Conseil d'Etat

Décision du 2 août 2023 n° 454045

02/08/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire distinct, enregistré le 8 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités (SESAM LLD) demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat ou d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 224-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

Le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités soutient que ces dispositions, applicables au litige, méconnaissent la liberté du commerce et de l'industrie et la liberté d'entreprendre ainsi que le principe d'égalité garantis respectivement par les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Par des observations en défense, enregistrées le 28 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut qu'il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, au cabinet Rousseau, Tapie, avocat du syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Sur le fondement de ces dispositions, le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD (location longue durée) et des mobilités demande, à l'appui du recours pour excès de pouvoir qu'il a formé contre le décret n° 2021-515 du 29 avril 2021 relatif aux obligations d'achat ou d'utilisation de véhicules de poids total autorisé en charge inférieur ou égal à 3,5 tonnes à faibles ou à très faibles émissions par les entreprises, que soit renvoyée au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 224-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités.

3. Aux termes de l'article L. 224-10 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date du décret attaqué, " Les entreprises qui gèrent directement ou indirectement, au titre de leurs activités relevant du secteur concurrentiel, un parc de plus de cent véhicules automobiles dont le poids total autorisé en charge est inférieur ou égal à 3,5 tonnes acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules définis au V de l'article L. 224-7 dans la proportion minimale : / 1° De 10 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2022 ; / 2° De 20 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2024 ; / 3° De 35 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2027 ; / 4° De 50 % de ce renouvellement à partir du 1er janvier 2030. / Les entreprises qui gèrent directement ou indirectement, au titre de leurs activités relevant du secteur concurrentiel, un parc de plus de cent cyclomoteurs et motocyclettes légères, de puissance maximale supérieure ou égale à 1 kilowatt, acquièrent ou utilisent, lors du renouvellement annuel de leur parc, des véhicules définis au troisième alinéa de l'article L. 318-1 du code de la route dans la proportion minimale définie aux 1° à 4° du présent article. / Sont pris en compte dans l'évaluation de la taille du parc géré par une entreprise les véhicules gérés par ses filiales dont le siège est situé en France ainsi que les véhicules gérés par ses établissements situés en France. / Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent article ".

4. Le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités soutient que les dispositions de l'article L. 224-10 du code de l'environnement, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, portent atteinte au principe d'égalité et à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre.

5. En premier lieu, aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse () ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

6. Si le syndicat requérant soutient que la distinction que les dispositions de l'article L. 224-10 du code de l'environnement établissent entre les sociétés de financement auxquelles il peut être fait appel pour l'acquisition de véhicules automobiles et les entreprises ayant pour activité la location de véhicules en longue durée méconnaît l'égalité de traitement entre ces deux catégories d'entreprises, dont les offres sont concurrentes, il ressort des pièces du dossier que les sociétés de financement automobile, dès lors qu'elles ne gèrent pas de parcs de véhicules automobiles, et eu égard au fait qu'elles ne rendent pas à leurs clients des prestations de même nature que les sociétés de location de longue durée, se trouvent, au regard de la législation considérée, dans une situation différente. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées portent atteinte au principe d'égalité ne présente pas un caractère sérieux.

7. En second lieu, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dispose que : " La liberté consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l'exercice des droits naturels de chaque homme n'a de bornes que celles qui assurent aux autres Membres de la Société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la Loi ". Il est loisible au législateur d'apporter à la liberté d'entreprendre, qui découle de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi. En imposant aux entreprises gestionnaires d'un parc de plus de cent véhicules automobiles l'acquisition ou l'utilisation, à l'occasion du renouvellement de ce parc, d'une proportion croissante de véhicules à faibles niveaux d'émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques, le législateur a entendu réduire les émissions de gaz à effet de serre liées au secteur des transports, notamment pour satisfaire aux engagements de la France exprimés à l'article L. 220-1 du code de l'environnement qui dispose que " L'Etat et ses établissements publics, les collectivités territoriales et leurs établissements publics ainsi que les personnes privées concourent, chacun dans le domaine de sa compétence et dans les limites de sa responsabilité, à une politique dont l'objectif est la mise en œuvre du droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé. / Cette action d'intérêt général consiste à prévenir, à surveiller, à réduire ou à supprimer les pollutions atmosphériques, à préserver la qualité de l'air et, à ces fins, à économiser et à utiliser rationnellement l'énergie. La protection de l'atmosphère intègre la prévention de la pollution de l'air et la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ". Les taux prévus par les dispositions législatives contestées évoluant progressivement de 10 à 50 % selon un calendrier étalé de 2022 à 2030 ne sont pas manifestement disproportionnés par rapport à l'objectif que s'est assigné le législateur, à l'article L. 100-4 du code de l'énergie, de réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport aux niveaux de 1990. Par ailleurs, ils ne le sont pas non plus, ainsi que cela ressort notamment des travaux parlementaires, au regard de l'évolution de l'offre de marché de véhicules à faibles émissions présentée par les constructeurs. Il suit de là que le grief tiré de ce que les dispositions de l'article L. 224-10 du code de l'environnement porteraient à la liberté du commerce et de l'industrie et à la liberté d'entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l'objectif qu'elles poursuivent ne présente pas un caractère sérieux.

8. Il résulte de ce qui précède qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par le syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au syndicat des entreprises des services automobiles en LLD et des mobilités et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, à la Première ministre et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré à l'issue de la séance du 5 juillet 2023 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, M. Jean-Philippe Mochon, présidents de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et Mme Stéphanie Vera, maître des requêtes-rapporteure.

Rendu le 2 août 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

La rapporteure :

Signé : Mme Stéphanie Vera

La secrétaire :

Signé : Mme Valérie Peyrisse

Code publication

C