Conseil d'Etat

Décision du 4 août 2023 n° 466826

04/08/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 août 2022 et 2 mai 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association de défense des libertés fondamentales et M. A B demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir, pour un motif de légalité interne, la décision implicite par laquelle la Première ministre a rejeté leur demande tendant au retrait du décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 modifiant le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de crise sanitaire et du décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19, en tant qu'ils prévoient une obligation vaccinale pour les sapeurs-pompiers professionnels et volontaires, à la réintégration, pour la lutte contre les feux de forêts, des sapeurs-pompiers suspendus, et à ce que soit apportée la preuve de ce que les sapeurs-pompiers étrangers intervenant en France satisfont complètement à l'obligation vaccinale ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir, pour un motif de légalité interne, le même décret du 30 juillet 2022 ;

3°) subsidiairement, d'annuler pour excès de pouvoir ce même décret et cette même décision ;

4°) subsidiairement, d'annuler pour excès de pouvoir ce même décret et cette même décision de la Première ministre en tant qu'ils ne prévoient pas d'exception pour la lutte contre les feux de forêts pendant l'épisode caniculaire de l'été 2022 ;

5°) subsidiairement, d'abroger, pour un motif de légalité interne, ce même décret et cette même décision ;

6°) d'enjoindre à la Première ministre d'évaluer la nécessité de l'obligation vaccinale imposée aux sapeurs- pompiers professionnels et volontaires, sous astreinte de 400 euros par jour de retard ;

7°) d'enjoindre à la Première Ministre, sous astreinte de 400 euros par jour de retard, de réintégrer l'ensemble des soignants et personnes assimilées avec le versement rétroactif de leurs traitements et droits accessoires depuis leur suspension ;

8°) de mettre la somme de 4 500 euros à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel n° 12 ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (UE) 2021/953 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2021;

- le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 ;

- la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 ;

- le code civil ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la santé publique ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- la loi n° 2022-1089 du 30 juillet 2022 ;

- le décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 ;

- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021 ;

- le décret n° 2022-1097 du 30 juillet 2022 ;

- le décret n° 2023-368 du 13 mai 2023 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Les mesures de santé publique destinées à prévenir la circulation du virus de la covid-19 prises dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire ont été remplacées, après l'expiration de celui-ci le 1er juin 2021, par celles de la loi du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire. Le décret du 1er juin 2021 prescrivant les mesures générales nécessaires à la gestion de la sortie de la crise sanitaire en a fixé certaines modalités d'application. La loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a institué une obligation de vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication, pour certaines catégories de personnes, dont les sapeurs-pompiers. Le décret du 7 août 2021 a modifié le décret du 1er juin 2021 pour définir notamment les justificatifs et les cas de contre-indication. La loi du 30 juillet 2022 a mis fin aux régimes d'exception créés pour lutter contre l'épidémie de covid-19. En revanche, les dispositions de la loi du 5 août 2021 relatives à l'obligation vaccinale sont demeurées en vigueur. Le décret du 30 juillet 2022 relatif aux mesures de veille et de sécurité sanitaire maintenues en matière de lutte contre la covid-19 a abrogé le décret du 1er juin 2021 et fixé à nouveau, notamment, les conditions de vaccination et la liste des contre-indications.

2. L'association de défense des libertés fondamentales et M. B doivent être regardés comme ayant demandé à la Première ministre, par un courrier du 15 août 2022, de retirer les décrets des 7 août 2021 et 30 juillet 2022 en tant qu'ils sont relatifs aux sapeurs-pompiers professionnels et volontaires. Ils lui ont demandé en outre la " réintégration ", pour la lutte contre les feux de forêts de l'été 2022, des sapeurs-pompiers suspendus, et la preuve de ce que les sapeurs-pompiers étrangers intervenant en France satisfont complètement à l'obligation vaccinale. Ils demandent au Conseil d'Etat d'annuler la décision de refus née du silence gardé sur leurs demandes ainsi que le décret du 30 juillet 2022. Ils demandent, subsidiairement, l'annulation de ces mêmes actes en tant qu'ils ne prévoyaient pas d'exception pour les besoins de la campagne de lutte contre les feux de forêts de l'été 2022. Ils demandent, à défaut, l'abrogation de ces mêmes actes. Ils demandent enfin qu'il soit enjoint à la Première ministre, d'une part d'évaluer la nécessité de l'obligation vaccinale imposée aux sapeurs-pompiers et, d'autre part, de réintégrer " l'ensemble des soignants et assimilés avec le versement rétroactif de leurs traitements et droits accessoires depuis leur suspension ".

Sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction :

3. En premier lieu, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le Premier ministre aurait entaché sa décision d'illégalité en refusant de retirer le décret du 7 août 2021, dès lors, d'une part, qu'un acte réglementaire ne peut être retiré, à la condition d'être illégal, que dans le délai de quatre mois suivant son édiction et, d'autre part, qu'à supposer qu'une telle demande doive être regardée comme tendant à l'abrogation du décret, celui-ci avait déjà été abrogé à la date à laquelle la demande est intervenue.

4. En deuxième lieu, le moyen tiré de ce que l'étude d'impact du projet devenu loi du 5 août 2021 et celle du projet devenu loi du 30 juillet 2022 auraient été incomplètes est, en tout état de cause, inopérant contre les actes attaqués.

 

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 2 du décret du 30 juillet 2022, le justificatif du statut vaccinal ne peut procéder que de l'administration " a) de l'un des vaccins contre la covid-19 ayant fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché délivrée par la Commission européenne après évaluation de l'Agence européenne du médicament ou dont la composition et le procédé de fabrication sont reconnus comme similaires à l'un de ces vaccins par l'Agence nationale de sécurité des médicaments et des produits de santé " ou " b) d'un vaccin dont l'utilisation a été autorisée par l'Organisation mondiale de la santé et ne bénéficiant pas de l'autorisation ou de la reconnaissance mentionnées au a), à condition que toutes les doses requises aient été reçues, sept jours après l'administration d'une dose complémentaire d'un vaccin à acide ribonucléique (ARN) messager bénéficiant d'une telle autorisation ou reconnaissance ". Contrairement à ce qui est soutenu, ces dispositions n'ont pas pour effet d'imposer l'administration d'un vaccin qui n'aurait pas fait l'objet d'une autorisation de mise sur le marché dans les conditions fixées par le règlement (CE) n° 507/2006 de la Commission du 29 mars 2006 relatif à l'autorisation de mise sur le marché conditionnelle de médicaments à usage humain relevant du règlement (CE) n° 726/2004 du Parlement européen et du Conseil. En vertu de ce même règlement, l'autorisation ne peut être accordée que si le rapport bénéfice/risque est positif, quand bien même s'accompagne-t-elle d'une poursuite des études et d'un dispositif de pharmacovigilance destiné à surveiller les éventuels effets indésirables. L'Agence européenne du médicament procède à un contrôle strict des vaccins afin de garantir que ces derniers répondent aux normes européennes en matière de sécurité, d'efficacité et de qualité et soient fabriqués et contrôlés dans des installations agréées. Il ressort des avis scientifiques alors disponibles que la vaccination offre une protection de l'ordre de 90 % contre les formes graves de la maladie et réduit fortement les risques de transmission du virus, même si quelques incertitudes s'étaient fait jour sur ce second point, tandis que les effets indésirables sont trop limités pour compenser ces bénéfices. Ainsi, les moyens tirés de ce que les vaccins seraient trop peu efficaces et comporteraient des risques excessifs doivent être écartés.

6. En quatrième lieu, le I de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, qui soumet à l'obligation de vaccination contre la covid-19, sauf contre-indication médicale reconnue, notamment " 6° Les sapeurs-pompiers et les marins-pompiers des services d'incendie et de secours ", a intégralement fixé le champ d'application de l'obligation vaccinale. De même, son article 14 détermine les conséquences de la méconnaissance de l'obligation, en prévoyant la suspension des agents publics concernés. Le décret du 30 juillet 2022 se borne à prévoir, pour les agents soumis à une obligation de vaccination, les éléments permettant d'établir un certificat de statut vaccinal, les modalités de présentation de ce document et les éléments permettant d'établir et de contrôler le résultat d'un examen de dépistage virologique ne concluant pas à la contamination par la covid-19 ainsi que d'un certificat de rétablissement. La situation épidémique connaissait, à la date d'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale édictée par la loi du 5 août 2021, une dégradation rapide et le IV de l'article 12 de cette loi prévoit que l'obligation vaccinale doit être suspendue par décret lorsqu'elle n'est plus justifiée. Les sapeurs-pompiers sont, eu égard à leurs missions de secours aux personnes, en contact avec des publics vulnérables. Par suite, et eu égard en outre à ce qui a été dit au point précédent quant aux bénéfices et aux risques des vaccins, les requérants ne sont, en tout état de cause, pas fondés à soutenir, à l'encontre du décret attaqué, que les dispositions législatives relatives à l'obligation vaccinale porteraient une atteinte excessive à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ou le droit de l'Union européenne. Les moyens tirés de ce que ces mêmes dispositions législatives seraient contraires à des principes constitutionnels ne pourraient, au surplus, être utilement soulevés que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

7. En cinquième lieu, si le décret attaqué fixe la liste des contre-indications à la vaccination, il ne ressort pas des pièces du dossier que le pouvoir réglementaire n'aurait pas tenu compte des données acquises de la science. Il résulte des dispositions des articles L. 1110-1 et L. 1110-5 du code de la santé publique que le professionnel de santé amené à apprécier si la personne en cause peut être vaccinée doit s'assurer que l'acte ne lui fait pas courir un risque disproportionné par rapport au bénéfice escompté, en vérifiant en particulier 1'absence de contre-indication médicale reconnue. En outre, il appartient au Premier ministre, notamment en vertu du IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, d'actualiser cette liste compte tenu de l'évolution des connaissances médicales et scientifiques. Par suite, les requérants ne sont en tout état de cause pas fondés à soutenir que le pouvoir réglementaire aurait, en ne laissant pas les contre-indications médicales à l'appréciation individuelle de chaque médecin, méconnu l'étendue de sa compétence.

8. En sixième lieu, le IV de l'article 12 de la loi du 5 août 2021, déjà mentionné au point 6, dispose que, lorsque, au regard de l'évolution de la situation épidémiologique ou des connaissances médicales et scientifiques, telles que constatées par la Haute Autorité de santé, l'obligation vaccinale n'est plus justifiée, celle-ci est suspendue par décret, pour tout ou partie des catégories de personnes qui y sont soumises. Dans son avis du 21 juillet 2022, la Haute Autorité de santé a relevé que la situation épidémique était alors caractérisée par une septième vague, que l'augmentation du taux d'incidence de la Covid-19 commençait à ralentir mais se maintenait à un niveau très élevé, avec une hausse marquée des admissions à l'hôpital, des admissions en soins critiques et des décès. Elle a estimé que la situation n'était pas de nature à remettre en cause l'obligation vaccinale. Si ultérieurement, dans sa recommandation du 29 mars 2023, la Haute autorité de santé, prenant en compte de nouvelles circonstances, a estimé possible la levée de l'obligation, tout en ajoutant que la vaccination devait être " fortement recommandée ", notamment pour les sapeurs-pompiers, cet avis est sans incidence sur la légalité du décret du 30 juillet 2022 à la date à laquelle il a été pris et sur celle de la décision de la Première ministre refusant de le retirer. Il ne peut donc être utilement invoqué à l'appui d'une demande d'annulation. Au demeurant, la Haute autorité de santé a précisé que " cette préconisation de lever l'obligation de vaccination contre la Covid-19 ne constitue en rien une remise en question de ses précédents avis et recommandations rendus dans des contextes sanitaires et épidémiques différents ".

9. En outre, le but poursuivi par la vaccination obligatoire n'est pas seulement de répondre, à un instant donné, à une vague épidémique, mais aussi d'obtenir un effet d'une certaine durée, y compris en prévision de vagues futures. Le Gouvernement pouvait donc estimer qu'il n'était pas opportun de lever l'obligation vaccinale de manière intermittente et occasionnelle, en l'espèce pour la seule durée et le seul besoin des opérations de l'été 2022. A cet égard, les sapeurs-pompiers qui étaient venus, pour un renfort de courte durée, de pays dont les autorités avaient fait un choix différent quant à la définition des catégories soumises à l'obligation vaccinale n'étaient, en tout état de cause, pas dans la même situation que les sapeurs-pompiers français.

10. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en refusant de lever l'obligation vaccinale pour la campagne de l'été 2022, la Première ministre aurait méconnu les droits et libertés invoqués, le principe d'égalité et l'interdiction des discriminations, ni qu'elle aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, ni encore qu'elle aurait dû présenter aux requérants la preuve de ce que les personnels étrangers venus en renfort étaient vaccinés.

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 10 que les conclusions aux fins d'annulation, y compris celles dirigées contre le refus mettre fin à la suspension des sapeurs-pompiers non vaccinés, doivent être rejetées.

Sur les conclusions aux fins d'abrogation :

12. Pour soutenir que les actes contestés seraient devenus aujourd'hui illégaux en raison d'un changement de circonstances, les requérants invoquent la recommandation de la Haute autorité de santé en date du 29 mars 2023, par laquelle, ainsi qu'il a été dit au point 8, elle a estimé dorénavant possible la levée de l'obligation vaccinale. Toutefois, ce changement de circonstances a conduit à l'intervention du décret du 13 mai 2023 relatif à la suspension de l'obligation de vaccination contre la covid-19, qui a suspendu cette obligation. Il s'ensuit que les conclusions aux fins d'abrogation ne peuvent être accueillies.

13. Il résulte de tout ce qui précède que la requête doit être rejetée, y compris, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association de défense des libertés fondamentales et de M. B est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association de défense des libertés fondamentales, premier requérant dénommé, pour l'ensemble des requérants, et au ministre de la santé et de la prévention.

Copie en sera adressée à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 13 juillet 2023 où siégeaient : M. Bertrand Dacosta, président de chambre, présidant ; Mme Nathalie Escaut, conseillère d'Etat et M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 4 août 2023.

Le président :

Signé : M. Bertrand Dacosta

Le rapporteur :

Signé : M. Bruno Delsol

La secrétaire :

Signé : Mme Chloé-Claudia Sediang

Code publication

C