Conseil d'Etat

Décision du 2 août 2023 n° 467370

02/08/2023

Renvoi

CONSEIL D'ETAT VP

statuant

au contentieux

N° 467370

ASSOCIATION MEUSE NATURE

ENVIRONNEMENT et autres

Mme Catherine Moreau Rapporteure

M. Stéphane Hoynck Rapporteur public

REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 6ème et 5ème chambres réunies)

Sur le rapport de la 6ème chambre de la Section du contentieux

Séance du 5 juillet 2023

Décision du 2 août 2023

Vu la procédure suivante :

Par un mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 12 mai et 29 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l'association Meuse nature environnement, l'association Abolition des armes nucléaires-Maison de Vigilance, l'association Arrêt du Nucléaire 34 (ADN 34), l'association pour la sensibilisation de l'opinion sur les dangers de l'enfouissement des déchets radioactifs (ASODEDRA), l'association "l'Assoce Tomate", l'association "Groupe ATTAC Vosges" (action pour la taxation des transactions pour l'aide aux citoyens), l'association ATTAC (action pour la taxation des transactions pour l'aide aux citoyens), l'association Collectif meusien contre l'enfouissement des déchets radioactifs (BURESTOP 55), l'association Bure zone libre (BZL), l'association Collectif d'action contre l'enfouissement des déchets radioactifs (CACENDR), l'association Collectif contre l'enfouissement des déchets radioactifs / Haute-Marne (CEDRA 52), le syndicat Confédération paysanne de Meurthe-et-Moselle, le syndicat Confédération paysanne de la Haute-Marne, le syndicat Confédération paysanne de la Meuse, le syndicat Confédération paysanne départementale des Vosges, le syndicat Confédération paysanne régionale du Grand Est, le syndicat Confédération paysanne, l'association des élus de Lorraine et Champagne-Ardenne opposés à l'enfouissement des déchets radioactifs et favorables à un développement durable (EODRA), l'association France Nature Environnement, l'association Champagne Ardenne Nature Environnement (CANE), l'association Nature Haute Marne (NHM), l'association Global Chance, l'association Greenpeace France, l'association Les Semeuses, l'association Réseau "Sortir du nucléaire", l'association Sortir du Nucléaire 72 (SDN 72), l'association des habitants vigilants du canton de Gondrecourt-le-Château (HVG), l'association STOP Nucléaire en Drôme-Ardèche (SN 2607), l'association Stop Transports-Halte au nucléaire (STHN), l'association Tchernoblaye, l'association Vosges Alternatives au nucléaire (VAN), l'Association Vosges Nature Environnement (VNE), M. Antoine C., M. Laurent B., Mme Catherine B.,

M. Jean-François B., Mme Marie-Eve B. L., M. Eric C., Mme Bénédicte C. G., M. Séraphin C., Mme Alice C. C., M. Jean-Jacques D., Mme Marie D. L., Mme Chryssie E. B., M. Michel F., M. Michel L., Mme Danielle L. R., Mme Claudine L. L., M. David L., Mme Ghislaine L. M., M. René M., Mme Germaine N. K., Mme Eliane P. K., M. Serge P., M. Jean-Claude P., M. Alain P., Mme Juliette R. R., M. Bernard R., Mme Françoise R. G., M. Jean-Pierre S. et M. Adel T. demandent au Conseil d'Etat, en application de l’article 23-5 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l’appui de leur requête tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2022-993 du 7 juillet 2022 déclarant d’utilité publique le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue Cigéo et mise en compatibilité du schéma de cohérence territoriale du Pays Barrois, du plan local d’urbanisme intercommunal de la Haute-Saulx et du plan local d’urbanisme de Gondrecourt-le-Château (Meuse), de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement.

Ils soutiennent que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent le droit des générations futures de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, garanti par le considérant 7 et l’article 1er de la Charte de l’environnement, le principe de solidarité intergénérationnelle, garanti par les articles 2, 3 et 4 de la Charte de l’environnement, éclairés par son préambule, et le principe de fraternité transgénérationnelle, garanti par le Préambule et les article 2 et 72-3 de la Constitution.

Par un mémoire, enregistré le 16 juin 2023, l’Agence nationale de gestion des déchets radioactifs soutient que les conditions posées par l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier que la question prioritaire de constitutionnalité n’est ni nouvelle ni sérieuse.

Par un mémoire, enregistré le 27 juin 2023, le ministre de la transition écologique soutient que les conditions posées par l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies, et, en particulier que la question prioritaire de constitutionnalité n’est ni nouvelle ni sérieuse.

La question a été transmise à la Première ministre, qui n’a pas produit de

mémoire.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l’environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service

extraordinaire,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Zribi et Texier, avocat de l’association Meuse Nature Environnement et autres, et à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et associés, avocat de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : « Le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (…) à l’occasion d’une instance devant le Conseil d’Etat (…) ». Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement : « Un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs est une installation nucléaire de base. / La réversibilité est la capacité, pour les générations successives, soit de poursuivre la construction puis l'exploitation des tranches successives d'un stockage, soit de réévaluer les choix définis antérieurement et de faire évoluer les solutions de gestion. / La réversibilité est mise en œuvre par la progressivité de la construction, l'adaptabilité de la conception et la flexibilité d'exploitation d'un stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs permettant d'intégrer le progrès technologique et de s'adapter aux évolutions possibles de l'inventaire des déchets consécutives notamment à une évolution de la politique énergétique. Elle inclut la possibilité de récupérer des colis de déchets déjà stockés selon des modalités et pendant une durée cohérentes avec la stratégie d'exploitation et de fermeture du stockage. / Le caractère réversible d'un stockage en couche géologique profonde doit être assuré dans le respect de la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1. Des revues de la mise en œuvre du principe de réversibilité dans un stockage en couche géologique profonde sont organisées au moins tous les cinq ans, en cohérence avec les réexamens périodiques prévus à l'article L. 593-18. /Afin de garantir la participation des citoyens tout au long de la vie d'une installation de stockage en couche géologique profonde, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs élabore et met à jour, tous les cinq ans, en concertation avec l'ensemble des parties prenantes et le public, un plan directeur de l'exploitation de celle-ci. / L'exploitation du centre débute par une phase industrielle pilote permettant de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l'installation, notamment par un programme d'essais in situ. Tous les colis de déchets doivent rester aisément récupérables durant cette phase. La phase industrielle pilote comprend des essais de récupération de colis de déchets. / Par dérogation aux règles applicables aux autres installations nucléaires de base : / – la demande d'autorisation de création doit concerner une couche géologique ayant fait l'objet d'études au moyen d'un laboratoire

souterrain ; / – les deux dernières phrases du III de l'article L. 593-6, le second alinéa du III de l'article L. 593-7 et l'article L. 593-17 ne s'appliquent qu'à compter de la délivrance de l'autorisation de mise en service mentionnée à l'article L. 593-11. Celle-ci ne peut être accordée que si l'exploitant est propriétaire des terrains servant d'assiette aux installations de surface et des tréfonds contenant les ouvrages souterrains ou s'il a obtenu l'engagement du propriétaire des terrains de respecter les obligations qui lui incombent en application de l'article L. 596-5 ;

/ - pour l'application du titre IX du présent livre, les tréfonds contenant les ouvrages souterrains peuvent tenir lieu de terrain servant d'assiette pour ces ouvrages ; / – le dépôt de la demande d'autorisation de création du centre est précédé d'un débat public au sens de l'article L. 121-1 sur la base d'un dossier réalisé par l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs créée à l'article L. 542-12. Le délai de cinq ans mentionné à l'article L. 121-12 est porté à dix ans. Le présent alinéa ne s'applique pas aux nouvelles autorisations mentionnées à l'article L. 593-14 relatives au centre ; / – la demande d'autorisation de création du centre donne lieu à un rapport de la commission nationale mentionnée à l'article L. 542-3, à un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire et au recueil de l'avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret ; / – la demande est transmise, accompagnée du compte rendu du débat public, du rapport de la commission nationale mentionnée à l'article L. 542-3 et de l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l'évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat ; / – lors de l'examen de la demande d'autorisation de création, la sûreté du centre est appréciée au regard des différentes étapes de sa gestion, y compris sa fermeture définitive. Seule une loi peut autoriser celle-ci. L'autorisation fixe la durée minimale pendant laquelle, à titre de précaution, la réversibilité du stockage doit être assurée. Cette durée ne peut être inférieure à cent ans. L'autorisation de création du centre est délivrée par décret en Conseil d'Etat, pris selon les modalités définies à l'article L. 593-8, sous réserve que le projet respecte les conditions fixées au présent article ; / – l'autorisation de mise en service mentionnée à l'article L. 593-11 est limitée à la phase industrielle pilote. / Les résultats de la phase industrielle pilote font l'objet d'un rapport de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, d'un avis de la commission mentionnée à l'article L. 542-3, d'un avis de l'Autorité de sûreté nucléaire et du recueil de l'avis des collectivités territoriales situées en tout ou partie dans une zone de consultation définie par décret. / Le rapport de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, accompagné de l'avis de la commission nationale mentionnée au même article L. 542-3 et de l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire est transmis à l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, qui l'évalue et rend compte de ses travaux aux commissions compétentes de l'Assemblée nationale et du Sénat ; / – le Gouvernement présente un projet de loi adaptant les conditions d'exercice de la réversibilité du stockage et prenant en compte, le cas échéant, les recommandations de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques ; / – l'Autorité de sûreté nucléaire délivre l'autorisation de mise en service complète de l'installation. Cette autorisation ne peut être délivrée à un centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs ne garantissant pas la réversibilité de ce centre dans les conditions prévues par la loi ». Les dispositions de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement sont applicables au litige au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.

3. L’association Meuse Nature Environnement et autres soutiennent que les dispositions de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement méconnaissent les droits et libertés garantis par la Constitution, en invoquant, à l’appui de leur question prioritaire de constitutionnalité, d’une part, un droit des générations futures de vivre dans un environnement

équilibré et respectueux de la santé et un principe de solidarité entre les générations, qui résulteraient de la combinaison des articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement avec les considérants 1er et 7 de son préambule, ainsi que, d’autre part, un principe de fraternité entre les générations, qui résulterait du Préambule et des articles 2 et 72-3 de la Constitution, également combinés avec le préambule de la Charte de l’environnement. Ce moyen soulève une question nouvelle au sens de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel. Il y a lieu, dans ces conditions, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement.

D E C I D E :

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article L. 542-10-1 du code de l’environnement est renvoyée au Conseil constitutionnel.

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de l’association Meuse Nature Environnement et autres jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité qui lui est renvoyée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l’association Meuse Nature Environnement, première dénommée pour l’ensemble des requérants, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, à la ministre de la transition énergétique et à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et à la Première ministre.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva,

M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Catherine Moreau, conseillère d'Etat en service extraordinaire-rapporteure

Rendu le 2 août 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Catherine Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :