Tribunal administratif de Strasbourg

Jugement du 26 juillet 2023 n° 2200778

26/07/2023

Autre

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 4 février 2022, le 23 mai 2022 et le 16 février 2023, M. B C, représenté par Me Rotolo, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision du 30 août 2021 par laquelle le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse a prononcé sa radiation, ensemble la lettre du même jour, ensemble la décision implicite de rejet son recours gracieux ;

2°) d'enjoindre à l'Etat de l'affecter à titre définitif en tant que conseiller principal d'éducation au lycée Blaise Pascal de Colmar et de reconstituer sa carrière, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, ou à défaut de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat les entiers dépens ainsi que la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'auteur de l'arrêté ministériel du 30 août 2021 ne justifie pas d'une délégation de signature régulièrement publiée ;

- cette décision est insuffisamment motivée ;

- les droits de la défense ont été méconnus en l'absence de saisine de la commission administrative paritaire préalablement à la mesure de radiation ;

- la décision de radiation, qui équivaut à un licenciement, viole l'article 7 de la convention n°158 de l'organisation internationale du travail et l'article 24 de la Charte sociale européenne ;

- le ministre a commis une erreur de droit en s'estimant lié par la condamnation pénale prononcée par jugement du 8 juin 2020 ;

- l'article L. 911-5 du code de l'éducation entraîne une rupture d'égalité entre agents exerçant dans les mêmes conditions au contact d'enfants mais dans des lieux d'affectation différents ; de telles dispositions n'existent pas pour des agents exerçant dans le milieu du sport, de la protection de l'enfance ou encore de centres d'accueil ;

- la décision attaquée méconnait son droit à un procès équitable tel que protégé par les stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le ministre a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte du recours en révision déposé devant la Cour de Cassation à l'encontre du jugement pénal du 8 juin 2020, qui n'est pas définitif ;

- le ministre a méconnu le champ d'application de l'article L. 911-5 du code de l'éducation, qui n'est pas applicable aux conseillers principaux d'éducation, employés par l'Etat et non pas l'établissement scolaire dans lequel ils exercent ;

- la décision de radiation est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors, d'une part, que la matérialité des faits reprochés n'est pas établie et d'autre part, que ces faits, qui ne sont pas contraires à la probité et aux mœurs, ne sont pas incompatibles avec l'exercice de ses missions professionnelles.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 31 mars 2022 et le 8 février 2023, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales,

- la convention n° 158 de l'organisation internationale du travail,

- la Charte sociale européenne,

- le code de l'éducation,

- le code de procédure pénale,

- le décret n° 70-738 du 12 août 1970,

- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986,

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005,

- le décret du 2 octobre 2019 portant nomination du directeur général des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Jordan-Selva,

- et les conclusions de M. Gros, rapporteur public.

Les parties régulièrement convoquées, n'étaient ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. M. B C est conseiller principal d'éducation titulaire depuis le 1er septembre 1999. Il était affecté au lycée Blaise Pascal de Colmar depuis le 1er septembre 2013. Il a été placé en congé pour invalidité temporaire imputable au service à compter du 24 mai 2018. Par un jugement rendu par le tribunal correctionnel de Mulhouse le 8 juin 2020, M. C a été reconnu coupable des faits d'agression sexuelle commis en juin 2016 et a été condamné, à titre de peine principale, à accomplir un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes. Il a par ailleurs fait l'objet d'une inscription au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Par un arrêté du 30 août 2021, dont M. C demande l'annulation, le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports a prononcé sa radiation des cadres.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. En premier lieu, en vertu de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du gouvernement, les directeurs d'administration centrale peuvent signer au nom du ministre et par délégation, à compter du jour suivant la publication au journal officiel de la République française de l'acte les nommant dans leurs fonctions ou à partir du jour où il prend effet, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité. Par décret du 2 octobre 2019, publié au journal officiel de la République française du 3 octobre 2019, M. D E, auteur de l'arrêté du 30 août 2021, a été nommé directeur des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale, de la jeunesse et du ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation. Dès lors, M. D E disposait d'une délégation de signature lui permettant de signer l'arrêté attaqué, de sorte que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de cet acte doit être écarté.

3. En deuxième lieu, l'arrêté attaquée comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait que lequel il se fonde. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.

4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 911-5 du code de l'éducation : " I. - Sont incapables de diriger un établissement d'enseignement du premier ou du second degré ou tout établissement de formation accueillant un public d'âge scolaire, qu'il soit public ou privé, ou d'y être employés, à quelque titre que ce soit : / 1° Ceux qui ont été définitivement condamnés par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs () " Pour l'application de ces dispositions, il appartient à l'autorité compétente d'apprécier, sous le contrôle du juge, si les faits ayant valu à une personne dirigeant un établissement d'enseignement du premier et du second degré ou de l'enseignement technique ou y étant employée une condamnation judiciaire pour crime ou délit sont contraires à la probité ou aux mœurs. Lorsque tel est le cas, l'incapacité qui résulte, en vertu des mêmes dispositions, de cette condamnation entraîne de plein droit, à la date à laquelle elle est devenue définitive, la rupture du lien de l'agent avec son service.

5. Il est constant que M. C a été mis en mesure de consulter son dossier administratif et de présenter ses observations avant l'édiction de la mesure en litige, prise en considération de la personne. Il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire que la mesure de radiation prise sur le fondement de l'article L. 911-5 du code de l'éducation, qui ne constitue ni un licenciement ni une mesure disciplinaire, doit être précédée d'une consultation de la commission administrative paritaire. Le moyen tiré du vice de procédure soulevé en ce sens doit être écarté.

6. En quatrième lieu, l'autorité absolue de la chose jugée par les juridictions répressives s'attache aux constatations de fait qui sont le soutien nécessaire des jugements définitifs. Une décision rendue en dernier ressort présente, à cet égard, un caractère définitif, même si elle peut encore faire l'objet d'un pourvoi en cassation ou est effectivement l'objet d'un tel pourvoi et si, par suite, elle n'est pas irrévocable.

7. Il ressort des pièces du dossier que M. C n'a pas interjeté appel de la décision rendue par le tribunal correctionnel de Mulhouse le 8 juin 2020. Celle-ci est donc devenue définitive. La circonstance que le requérant a présenté un recours en révision auprès de la Cour de cassation est sans incidence sur ce point. Le moyen tiré de ce que le ministre se serait prononcé au regard d'une décision de justice non définitive doit être écarté.

8. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. C a été condamné par jugement rendu par le tribunal correctionnel de Mulhouse le 8 juin 2020 pour des faits d'agression sexuelle commis en juin 2016 par surprise sur la personne de Mme A représentante syndicale, au cours d'une réunion professionnelle, en lui mettant la main sur la cuisse, sous la jupe et en lui touchant la culotte au niveau du sexe. Les constatations de fait ainsi opérées par le juge judiciaire, au soutien nécessaire de sa décision revêtue de l'autorité absolue de chose jugée, s'imposent à l'administration. Il ressort des termes mêmes de l'arrêté ministériel en litige que le ministre a procédé à sa propre appréciation et qualification de ces faits et a considéré qu'ils étaient constitutifs d'un comportement contraire aux bonnes mœurs et étaient incompatibles avec le maintien de l'intéressé dans ses fonctions de conseiller principal d'éducation. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le ministre se serait estimé en situation de compétence liée par la condamnation pénale prononcée par jugement du 8 juin 2020. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

9. En sixième lieu, la décision en litige ne présentant pas le caractère d'une mesure de licenciement, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 7 de la convention OIT n° 158 et de l'article 24 de la Charte sociale européenne doivent être écartés comme inopérants.

10. En septième lieu, le requérant soutient que les dispositions de l'article L. 911-5 du code de l'éducation ne sont pas conformes au principe d'égalité de traitement entre agents publics dès lors que d'autres fonctionnaires exerçant également leurs missions au contact d'enfants ne sont pas soumis aux mêmes restrictions que le personnel employé dans un établissement scolaire. L'incapacité d'être employé dans un établissement scolaire en cas de condamnation définitive par le juge pénal pour crime ou délit contraire à la probité et aux mœurs résulte de la loi elle-même et non de l'arrêté en litige et il n'appartient pas au juge administratif, en dehors des cas et conditions prévus par le chapitre II bis du titre II de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, relatif à la question prioritaire de constitutionnalité, d'apprécier la conformité de dispositions législatives aux exigences constitutionnelles. Au demeurant, s'agissant des règles régissant les fonctionnaires, le principe d'égalité n'est en principe susceptible de s'appliquer qu'entre les agents appartenant à un même corps. Les conseillers principaux d'éducation sont, en tout état de cause, dans une situation différente de celle des autres catégories de fonctionnaires et la circonstance que le public côtoyé dans le cadre de l'exercice de leurs missions soit également constitué d'enfants est sans incidence sur cette différence de situation. Le moyen tiré de la rupture d'égalité entre les différents agents publics doit être écarté.

11. En huitième lieu, il n'appartient pas au juge administratif de connaître de la régularité de la procédure pénale engagée, qui est distincte et indépendante de la procédure administrative à l'issue de laquelle la décision attaquée a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales du fait de la procédure suivie devant le juge judiciaire doit être écarté comme inopérant.

12. En neuvième lieu, M. C soutient que les dispositions précitées de l'article L. 911-5 du code de l'éducation ne pouvaient servir de fondement à la décision de radiation des cadres dont il a fait l'objet dans la mesure où il est employé par l'Etat et non par l'établissement scolaire dans lequel il exerce. Toutefois, les dispositions de l'article L. 911-5 du code de l'éducation instituent une incapacité de plein droit et ont nécessairement pour effet d'aboutir à l'éviction de l'agent exerçant quelque fonction que ce soit dans un établissement d'enseignement dont le comportement, tel que révélé par une condamnation pénale, est regardé par l'administration comme contraire " à la probité " ou " aux mœurs ". Le moyen tiré de l'erreur de droit ne peut dès lors qu'être écarté.

13. En dixième lieu, ainsi qu'il a été rappelé aux points précédents, M. C a été condamné pour des faits d'agression sexuelle. Le ministre n'a pas commis d'erreur d'appréciation en considérant que ces faits étaient contraires à la probité et aux mœurs. Conformément aux dispositions précitées de l'article L. 911-5 du code de l'éducation nationale, cette condamnation, pour un délit contraire à la probité et aux mœurs, suffisait à justifier non seulement l'incapacité de l'intéressé à être employé dans un établissement d'enseignement mais également sa radiation du corps des conseillers principaux d'éducation du fait de la rupture de ses liens avec son service. Les moyens tirés de l'erreur d'appréciation et de l'erreur de droit doivent être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. C ne peuvent qu'être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. L'exécution du présent jugement, qui rejette les conclusions à fin d'annulation, n'implique aucune mesure particulière d'exécution au regard des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Par suite, les conclusions de M. C aux fins d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. En premier lieu, M. C n'établit pas avoir exposé des frais au titre des dépens à l'occasion de la présente instance. Par suite, ses conclusions, qui doivent être regardées comme étant présentées au titre de l'article R. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent, en tout état de cause, qu'être rejetées.

17. En second lieu, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative dont obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par M. C et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. C est rejetée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à M. B C et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Strasbourg.

Délibéré après l'audience du 6 juillet 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Dulmet, présidente,

Mme Jordan-Selva, première conseillère,

Mme Vicard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 juillet 2023.

La rapporteure,

S. JORDAN-SELVA

La présidente,

A. DULMETLe greffier,

S. BRONNER

La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

Code publication

C