asile implique, de par sa définition même, la présence préalable de l'individu sur la zone d'accueil ou à sa frontière. Une personne qui ne se trouve pas sur le territoire d'un Etat membre de l'Union Européenne, à sa frontière ou dans une zone de transit, n'est pas considérée comme un demandeur d'asile au sens de la réglementation nationale et européenne. Elle n'a donc pas vocation à bénéficier des mêmes droits que les individus se trouvant sur le territoire de l'Union Européenne et demandant l'asile.

Ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel dans le considérant n° 38 de sa décision du 04 décembre 2003 susvisée, « le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit». En l'espèce, Monsieur [A] [B], dans la mesure où il ne se trouve pas sur le territoire de l 'Union européenne, ou à sa frontière ou dans une zone de transit, est dans une situation différente de celle d'un demandeur d'asile. Il n'y a pas de violation du principe d'égalité, à ne pas lui reconnaître les mêmes droits que les demandeurs d'asile.

Les articles 3, 5 et 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, traitent de l'interdiction de la torture, du droit à la liberté et à la sûreté ainsi que du droit au respect de la vie privée et familiale.

En vertu du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, inclus dans le Préambule de la Constitution de 1958, « Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République »

Ces textes ont certes vocation à s'appliquer au moment d'accorder ou non la demande d'asile. Cependant, ni le contenu de ces textes, ni la jurisprudence qui les entoure, n'ont pour objet d'enjoindre l'Etat français comme les Etats signataires à élargir la qualification du demandeur d'asile au-delà des individus présents sur leur territoire - ou sur le territoire de l'UE. Dès lors, le fait pour l'Etat français d'imposer la présence sur son territoire de l'individu qui souhaite demander l'asile, n'est pas contraire aux articles 3, 5 et 8 de la CESDH, ni au quatrième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Dans ces circonstances, la différence de traitement, la discrimination et la rupture d'égalité entre les demandeurs d'asile au regard des articles L521-1 à 7 du CESEDA, présents sur le territoire national ou de l'Union Européenne, et les autres individus étrangers retenus hors des frontières de l'Union pour des raisons indépendantes de leur volonté, ne paraît pas établie. Ainsi, la QPC posée par l'association Robin Des Lois ne présente pas de caractère sérieux et il n'y a pas lieu à la transmettre à la Cour de cassation.

Les dépens de l'instance seront réservés en attente du jugement statuant sur le fond.

 

Sur les demandes au fond présentées par l'association Robin Des Lois:

Sur la détermination de l'État responsable pour examiner la demande d'asile:

L'association Robin Des Lois demande au juge des référés de déclarer l'État français comme responsable pour examiner la demande d'asile de Monsieur [A] [B].

En vertu de l'article 3 du Règlement (UE) n ° 604/2013, « les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. »

La présence de l'individu souhaitant demander l'asile, sur le territoire de l'Union Européenne, est ainsi une condition préalable à la détermination de l'État membre responsable qui sera chargé d'examiner la demande d'asile.

Or, il est acquis que Monsieur [A] [B] n'est pas présent sur le territoire de l'Union Européenne. Ainsi, il n'y a pas lieu de désigner l'Etat français comme responsable pour examiner la demande d'asile de Monsieur [A] [B].

Sur la demande de contraindre l'État français à enregistrer la demande d'asile de Monsieur [A] [B] :

En vertu de l'article L. 521-1 du CESEDA précité, « Tout étranger présent sur le territoire français et souhaitant demander l'asile se présente en personne à l'autorité administrative compétente qui enregistre sa demande et procède, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, à la détermination de l'Etat responsable en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ou en application d'engagements identiques à ceux prévus par le même règlement. »

Ainsi qu'il a été évoqué, le dépôt d'une demande d'asile suppose, préalablement, la présence de l'individu requérant sur le territoire national ou de l'Union Européenne. L'impossibilité pour le candidat de se rendre en France ou dans un Etat membre pour y faire sa demande d'asile n'est pas une exception à cette condition de présence préalable sur le territoire.

En l'espèce, Monsieur [A] [B] est détenu aux Royaume-Uni. Partant, il ne peut remplir la condition de personnelle à l'autorité administrative compétente pour enregistrer sa demande d'asile. La circonstance de sa privation de liberté ne permet pas de faire exception à la règle posée par l'article L. 521-1 du CESEDA

Dans ces circonstances, il n'y a pas lieu de contraindre l'État Français à mettre en place toutes les mesures nécessaires pour permettre à [A] [B] d'enregistrer au guichet unique sa demande d'asile politique.

 

Sur les demandes accessoires :

Il convient enfin de condamner l'association Robin Des Lois, qui succombe au principal, aux entiers dépens.

 

                                           PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par décision réputée contradictoire mise à disposition des parties au greffe et en premier ressort,

RETENONS la qualité pour agir de l'association Robin Des Lois ;

CONSTATONS la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité posée par l'Association ROBIN DES LOIS dans un écrit distinct de l'assignation en référés, concernant des dispositions n'ayant pas déjà été déclarées conformes à la Constitution;

DISONS n'y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité pour défaut de caractère sérieux ;

REJETONS l'intégralité des demandes de l'association Robin Des Lois;

CONDAMNONS l'association Robin Des Lois aux entiers dépens ;

RAPPELONS qu'en application des dispositions de l'article 126-7 du code de procédure civile, la décision de refus de transmission ne peut être contestée qu'à l'occasion d'un recours formé contre une décision tranchant tout ou partie du litige.

FAIT AU PALAIS DE JUSTICE DE CRÉTEIL, le 05 Septembre 2023.

LE GREFFIER LE JUGE DES REFERES