Conseil d'Etat

Décision du 26 juillet 2023 n° 471939

26/07/2023

Non renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par un mémoire, enregistré le 7 juin 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présenté en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la société Pefil demande au Conseil d'Etat, à l'appui de son pourvoi tendant à l'annulation de l'arrêt n°s 21MA03619, 21MA03620 du 6 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions du a du 3° du I de l'article 244 quater E du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Spinosi, avocat de la société Pefil ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé () à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat () ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

2. Aux termes de l'article 244 quater E du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au litige : " I. - 1° Les petites et moyennes entreprises relevant d'un régime réel d'imposition peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des investissements, autres que de remplacement, financés sans aide publique pour 25 % au moins de leur montant, réalisés jusqu'au 31 décembre 2020 et exploités en Corse pour les besoins d'une activité industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole autre que : () / 2° (Abrogé). / 3° Le crédit d'impôt prévu au 1° est égal à 20 % du prix de revient hors taxes : / a. Des biens d'équipement amortissables selon le mode dégressif en vertu des 1 et 2 de l'article 39 A et des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle créés ou acquis à l'état neuf ; / b. Des biens, agencements et installations visés au a pris en location, au cours de la période visée au 1°, auprès d'une société de crédit-bail régie par le chapitre V du titre Ier du livre V du code monétaire et financier ; / c. Des logiciels qui constituent des éléments de l'actif immobilisé et qui sont nécessaires à l'utilisation des investissements mentionnés aux a et b ; / d. Des travaux de rénovation d'hôtel. / (). / 3° bis Le taux mentionné au premier alinéa du 3° est porté à 30 % pour les entreprises qui ont employé moins de onze salariés et ont réalisé soit un chiffre d'affaires n'excédant pas 2 millions d'euros au cours de l'exercice ou de la période d'imposition, ramené le cas échéant à douze mois en cours lors de la réalisation des investissements éligibles, soit un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros () ".

3. A l'appui des conclusions de son pourvoi contre l'arrêt du 6 janvier 2023 de la cour administrative d'appel de Marseille, la société Pefil soutient que les dispositions du a du 3° du I de l'article 244 quater E du code général des impôts citées au point 2, qui sont applicables au litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, méconnaissent le principe d'égalité devant la loi garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, en tant qu'elles excluent du bénéfice du crédit d'impôt pour l'investissement en Corse d'une part, certains biens meubles quand bien même ils seraient nécessaires à l'activité exploitée, et d'autre part, les investissements réalisés sur des surfaces commerciales ouvertes ne constituant pas un local. Compte-tenu de cette argumentation, la société Pefil doit être regardée comme contestant la conformité aux droits et les libertés garantis par la Constitution des mots " et des agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle créés ou acquis à l'état neuf " du a du 3° du I de l'article 244 quater E du code général des impôts.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation. Elle doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse () ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

5. En premier lieu, eu égard à la finalité du crédit d'impôt prévu par les dispositions de l'article 244 quater E du code général des impôts, institué en vue de favoriser le développement des activités économiques en Corse, le législateur a pu, sans méconnaitre le principe d'égalité devant la loi, en réserver le bénéfice aux investissements attestant de la pérennité de la localisation de l'activité sur le territoire, tels les agencements et installations des locaux commerciaux mentionnés au a du 3° du I de l'article 244 quater E du code général des impôts, lesquels ne peuvent s'entendre que des éléments destinés à mettre les locaux commerciaux en état d'utilisation et faisant corps avec eux, et en exclure les biens meubles autres que les biens d'équipements amortissables selon le mode dégressif.

6. En second lieu, il ne résulte pas des dispositions contestées que le législateur ait entendu exclure du champ des " agencements et installations de locaux commerciaux habituellement ouverts à la clientèle " ouvrant droit au crédit d'impôt les investissements réalisés au titre de surfaces commerciales non couvertes, telles les terrasses de restaurant. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration de 1789, en ce que les entreprises exploitant des surfaces commerciales non couvertes ne bénéficieraient pas de l'avantage fiscal à raison des agencements et installations relatifs à ces surfaces ne peut qu'être écarté.

7. Il résulte de ce qui précède que la question de la conformité aux droits et libertés garanties par la Constitution des dispositions contestées, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux. Il n'y a, dès lors, pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Pefil.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Pefil.

Copie en sera adressée à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, et au Conseil constitutionnel.

Délibéré à l'issue de la séance du 12 juillet 2023 où siégeaient :

Mme Christine Maugüé, présidente adjointe de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Vincent Daumas, M. Nicolas Polge, M. Alexandre Lallet, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. Vincent Mazauric, conseiller d'Etat-rapporteur.

Rendu le 26 juillet 2023.

La présidente :

Signé : Mme Christine Maugüé

Le rapporteur :

Signé : M. Vincent Mazauric

La secrétaire :

Signé : Mme Laurence Chancerel

La République mande et ordonne à la Première ministre, au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chaucun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Code publication

C