Cour administrative d'appel de Marseille

Ordonnance du 16 août 2023 n° 23MA01439

16/08/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A E, M. C E, M. G E et Mme H E née F, ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler les décisions par lesquelles le ministre des affaires étrangères et l'office national des anciens combattants et victimes de guerre ont refusé de faire droit à leurs demandes d'indemnisation et de condamner l'Etat à leur verser, en leur qualité d'ayants-droits de M. I E et de Mme D E née B, la somme de 1 274 930 euros à titre de dommages et intérêts.

Par jugement n° 1905900 du 11 avril 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 juin 2023, sous le n° 23MA01439, M. E et autres, représentés par Me Marty-Etcheverry, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 11 avril 2023 ;

2°) d'annuler les décisions du ministre des affaires étrangères et de l'office national des anciens combattants et victimes de guerre refusant de faire droit à leurs demandes d'indemnisation ;

3°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 1 274 930 euros à titre de dommages et intérêts, sauf à parfaire ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 560 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct, enregistré le 22 juin 2023, M. E et autres, représentés par Me Marty-Etcheverry, demandent à la Cour, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1er de la loi n° 61-1463 du 26 décembre 1961.

Les requérants soutiennent que :

- les dispositions législatives contestées sont applicables à la procédure en cours ;

- ces dispositions n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;

- au regard des travaux préparatoires de la loi n° 61-1463 du 26 décembre 1961 et d'une consultation du doyen Vedel, l'article 1er de cette loi , sauf la réserve d'interprétation selon laquelle ce texte impose la réparation intégrale du préjudice subi, méconnaît le droit pour les victimes à compensation, consacré par l'article 12 du Préambule de 1946, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le respect des situations légalement acquises, garanti par son article 16.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 61-1463 du 26 décembre 1961 ;

- la loi n° 70-632 du 15 juillet 1970 ;

- la loi n° 78-1 du 2 janvier 1978 ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 771-7 du code de justice administrative : " () les présidents de formation de jugement des tribunaux () peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité. ".

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine les conditions d'application du présent article ". Et aux termes de l'article 23-1 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Devant les juridictions relevant du Conseil d'État (), le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé. Un tel moyen peut être soulevé pour la première fois en cause d'appel. Il ne peut être relevé d'office ". L'article 23-2 de la même ordonnance ajoute que : " La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionalité au Conseil d'État ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : / 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; / 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; / 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux ".

3. Aux termes de l'article 1er de la loi du 26 décembre 1961 relative à l'accueil et à la réinstallation des Français d'outre-mer : " Les Français, ayant dû ou estimé devoir quitter, par suite d'évènements politiques, un territoire où ils étaient établis et qui était antérieurement placé sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France, pourront bénéficier de la solidarité nationale affirmée par le préambule de la constitution de 1946, dans les conditions prévues par la présente loi. () ".

4. Les requérants font valoir que ces dispositions, dans l'hypothèse où elles ne prévoiraient pas une réparation intégrale du préjudice subi par les Français dépossédés de leurs biens en Algérie, méconnaîtraient le principe de solidarité nationale reconnu par l'article 12 du Préambule de 1946, le principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 et le respect des droits et des situations légalement acquises, garanti par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789. Toutefois, en se bornant à citer, d'une façon générale, les travaux préparatoires de la loi du 26 décembre 1961 et une consultation du doyen Vedel, les requérants n'assortissent pas leur question de précisions suffisantes permettant d'apprécier en quoi les dispositions de l'article 1er de cette loi, qui a pour objet d'affirmer le principe selon lequel les Français d'outre-mer pourront bénéficier de la solidarité nationale, serait contraire aux droits et principes susmentionnés.

5. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité des dispositions contestées aux articles 13 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et à l'article 12 du Préambule de 1946 ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a dès lors pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. E et autres.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A E, M. C E, M. G E et Mme H E née F.

Copie en sera adressée à l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre, au ministre des armées et à la ministre de l'Europe et des affaires étrangères.

Fait à Marseille, le 16 août 2023.

2 QPC

Code publication

D