Conseil d'Etat

Décision du 4 août 2023 n° 474456

04/08/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Makes Dreams Happen a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris d'ordonner, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de la décision du 15 février 2023 par laquelle le centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) lui a refusé l'octroi de l'agrément définitif pour le jeu " Tau station " au titre du crédit d'impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo prévu par l'article 220 terdecies du code général des impôts et d'enjoindre au CNC de lui accorder cet agrément dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2309555/5 du 9 mai 2023, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 mai et 1er juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SAS Makes Dreams Happen demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge du CNC la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 751-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire distinct et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 1er, 20 et 27 juin 2023, la SAS Makes Dreams Happen demande au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de son pourvoi, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 220 X du code général des impôts, en ce qu'elles prévoient un délai maximal de trente-six mois, à compter de l'agrément provisoire d'une demande de crédit d'impôt pour dépenses de création de jeux vidéo, pour la délivrance par le président du Centre national du cinéma et de l'image animée de l'agrément définitif.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la Société Makes Dreams Happen ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Paris que la SAS Makes Dreams Happen, qui exerce l'activité de programmation informatique et avait obtenu, le 4 juillet 2018, un agrément provisoire auprès du centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) lui permettant de bénéficier du crédit d'impôt en faveur des créateurs de jeux vidéo prévu par l'article 220 terdecies du code général des impôts pour le jeu " Tau station ", a déposé, le 4 mars 2022, une demande d'agrément définitif. Par décision du 15 février 2023, le CNC a rejeté cette demande. La SAS Makes Dreams Happen se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 9 mai 2023 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-1 du même code, tendant à la suspension de l'exécution de cette décision.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

2. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu'elle soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 220 terdecies du code général des impôts : " I. - Les entreprises de création de jeux vidéo soumises à l'impôt sur les sociétés ou exonérées en application des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 octies A, 44 duodecies, 44 quindecies, 44 sexdecies et 44 septdecies peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses mentionnées au IV qu'elles exposent en vue de la création de jeux vidéo agréés. (). " Aux termes de l'article 220 X du même code : " Le crédit d'impôt défini à l'article 220 terdecies est imputé sur l'impôt sur les sociétés dû par l'entreprise au titre de l'exercice au cours duquel l'entreprise a exposé les dépenses. Si le montant du crédit d'impôt excède l'impôt dû au titre de cet exercice, l'excédent est restitué. L'excédent de crédit d'impôt constitue au profit de l'entreprise une créance sur l'Etat d'un montant égal. Cette créance est inaliénable et incessible, sauf dans les conditions prévues par les articles L. 313-23 à L. 313-35 du code monétaire et financier. En cas de non-obtention de l'agrément définitif dans un délai de trente-six mois ou de soixante-douze mois, pour les jeux dont le coût de développement est supérieur à 10 millions d'euros, à compter de l'agrément provisoire, l'entreprise doit reverser le crédit d'impôt dont elle a bénéficié./ A défaut, le crédit d'impôt fait l'objet d'une reprise au titre de l'exercice au cours duquel intervient la décision de refus de l'agrément définitif./ En cas de dépassement du délai de trente-six mois pour l'obtention de l'agrément définitif pour les jeux dont le coût de développement est supérieur à 10 millions d'euros, l'entreprise reverse le crédit d'impôt obtenu au titre de dépenses exposées antérieurement à la période de trente-six mois qui précède la date de délivrance de l'agrément définitif./ A défaut, le crédit d'impôt fait l'objet d'une reprise au titre de l'exercice au cours duquel intervient la délivrance de l'agrément définitif./ Les conditions d'application du présent article, notamment celles relatives à la délivrance de l'agrément définitif, sont fixées par décret. "

4. Il résulte de ces dispositions, qui sont applicables au litige, que les entreprises de création de jeux vidéo qui ont obtenu un agrément provisoire du président du Centre national du cinéma et de l'image animée bénéficient d'un crédit d'impôt correspondant à une fraction des dépenses qu'elles ont exposées, mais qu'elles doivent, pour en conserver le bénéfice, obtenir un agrément définitif dans un délai maximal de trente-six mois suivant l'obtention de l'agrément provisoire. L'agrément est en effet destiné à vérifier le respect des diverses conditions auxquelles est subordonné cet avantage fiscal. Le non-respect du délai impose à l'entreprise concernée le reversement du crédit d'impôt qui lui a été accordé.

5. Il appartient à l'entreprise souhaitant bénéficier du crédit d'impôt institué par l'article 220 terdecies du code général des impôts de déterminer, en tenant compte des conditions de développement de son projet de jeu vidéo et des délais prévisibles d'instruction par l'administration, la date à compter de laquelle elle entend demander l'agrément provisoire, puis l'agrément définitif, afin d'éviter que l'expiration du délai maximal de trente-six mois prévu par la loi entre ces deux agréments n'aboutisse au reversement de l'avantage obtenu au titre de l'agrément provisoire. Il appartient à l'administration, saisie par le contribuable d'une demande d'agrément provisoire ou définitif, d'instruire cette demande dans des délais raisonnables. A supposer qu'il soit nécessaire de prévoir des règles encadrant et précisant ces délais, celles-ci ne ressortissent pas de la compétence du législateur. Par ailleurs, l'affirmation de la requérante selon laquelle le délai de trente-six mois serait excessivement difficile à respecter n'est, en tout état de cause, pas sérieusement étayée. Enfin, un éventuel refus d'agrément définitif peut être contesté devant le juge administratif, le cas échéant dans le cadre d'une procédure d'urgence. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions législatives contestées méconnaissent le droit de propriété et la garantie des droits ni qu'elles sont entachées d'une incompétence négative de nature à affecter ces droits et libertés et la liberté d'entreprendre

6. Il résulte de tout ce qui précède que la question de constitutionnalité soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a, par suite, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens du pourvoi :

7. Aux termes de l'article L. 822-1 du code de justice administrative : " Le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat fait l'objet d'une procédure préalable d'admission. L'admission est refusée par décision juridictionnelle si le pourvoi est irrecevable ou n'est fondé sur aucun moyen sérieux ".

8. Pour demander l'annulation de l'ordonnance qu'elle attaque, la SAS Makes Dreams Happen soutient que le juge des référés du tribunal administratif de Paris :

- l'a entachée d'irrégularité, en premier lieu, en omettant de la signer, en second lieu, en omettant de mentionner la date de l'audience publique, en troisième lieu, en se fondant, pour motiver l'absence d'urgence en méconnaissance du caractère contradictoire de l'instruction, sur un argument présenté par la partie adverse à l'appui d'une demande de substitution de motifs à laquelle la société requérante n'avait pas été mise à même de présenter ses observations et en quatrième lieu, en la motivant insuffisamment faute d'avoir répondu à tous ses moyens et arguments ;

- l'a entachée d'erreur de droit et dénaturé les faits et pièces du dossier en se fondant, pour juger que la société requérante ne justifiait pas d'éléments suffisants pour caractériser une situation d'urgence, sur la date à laquelle avait été présentée la demande d'agrément définitif, les modalités de la procédure de reprise du crédit d'impôt en exécution de la décision litigieuse, ainsi que l'absence de lien direct de causalité entre cette décision et la situation financière et commerciale de la société dont elle faisait état dans sa requête en référé ;

- l'a entachée d'erreur de droit en interprétant les dispositions de l'article 220 X du code général des impôts comme imposant à l'entreprise ayant bénéficié d'un agrément provisoire d'obtenir un agrément définitif dans un délai de trente-six mois, et non simplement de présenter sa demande d'agrément définitif dans ce délai.

9. Aucun de ces moyens n'est de nature à permettre l'admission du pourvoi.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la SAS Makes Dreams Happen.

Article 2 : Le pourvoi de la SAS Makes Dreams Happen n'est pas admis.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SAS Makes Dreams Happen et à la ministre de la culture.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au centre national du cinéma et de l'image animée et au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 4 août 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia SediangM4ZTQ5TJ

Code publication

C