Tribunal administratif de Nice

Ordonnance du 29 août 2023 n° 2105025

29/08/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 28 mars 2023, dans le cadre de l'instance n° 2105025 tendant, à titre principal, à la restitution de la somme de 104 483 euros et, à titre subsidiaire, à la décharge des rappels notifiés à hauteur de 870 691 euros, les sociétés Socri Promotions et Socri Immo, représentées par Me Dinh, soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité présentée en application des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58- 067 du 7 novembre 1958.

Elles demandent au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat, pour saisine du Conseil constitutionnel, la question de la conformité des dispositions de l'article 219 I a sexies-0 bis du code général des impôts en ce que, selon l'interprétation de l'administration fiscale, elles excluraient du bénéfice de la neutralisation les immeubles, même affectés à une activité de nature commerciale, dès lors que les entreprises concernées se livreraient en apparence à une activité civile de location.

Elles soutiennent que ces dispositions de l'article 219 I a sexies-0 bis du code général des impôts, telles qu'interprétées par l'administration fiscale sont contraires aux principes d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques qui découlent respectivement des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Par un mémoire enregistré le 15 juin 2023, la directrice de la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat.

Elle fait valoir que la demande est irrecevable et la question posée ne revêt pas de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier. Vu :

- la Constitution ;

- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment son article 23-1 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative. Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsqu'à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-2 de l'ordonnance susvisée du 7 novembre 1958 : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de moyen sérieux () ".

2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif, saisi d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question présente un caractère sérieux.

3. En posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d'Etat confère à cette disposition.

4. Les sociétés Socri Promotions et Socri Immo soulèvent une question prioritaire de constitutionnalité présentée en application des articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958. Elles demandent au tribunal de transmettre au Conseil d'Etat, pour saisine du Conseil constitutionnel, la question de la conformité des dispositions de l'article 219 I a sexies-0 bis du code général des impôts en ce que, selon l'interprétation de l'administration fiscale reprenant la jurisprudence du Conseil d'Etat, elles excluraient du bénéfice de la neutralisation les immeubles, même affectés à une activité de nature commerciale, dès lors que les entreprises concernées se livreraient en apparence à une activité civile de location.

5. Aux termes du I de l'article 219 du code général des impôts : " () a quinquies. Pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2006, le montant net des plus-values à long terme afférentes à des titres de participation fait l'objet d'une imposition séparée au taux de 8 %. Ce taux est fixé à 0 % pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2007. () a sexies-0 bis) Le régime des plus et moins-values à long terme cesse de s'appliquer à la plus ou moins- value provenant des cessions de titres de sociétés à prépondérance immobilière () Sont considérées comme des sociétés à prépondérance immobilière les sociétés dont l'actif est, à la date de la cession de ces titres ou a été à la clôture du dernier exercice précédant cette cession, constitué pour plus de 50 % de sa valeur réelle par des immeubles, des droits portant sur des immeubles, des droits afférents à un contrat de crédit-bail conclu dans les conditions prévues au 2 de l'article L. 313-7 du code monétaire et financier ou par des titres d'autres sociétés à prépondérance immobilière. Pour l'application de ces dispositions, ne sont pas pris en considération les immeubles ou les droits mentionnés à la phrase précédente lorsque ces biens ou droits sont affectés par l'entreprise à sa propre exploitation industrielle, commerciale ou agricole ou à l'exercice d'une profession non commerciale () ".

6. Les requérantes soutiennent que ces dispositions de l'article 219 I a sexies-0 bis du code général des impôts, telles qu'interprétées par l'administration fiscale, dans sa doctrine, BOI-BIC-CHAMP-60-20 n° 130 et n° 90 du 12 septembre 2012, sont contraires au principe d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques qui découlent respectivement des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen. En outre, elles font valoir que cette doctrine administrative reprend une abondante et constante jurisprudence du Conseil d'Etat, exposée notamment dans sa décision du 12 juillet 1969 n°75738.

7. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi () doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

8. En premier lieu, si tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu'une interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d'Etat confère à cette disposition en posant une question prioritaire de constitutionnalité, les requérantes ne peuvent en revanche contester la constitutionnalité de l'interprétation faite par l'administration fiscale dans sa doctrine d'une disposition législative.

9. En second lieu, si elles invoquent une interprétation jurisprudentielle constante du Conseil d'Etat conférée à l'article 219 I a sexies-0 bis du code général des impôts, elles se bornent à citer la seule décision du Conseil d'Etat n°75738 du 12 juillet 1969 sans démontrer la constance de cette interprétation jurisprudentielle et préciser la portée exacte de la décision invoquée. En outre, elles se bornent à faire valoir que l'interprétation jurisprudentielle contestée porte atteinte au principe d'égalité devant la loi fiscale et d'égalité devant les charges publiques qui découlent respectivement des articles 6 et 13 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen sans cependant assortir leur argumentation de précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la question posée ne présente pas de caractère sérieux et il n'est pas ainsi satisfait à la condition posée par l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

ORDONNE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les sociétés Socri Promotions et Socri Immo.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée aux sociétés Socri Promotions et Socri Immo et à l'administratrice générale des finances publiques, directrice de la direction du contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer.

Fait à Nice, le 29 août 2023.

La présidente de la 1ère chambre signé

V. Chevalier-Aubert

La République mande et ordonne au ministre de l'Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme, P/ la greffière en chef,

La greffière.