Tribunal administratif de Nantes

Ordonnance du 28 juillet 2023 n° 2300978

28/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2023, M. B A, représenté par Me Plateaux, demande au Tribunal :

1°) de condamner l'Etat à lui verser la somme totale de 210 000 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la réclamation préalable tendant au versement de cette somme, avec anatocisme, en réparation des préjudices résultant de la faute commise par les services de l'Etat à raison de l'illégalité du refus de lui ouvrir droit au bénéfice du fonds de solidarité des entreprises créé au titre de la crise sanitaire de la covid-19 ou, subsidiairement, au titre de la responsabilité sans faute de l'Etat en raison de la rupture d'égalité devant les charges publiques que constitue ce même refus ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 mai 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Par deux mémoires, enregistrés le 20 janvier 2023 et le 30 mars 2023, M. A, représenté par Me Plateaux, demande au Tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme précitée, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1er de la loi n° 2021-195 du 23 février 2021 portant ratification de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 portant création d'un fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation.

Il soutient que :

- il est recevable à soumettre la question prioritaire de constitutionnalité en cause dans la mesure où, d'une part, une telle question, présentée par un mémoire distinct et portant sur les dispositions d'une ordonnance prise par le Gouvernement sur le fondement d'une habilitation donnée par le Parlement sur le fondement de l'article 38 de la Constitution, est recevable si le délai d'habilitation est expiré et que, comme c'est le cas en l'espèce, elle porte sur la contestation, au regard des droits et libertés que la Constitution garantit, de dispositions de l'ordonnance qui relèvent du domaine de la loi et que, d'autre part, l'ordonnance du 25 mars 2020 ayant été ratifiée, seul l'article 1er de la loi n° 2021-195 du 23 février 2021 est désormais susceptible d'être déféré au contrôle de constitutionnalité.

- les dispositions contestées portent ratification de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 qui en son article 1er, instituait un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de la covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation et, en son article 3, habilitait le Gouvernement à fixer par décret le champ d'application de ce dispositif, les conditions d'éligibilité et d'attribution des aides versées par le fonds en cause, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds ; en l'espèce, les dispositions réglementaires prises dans le domaine de la loi sur le fondement de cette habilitation, en ce qu'elle subordonnent l'éligibilité d'une entreprise à ce fonds de solidarité à l'absence de dette fiscale en cours, méconnaissent le droit de propriété et le principe d'égalité devant la loi, garantis par les articles 2 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, en ce qu'elles instituent une exclusion générale et absolue du bénéfice du fonds de solidarité s'agissant des contribuables débiteurs à l'égard de l'administration fiscale, sans que ne puisse être pris en compte le montant de la dette, la situation financière du contribuable ou les diligences entreprises par ce dernier pour régulariser sa situation au regard de l'impôt ;

- la question posée, sur laquelle le Conseil constitutionnel ne s'est pas prononcée, présente un caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 16 mars 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut à ce qu'il n'y a pas lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité en cause au Conseil d'Etat.

Il fait valoir que :

- la question n'est pas recevable, en ce que la disposition contestée emporte uniquement ratification de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 et ne comporte, par elle-même, aucune disposition relative à l'éligibilité au fonds de solidarité en cause, pas davantage d'ailleurs que l'ordonnance du 25 mars 2020 précitée ;

- la question ne revêt pas de caractère sérieux, faute pour le requérant d'exposer en qui le critère d'éligibilité au fonds de solidarité tiré de l'absence de dette fiscale en cours porterait atteinte au droit de propriété ainsi qu'au principe d'égalité devant la loi.

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- la loi n° 2021-195 du 23 février 2021;

- l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 ;

- le décret n° 2020-371 du 30 mars 2020, modifié ;

- le code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. L'article R. 771-7 du code de justice administrative dispose que : " Les présidents de tribunal administratif et de cour administrative d'appel, le vice-président du tribunal administratif de Paris, les présidents de formation de jugement des tribunaux et des cours ou les magistrats désignés à cet effet par le chef de juridiction peuvent, par ordonnance, statuer sur la transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité ".

2. Aux termes de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé. Une loi organique détermine des conditions d'application du présent article ". L'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que : " () La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat () Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux () ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre

1958 que la juridiction saisie procède à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'État à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. L'article 1er de l'ordonnance n° 2020-317 du 25 mars 2020 a institué, jusqu'au 31 décembre 2021 et, le cas échéant, pour une période supplémentaire ouverte par décret et ne pouvant excéder six mois, un fonds de solidarité ayant pour objet le versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation du covid-19 et des mesures prises pour en limiter la propagation. L'article 3 de cette même ordonnance prévoit qu'un décret fixe le champ d'application du dispositif, les conditions d'éligibilité et d'attribution des aides, leur montant ainsi que les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds. L'ordonnance du 25 mars 2020 précitée a, par ailleurs, été ratifiée par l'article 1er de la loi du 23 février 2021 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.

5. M. A, propriétaire d'un restaurant sis à Nantes (Loire-Atlantique), soutient qu'en dépit de la fermeture prolongée de son établissement en raison de la crise sanitaire due au virus covid-19 et de la perte de chiffre d'affaires en résultant, il n'a pu solliciter le bénéfice des aides versées au titre du fonds de solidarité institué par l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 susmentionnée, au motif que l'article 3 du décret du 30 mars 2020 relatif au fonds de solidarité à destination des entreprises particulièrement touchées par les conséquences économiques, financières et sociales de la propagation de l'épidémie de covid-19 et des mesures prises pour limiter cette propagation, pris sur le fondement de l'habilitation donnée au Gouvernement par l'article 3 de l'ordonnance du 25 mars en cause, subordonnait l'octroi de telles aides à une condition, non remplie par M. A en l'espèce, tirée de l'absence de dette fiscale ou sociale impayée au 31 décembre 2019, à l'exception de celles bénéficiant d'un plan de règlement. Estimant que l'impossibilité pour lui de bénéficier des aides versées au titre de ce fonds résultait, à titre principal d'une faute de l'Etat résultant de l'illégalité de la condition d'absence de dette fiscale du demandeur ou, subsidiairement, d'une rupture d'égalité devant les charges publiques, M. A a formé en vain auprès des services du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique une réclamation préalable notifiée le 5 décembre 2022 et tendant à l'indemnisation des préjudices résultant de cette faute ou cette rupture d'égalité devant les charges publiques, ces préjudices étant évalués à la somme totale de 210 000 euros. Cette demande a été rejetée par décision du 23 décembre 2022. A l'appui de sa requête demandant la condamnation de l'Etat à lui verser la somme précitée de 210 000 euros en réparation des préjudices qu'il allègue avoir subis, M. A soutient que l'article 1er de la loi du 23 février 2021, en ce qu'il porte ratification de l'article 3 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ayant habilité le Gouvernement, par l'article 3 du décret du 30 mars 2020 susvisé, à instituer une condition d'absence de dette fiscale pour bénéficier des aides versées au titre du fonds de solidarité précité, porte atteinte, à raison de ces dernières dispositions, au droit de propriété et au principe d'égalité devant la loi, ces principes à valeur constitutionnelle étant garantis par les articles 2 et 6 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen, dans la mesure où cette condition présenterait un caractère général et absolu.

6. L'article 38 de la Constitution dispose que : " Le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. / Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d'État. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. Elles ne peuvent être ratifiées que de manière expresse. / A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article, les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ". Il résulte de ces dispositions que, dès lors que sa ratification est opérée par le législateur, une ordonnance acquiert valeur législative à compter de sa signature.

7. D'une part, l'article 1er de la loi du 23 février 2021 a pour seul objet de ratifier l'ordonnance du 25 mars 2020 instituant le fonds de solidarité permettant le versement d'aides financières aux personnes physiques et morales de droit privé exerçant une activité économique particulièrement touchées par les conséquences du covid-19, qui a ainsi acquis une valeur législative. Ainsi, il ne comporte, par lui-même, aucune disposition de nature à porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.

8. D'autre part, et à supposer que la question prioritaire de constitutionnalité de M. A puisse être regardée comme directement dirigée contre les dispositions, désormais de valeur législative ainsi qu'il vient d'être dit, de l'article 3 de l'ordonnance du 25 mars 2020, ces dispositions se bornent à confier au pouvoir réglementaire la détermination des conditions d'accès aux aides du fonds de solidarité que cette ordonnance institue, ainsi que le montant de ces aides et les conditions de fonctionnement et de gestion du fonds, lesquels relèvent d'ailleurs, non du domaine de la loi au sens de l'article 34 de la Constitution, mais du domaine du règlement en vertu de son article 37. Ainsi, l'article 3 de l'ordonnance du 25 mars 2020 ne saurait pas davantage porter atteinte, par lui-même, aux droits et libertés garantis par la Constitution.

9. Il résulte de tout ce qui précède que, la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A ne présentant pas un caractère sérieux, il n'y a pas lieu de la transmettre au Conseil d'Etat.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B A, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la directrice régionale des finances publiques de Pays de la Loire et du département de la Loire-Atlantique.

Fait à Nantes, le 28 juillet 2023.

Le président,

Y. LIVENAIS

La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté numérique et industrielle en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,