Tribunal administratif de Clermont-Ferrand

Ordonnance du 24 août 2023 n° 2202608

24/08/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 23 juin 2023, M. B A, représenté par l'AARPI Ad'Vocare, Me Gauché, demande au tribunal, à l'appui de sa requête tendant principalement à l'annulation la décision implicite de rejet née le 3 décembre 2022 du silence gardé par le préfet de la Haute-Loire sur sa demande d'abrogation de la décision du 30 août 2022 par laquelle la même autorité l'a interdit de retour sur le territoire français, de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Il soutient que :

- les dispositions des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont applicables au litige ;

- le Conseil constitutionnel s'était prononcé sur les dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais abrogé et repris dans les dispositions ici contestées ; le Conseil ne s'est toutefois pas prononcé sur la question de la constitutionnalité de ces dispositions lorsque de telles mesures sont prononcées à l'encontre d'un étranger convoqué par la justice pénale ;

- l'arrêt n° C420/20 du 15 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne constitue un changement de circonstance en ce qui concerne le prononcé des interdictions de retour sur le territoire français ;

- la question présente un caractère sérieux dès lors que ces dispositions méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- elle présente également un caractère sérieux au regard de l'arrêt n° C420/20 du 15 septembre 2022 de la Cour de justice de l'Union européenne.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juillet 2023, le préfet de la Haute-Loire conclut au rejet de la demande de transmission au Conseil d'Etat de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Il soutient que :

- les dispositions contestées ne sont pas applicables au litige dès lors qu'elles ne sont pas applicables aux refus d'abrogation d'une interdiction de retour sur le territoire ;

- le Conseil constitutionnel s'est déjà prononcé sur la conformité à la Constitution des dispositions en litige ; l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne ne constitue pas un changement de circonstance ;

- la question posée ne présente aucun caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution du 4 octobre 1958, notamment son article 61-1 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. D'une part, aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative :

" Les présidents de tribunal administratif () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé () ". Aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé () ". Et aux termes de l'article 23-2 de la même ordonnance : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux. () ".

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; 3° L'étranger s'est vu refuser la délivrance d'un titre de séjour, le renouvellement du titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de l'autorisation provisoire de séjour qui lui avait été délivré ou s'est vu retirer un de ces documents ; 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ; 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. / Lorsque, dans le cas prévu à l'article L. 431-2, un refus de séjour a été opposé à l'étranger, la décision portant obligation de quitter le territoire français peut être prise sur le fondement du seul 4°. ". Aux termes de l'article L. 611-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : 1° L'étranger mineur de dix-huit ans ; 2° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans, sauf s'il a été, pendant toute cette période, titulaire d'une carte de séjour temporaire ou pluriannuelle portant la mention " étudiant " ; 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de vingt ans ; 5° L'étranger qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans ; 6° L'étranger marié depuis au moins trois ans avec un conjoint de nationalité française, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessé depuis le mariage et que le conjoint ait conservé la nationalité française ; 7° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui est marié depuis au moins trois ans avec un ressortissant étranger relevant du 2°, à condition que la communauté de vie n'ait pas cessée depuis le mariage ; 8° L'étranger titulaire d'une rente d'accident du travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français et dont le taux d'incapacité permanente est égal ou supérieur à 20 % ; 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. / Par dérogation au présent article, l'étranger mentionné aux 2° à 8° peut faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de l'article L. 611-1 s'il vit en France en état de polygamie. ".

4. Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; 2° L'étranger s'est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, du document provisoire délivré à l'occasion d'une demande de titre de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ; 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet. ". Aux termes de l'article L. 612-6 du même code : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ".

5. Et aux termes de l'article L. 613-7 du même code : " L'autorité administrative peut à tout moment abroger l'interdiction de retour. / Lorsque l'étranger sollicite l'abrogation de l'interdiction de retour, sa demande n'est recevable que s'il justifie résider hors de France. Cette condition ne s'applique pas : 1° Pendant le temps où l'étranger purge en France une peine d'emprisonnement ferme ; 2° Lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure d'assignation à résidence prise en application des articles L. 731-1 ou L. 731-3. ".

6. Enfin, aux termes de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " Toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution ".

7. M. A soutient que les dispositions des articles L. 611-1, L. 611-3, L. 612-2 et L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile contreviennent aux dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Toutefois, les dispositions dont la constitutionnalité est contestée concernent l'adoption de décisions portant obligation de quitter le territoire, refus de délai de départ volontaire et interdiction de retour sur le territoire français et non l'abrogation des décisions portant interdiction de retour sur le territoire français régit par les dispositions de l'article L. 613-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ces dispositions ne s'appliquent ainsi pas au litige relatif à l'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français prononcée le 30 juin 2023 par le préfet de la Haute-Loire. Par suite, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le requérant ne satisfait pas à la condition posée par le 1° de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité formulée par M. A.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire soulevée par M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A et au préfet de la Haute-Loire.

Fait à Clermont-Ferrand, le 24 août 2023.

La présidente du tribunal,

S. BADER-KOZA

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Loire, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.JC

Code publication

D